Dash a écrit : 03 mai 2020, 11:12qu'implique les spins forts/faibles/horizontaux/verticaux?
Je précise ce point.
La mesure quantique (sous-entendu forte)
Avant les travaux de Aharonov, Vaidman et la découverte de la
mesure faible en 1988 (à ma connaissance pas encore largement connue des physiciens non spécialistes du domaine) ce que l'on connaissait, c'était seulement la mesure quantique "normale" (que maintenant on qualifie de mesure quantique forte quand il est nécessaire de la distinguer de sa petite sœur : la mesure faible).
Ce qui a beaucoup choqué les physiciens au début du 20ème siècle lorsqu'ils ont découvert la physique quantique (et tout particulièrement la mesure quantique) c'est le fait que, contrairement à la physique classique, on ne mesure pas l'état dans lequel
le système se trouvait avant la mesure, mais l'état dans lequel
on projette le système en réalisant une mesure quantique. Ce brutal changement d'état du système quand on l'observe, ça s’appelle la réduction du paquet d'onde (the collapse of the quantum wave).
On n'a aucun moyen de connaître l'état quantique que le système
avait avant de réaliser une mesure quantique (sous-entendu forte) peut-être bien parce que l'état quantique n'
est pas une propriété objective du système mais une propriété qui
émerge de l'interaction du système avec l'observateur. On sait donc seulement recueillir l'état quantique que notre mesure
lui fait prendre.
Par ailleurs, dans le cas où on a une connaissance aussi parfaite que possible de l'état quantique du système observé avant la mesure (parce qu'on vient de faire une mesure quantique forte par exemple),
on ne peut pas prédire le résultat de mesure si le système n'est pas dans un état propre de la nouvelle observable mesurée (par exemple si on mesure le spin
horizontal d'un spin 1/2 alors qu'il est en état initial de spin
vertical).
De façon plus précise, quand :
- un spin 1/2 est dans un état initial de spin vertical up (on peut voir ça comme une sorte de petite toupie tournant dans le sens anti-horaire quand on la regarde en vue de dessus)
- si on réalise une mesure quantique de son spin horizontal,
- il prend, très docilement, un spin horizontal.
"Spin, es-tu horizontal ?" "Oui, oui !" répond-il avec empressement quel que soit son état initial.
Par contre, à l'issue de notre mesure de spin horizontal, notre spin 1/2 initialement vertical a :
- 50% de chance de se retrouver en état de spin horizontal droit (qu'on peut voir comme une petite toupie d'axe horizontal tournant dans le sens anti-horaire quand on la regarde en étant placé à sa droite)
- 50% de chance de se retrouver en état de spin horizontal gauche.
C'est complètement contraire à la
physique classique où la mesure
ne consiste pas à créer de l'information mais à
recueillir une information
préexistante à l'observation. En physique classique, le résultat d'observation ne doit rien, ni à l'observateur, ni à l'acte d'observation. En physique
classique, l'acte d'observation ne modifie nullement l'état du système observé. Cela garantit la reproductibilité des résultats de mesure.
Bref, la physique classique, la physique de la fin du 19ème siècle, est à l'origine de la croyance encore vivace
- dans le caractère objectif que nous avons tendance à attribuer aux propriétés de l'univers avec lequel nous interagissons (alors que ces propriétés présentent, en fait, seulement un caractère intersubjectif).
- dans le caractère déterministe que nous attribuons à l'évolution de notre univers (le futur existerait déjà et il serait déjà tout tracé)
- l'idée selon laquelle nous serions des sortes de marionnettes d'un espace-temps figé donc sans aucune possibilité d'agir sur son évolution.
Un petit nombre de physiciens restent encore attachés aux hypothèses ci-dessus malgré un conflit (ou plutôt une absence de preuve, ce qui n'est pas la même chose, mais Occam est parfois un peu psychorigide) avec les faits d'observation.
Bit classique et Quantum bit dit Qbit
J'insiste encore un peu sur la différence entre mesure classique et mesure quantique en explicitant la distinction entre bit classique et bit quantique.
Bit classique
C'est un nombre qui ne peut valoir que 0 ou 1. On peut donc voir un bit classique comme une pièce de monnaie (posée sur une table par exemple), ne pouvant
avoir que deux valeurs : pile ou face (ce point là, tu le sais mieux que moi, mais je commence par le début). Faire une mesure classique c'est juste
regarder la pièce et
noter si elle est dans l'état pile ou dans l'état face.
Le résultat de mesure d'un bit classique est objectif. Il ne dépend nullement de l'observateur et de l'acte d'observation. Une observation/mesure de notre bit classique ne modifie nullement l'état de notre bit classique. Cela garantit la reproductibilité des résultats de son observation.
