Jean-François,
Peut-être, mais ce ne sont pas non plus ceux qui observent... et qui ont tendance à "sexualiser" (plus ou moins, selon les cas) leurs interprétations. A moins d'une étude sérieuse que je ne connais pas, je continuerai à penser qu'il y a beaucoup de pensée sélective qui entre dans le maintien du complexe d'Oedipe.
Les préjugés des observateurs ont certainement beaucoup d'influence sur leurs observations. Ce n'est pas vrai seulement dans ce domaine et tu le sais bien.
Mais j'ai parlé de comportement très "cru" justement parce que l'interprétation qu'on en fait est moins sujet à équivoque. Par exemple, un petit garçon de 5 ans m'avait été amené par ses parents adoptifs parce que, 2 ans après la mort de sa mère, il présentait toujours d'importants problèmes. Dans une situation test assez standard, je lui propose la maison de poupées. Il met en scène les personnages et, au milieu de son jeu solitaire, il fait dire à la poupée garçon à propos de la poupée fille: "À non, à non, on la lui a coupée!" Stupéfait, j'interviens et lui demande : "Qu'est-ce qu'on lui a coupé?" Il se retourne et me dit: "B'en voyons, le pénis!". Je puis dire aussi que n'ai pas assez de doigts et d'orteils pour compter le nombre de fois où, dans la même situation de tests non directifs, des enfants (filles mais surtout garçons) vont mettre la tête de la poupée qui les représente sous la jupe de la poupée "maman", avec à la suite une mise en scène de chicane et punition.
Tu pourras chercher à interpréter ça autrement. Tu pourras même mettre en doute la valeur de mes observations. Tu pourras, avec raison, soulever l'hypothèse que mes préjugées ont orientés mon attention sur des indices compatibles avec la théories que je connaissais en occultant les indices qui auraient conduit vers d'autres hypothèses. Mais voilà, nous sommes nombreux à faire ces observations. Ensuite, même dans les enregistrements longitudinaux systématiques expérimentaux effectués par des parents (non initiés à la psychanalyse) nous remarquons le même genre d'observation.
On ne peut faire une règle générale d'une somme de cas particuliers, mais il n'est pas trop imprudent d'affirmer que le comportement et les verbalisations des enfants nous fournissent des indices suggérant qu'ils ont souvent des préoccupations à caractère sexuel bien avant l'âge de la puberté. Il n'est pas trop imprudent d'affirmer que ces mêmes observations suggèrent que les parents sont au centre de ces préoccupations. Il n'est pas trop imprudent, non plus, d'affirmer que certains enfants interprètent les différences anatomiques entre les garçons et les filles comme le résultat d'une émasculation.
Je ne sais pas si des recherches expérimentales ont porté spécifiquement sur la chose. J'y vois des problèmes techniques et des problèmes éthiques. Je sais par contre que des recherches expérimentales portant sur des sujets connexes ont montré ces choses. Je me rappel, par exemple, que des collègues mettaient en doute la pertinence d'utiliser les poupées sexuées (avec des pénis et des vagins) pour évaluer les enfants soupçonnés d'être victimes d'agressions sexuelles. Pour vérifier la chose, ils ont constitué deux groupes: l'un expérimental composé d'enfants victimes d'agression sexuelles et un autre composé d'enfants n'ayant vraisemblablement pas été victimes de telles agressions. Le nombre de sujets mettant en scène les poupées dans des activités à caractère sexuel était presque égal dans les deux groupes. Donc pas besoin d'avoir été victime d'agression pour produire de telles mises en scène.
Sauf, peut-être, à considérer une version simplifiée comme celle que tu avances (et encore, le "toujours" m'apparaît un peu fort). Mais, la version habituelle est plus spécifique: attachement ou désir à connotation sexuel envers le parent du sexe opposé et relation ambivalente, voire haineuse envers le parent du même sexe.
Je suis heureux que tu en parles. Lorsqu'un auteur critique le Complexe d'Oedipe à partir de cette version, je sais immédiatement qu'il ne connaît pas bien la théorie freudienne. Cette version n'est pas la théorie freudienne du complexe d'Oedipe. Ce n'en est qu'un schématisation hyper-simplifié, un peu comme un schéma grossier qui représente le neurone dans un manuel de niveau secondaire. As-tu déjà rencontré des neurones aussi simples sous un microscope?
Dans la théorie, la forme positive du complexe est attenante à sa forme négative. Ces deux formes dépendent elles-même du destin particulier des préfigurations préoedipiennes, de la configuration particulière de la famille et de la somme des expériences de l'enfant particulier avec ses deux parents et avec les autres personnes importantes dans son environnement. Si tu y ajoutes les prédispositions héréditaires de l'enfant (que Freud souligne fréquemment dans ses oeuvres) tu approches davantage la complexité du problème. D'une certaine façon, la version simplifiée que je t'en ai donné est plus souple et fidèle à la diversité des cas de figure que nous rencontrons dans la clinique. C,est à peu près celle formulée par Otto Fénichel.
Alors dire que le complexe d'Oedipe airait été démontré "faux"? Laissez moi rire!