Les sept péchés de la mémoire

[Jean-Francois]

En lisant cet article de La Presse à l’effet que des chercheurs auraient réussi à créer de faux souvenirs chez la souris (je n’ai pas lu l’article original*), je me suis dit qu’une enfilade sur la mémoire peut être intéressante.

Pour l’initier, je me reporte au titre d’un livre écrit par Daniel Schacter, un chercheur reconnu dans le domaine de la mémoire. Le livre n’est pas des plus récent (2001) dont ce résumé (en anglais) me parait intéressant. Je suis responsable des fautes de traduction, et j’ai volontairement omis les exemples donnés pour me concentrer sur les catégories :
"[…] Les trois premiers sont des “péchés d’omission” qui impliquent l’oubli, les quatre suivants sont des "péchés de délégation" [NdeJF : "sins of commission" en v.o.] qui impliquent des souvenirs déformés ou non désirés.

Fugacité (ou caractère transitoire) – l’accessibilité diminuée de la mémoire au cours du temps. Bien qu’une telle diminution soit normale jusqu’à un certain degré avec l’âge, un affaiblissement ou des dommages causés à l’hippocampe ou au lobe temporal peuvent induire des formes extrêmes de cette perte. […]

Distraction – Pertes d’attention et oublis de faire des choses (prévues). Ce péché se produire lorsqu’une mémoire est formée (stade d’encodage) ou lorsqu’une mémoire est récupérée (stade de remémoration). […]

Blocage – inaccessibilité temporaire à des informations stockées, tel le syndrome du “je l’ai sur le bout de la langue”. […]

Influençabilité – Inclusion de désinformations dans la mémoire suite à des questions tendancieuses, tromperies et autres causes. [NdeJF : suit une référence aux travaux d’Elizabeth Loftus et Stephen Ceci qui montrent que l’on peut induire de faux souvenirs.]

Biais – Distorsions rétrospectives produites par des connaissances et croyances actuelle. [NdeJF : suit une référence aux travaux de Michael Ross, qui montrent que nos attentes actuelles influencent notre mémoire des faits passés.]

Persistance** – Remémoration indésirable de souvenirs que les gens ne peuvent oublier, tels que les souvenirs envahissants et continuels de stress post-traumatiques. […]

Erreur de catalogage – attribution de souvenirs à de mauvaises sources ou croyance d’avoir vu ou entendu quelque chose qu’on a en fait jamais vu ou entendu. [NdeJF : suit une référence aux travaux de Henry L. Roediger III et Kathleen McDermott.]"

La mémoire est un phénomène qu’on peut étudier d’un point de vue psychologique (par l’observation de ces manifestations extérieures, souvent verbales) ou d’un point de vue neurologique (par le substrat neural associé). Ces deux approches d’un même phénomène peuvent mener à des descriptions qui sont difficiles à concilier car chaque discipline à des codes langagiers distincts. (Ceci est sans doute vrai pour tous les phénomènes cognitifs.) Une des manifestations de ce problème dans le texte ci-dessus est l’utilisation du terme "mémoire", qui peut désigner le processus en entier, les souvenirs, aussi bien que le substrat neural (un peu comme dans le cas des « mémoires informatiques »).

Le principal message est que la mémoire est loin d'être un processus monolithique et parfait: c'est un phénomène biologique (voire biochimique) à la base, donc soumis à de la variabilité. Ce phénomène peut être associé à une remémoration de souvenirs étonnamment précis, tout comme parfaitement trompeurs (même s'ils paraissent subjectivement vrais/réels).

Jean-François

* Liu X, Ramirez S, Pang PT, Puryear CB, Govindarajan A, Deisseroth K, Tonegawa S (2012) Optogenetic stimulation of a hippocampal engram activates fear memory recall. Nature 484:381-5.
** Il s’agit d’une persistance sélective car tous les souvenirs ne sont pas aussi persistants.