Qui plus est, en physique classique, quand on connait parfaitement l'état initial d'un système isolé quel qu'il soit (et sa loi d'évolution) on peut prédire exactement son état futur (2).
Bit quantique
Un spin 1/2 est un bit quantique. Il ne peut prendre que deux états quantiques, mais ça peut être
- deux état suivant un axe vertical (up ou down) si on le mesure selon un axe vertical
- deux états selon un axe horizontal vu de face (right ou left) si on le mesure selon un axe horizontal vu de côté
- deux états selon un axe horizontal qui pointe vers nous, si on le mesure selon un axe horizontal qui pointe vers nous.
On n'a donc que deux résultats possibles, en fait,
mais selon n'importe quelle direction choisie par l'observateur
- C'est l'observateur qui choisit l'axe de mesure (ou le plan de plaquage qui lui est perpendiculaire si on préfère l'image de la pièce de monnaie)
- c'est le hasard quantique qui décide si on va trouver pile ou face
- et quand deux "plans" de mesure successifs sont proches, le résultat n'est plus cinquante/cinquante, mais, avec une probabilité cos²(alpha), l'état pile ou l'état face le plus proche de celui mesurée sur le "plan" correspondant à la précédente mesure.
Où alpha désigne l'angle entre le nouveau "plan de plaquage" de notre "pièce quantique" (notre spin 1/2) et le précédent "plan de plaquage".
Bien noter, par contre, que si on mesure 2 fois le même spin dans la même direction la 2ème mesure confirme la 1ère, même si elle est réalisée par un 2ème observateur. L'intersubjectivité est donc bien respectée, même en physique quantique.
En physique quantique, nous ne sommes pas des observateurs recueillant passivement une information préexistante à l'observation. Il apparaît bien plus clairement ce que la physique classique nous avait un peu fait oublier : nous ne sommes pas des observateurs passifs soumis à un univers régi par des lois déterministes immuables, mais des obsera
cteurs dans un monde
non déterministe sujet au hasard quantique dans lequel nous observons l'état dans lequel
nous avons mis le système observé lors de notre observa
ction...
...mais c'est toutefois le hasard quantique qui finit de choisir l'état quantique dans lequel termine le système suite à notre observa
ction (seulement deux états possibles, selon la direction que nous avons choisi d'observer, dans le cas d'une mesure sur un système quantique dit à deux états comme un spin 1/2).
La mesure faible
En 1988, les travaux de recherche de Aharonov et Vaidman ont montré la possibilité de réaliser des mesures quantiques plus "douces" dites mesures faibles.
Contrairement aux mesures fortes, les mesures faibles
ne modifient que peu l'état du système observé (1)
Mais il y a un prix à payer. Chaque mesure faible ne recueille qu'
une toute petite quantité d'information. Un résultat de mesure faible unique, c'est un peu n'importe quoi. Il est brouillé par le hasard quantique.
Les résultats de mesure faible ne font apparaître un résultat significatif que si on réalise
la moyenne d'un grand nombre de mesure faibles sur des systèmes quantiques tous dans un même état initial par exemple.
L'interprétation rétrocausale de la corrélation mesure faible/mesures fortes postérieures"
- On considère un ensemble de, mettons, 5000 spin 1/2 tous en état de spin vertical up,
- on procède à la moyenne des mesures faibles de spin vertical de ces 5000 spin 1/2,
- on procède à la moyenne des mesures faibles de spin horizontal de ces 5000 spin 1/2,
- on constate, ce n'est pas bien surprenant, que le résultat de mesure faible vertical est conforme à l'état de spin vertical up.
- On trouve que le résultat de mesure faible horizontal a une moyenne nulle.
Pas de surprise pour l'instant donc.
Maintenant :
- on réalise postérieurement à ces mesures faibles, une mesure forte de spin horizontal,
- on sépare les spin 1/2 en deux groupes :
- le groupe d'environ 2500 spin 1/2 se retrouvant en état de spin horizontal droit (50% de spins droits obtenus conformément aux statistiques quantiques)
- le groupe d'environ 2500 spin 1/2 se retrouvant en état de spin horizontal gauche (50% de spins gauches obtenus conformement aux statistiques quantiques)
On fait la moyenne des mesures faibles des spins 1/2
post-sélectionnés en état de spin horizontal droit. Et là, oh surprise ! On constate que les résultats de mesure faible
antérieurs à ces résultats de mesure forte avaient anticipé ces résultats de mesure forte. La moyenne des mesures faibles de spin horizontal
confirme le spin horizontal droit obtenu par des mesures fortes pourtant postérieures.
La corrélation mesures faibles/mesures fortes antérieures est donc parfaitement symétrique de la corrélation mesure faibles/mesures fortes postérieures. La symétrie T ne saute pas à nos yeux d'observateurs macroscopiques mais elle s'avère parfaitement respectée.
Symétrie T, rétrocausalité et principe de causalité
Aharonov et Vaidman proposent d'interpréter cette corrélation time-symmetric entre mesures fortes et mesures faibles comme une action
causale des mesures fortes antérieures et
rétrocausale des mesures fortes postérieures agissant, pour ces dernières, à rebrousse-temps sur les mesures faibles antérieures.
Bien noter que cette interprétation
n'est pas requise par les résultats d'observation. Elle est seulement
compatible avec les faits d'observation et
suggérée par le fait que la corrélation des mesures fortes antérieures avec les mesures faibles est exactement la même que la corrélation des mesures fortes postérieures avec ces mêmes mesures faibles.
La formulation dite time-symmetric de la physique quantique proposée par l'école de pensée des Aharonov, Vaidman et consort considère le principe de causalité comme une conséquence du manque d'information de l'
observateur sur les évènements futurs.
L'information accessible à l'observateur, les évènements passés, les évènements futurs
Détaillons un peu ce point. Nous avons accès à des traces facilement décodables du passé :
- les os de dinosaures attestant de leur existence passée,
- l'herbe mouillée ce matin après un orage attestant du fait qu'il a plu la veille,
- les couches sédimentaires attestant des (et nous informant sur) les évolutions géologiques passées,
- les cernes de croissance des troncs d'arbres visibles quand on les coupe...
Ces traces irréversibles du passé (enregistrées dans des bains thermiques) assurent, grâce à une forte redondance de l'information, reproductibilité et robustesse des informations ainsi enregistrées. C'est la base de notre interprétation de ce qui est passé et de ce que sont les propriétés perçues comme objectives de l'univers observé.
A l'inverse, nous n'avons pas de traces facilement décodables du futur :
- pas d'os des futurs animaux n'existant pas encore,
- vaguement quelques nuages noirs suggérant la possible survenue d'un orage,
- pas de cernes attestant de la croissance future des arbres...
Les atomes formant les os des futurs animaux sont pourtant déjà là. Voui mais pas assemblés sous une forme facilement décodable. De plus, certains de ces atomes ne sont peut-être pas encore présents sur notre planète.
Au vu de ces éléments, où donc est-elle la dissymétrie temporelle qui transforme la corrélation mesures faibles/mesures fortes antérieures en relation de causalité, alors que cette même relation de corrélation, mais entre mesures faibles et mesures fortes postérieures, n'est pas perçue comme une relation de causalité ?
La causalité, c'est nous qui en sommes à l'origine en raison de notre manque d'information relativement à des évènements que nous classons dans la catégorie évènements futurs car nous n'avons pas, à leur sujet, d'informations
- facilement décodables,
- stockées de façon fortement redondante (donc robustes aux agressions de l'environnement et lisibles sans altération donc reproductiblement)
- dans des enregistrement irréversibles (des bains thermiques) donc lisibles sans altération ou perte d'information par les observateurs macroscopiques que nous sommes.
Bref :
- les faits que nous classons comme des faits futurs sont ceux pour lesquels nous n'avons pas d'accès à une information facilement décodable,
- les faits que nous classons comme des faits passés sont ceux pour lesquels nous avons accès à une information facilement décodable.
Le principe de causalité se traduit par des relations cause-effet se propageant du passé vers le futur. Ces relations causales sont les relations de corrélation entre des évènements présents et des évènements que nous classons comme appartenant au passé parce que nous avons, à leur sujet, des informations irréversiblement enregistrées (dans des bains thermiques), donc facilement décodables, robustes et lisibles de façon reproductible. Le principe de causalité apparaît donc, de ce point vue, comme la conséquence de nos limitations d'accès à l'information.
(1) Qui plus est, les mesures faibles ne provoquent qu'une faible intrication, à la chat de Schrödinger, avec l'appareil de mesure, contrairement au cas des mesures quantiques fortes où l'appareil de mesure se met dans un état quantique superposé corrélé avec les différents états quantiques possibles du système observé à l'issue de la mesure.
(2) Les systèmes régis par une dynamique dite du chaos déterministe n'échappent à cette règle de prévisibilité qu'en raison de la précision nécessairement limitée avec laquelle on peut mesurer l'état initial du système observé. Toutefois, pour de tels systèmes (dits non intégrables au sens de Poincaré), par passage à la limite dite thermodynamique dans le cadre des modèles de l'école dite de Bruxelles-Austin impulsée par Prigogine, il y a apparition simultanée d'indéterminisme et d'irréversibilité, c'est à dire fuite d'information sans avoir à l'introduire "à la main" (contrairement à ce qu'est contraint de faire Boltzmann, via l'hypothèse dite du chaos moléculaire dans son étude de l'évolution irréversible de l'état d'un gaz parfait isolé), .