Certains physiciens interprètent les effets quantiques time-symmetric comme des
effets rétrocausaux, cad la modification d'évènements présents sous l'action d'évènements futurs. Y aurait-il violation du principe de causalité ? Pour étudier l'interprétation dite rétrocausale (cf. "
Can a future choice affect a past measurement's outcome ?"), prenons l'exemple classique de l'expérience dite du
choix retardé.
Commençons par la traditionnelle
expérience des fentes de Young
L'expérience des fentes de Young
Un faisceau dit cohérent de photons (cad de mêmes longueurs d'onde) est envoyé sur les 2 fentes d'une classique expérience d'interférence par fentes de Young. 2 configurations de mesure 1/ et 2/ sont envisageables :
- 1/ les photons passent par une fente ou par l'autre si un détecteur permet de le savoir
.
- 2/ les photons passent "en cachette" par les 2 fentes à la fois si aucun moyen de détection ne permet de savoir par quelle fente les photons sont passés
Les photons sont ensuite projetés sur un écran et leur interaction avec cet écran se traduit par des impacts ponctuels sur l'écran
- Dans le 1er cas, les impacts forment une tâche ronde. Les photons se comportent comme des petites billes traversant les 2 fentes.
.
- Dans le 2ème cas, les impacts prennent la forme d'une figure d'interférence. Les impacts des photons sur l'écran ont tendance à se grouper en franges brillantes et franges sombres correspondant aux zones de l'écran où l'onde quantique associée à un photon interfère constructivement ou destructivement avec elle-même (même quand un seul photon à la fois impacte l'écran).
C'est la dualité onde/particule. Le résultat d'une mesure quantique ne caractérise pas une propriété intrinsèque du système observé, mais une propriété de l'interaction du système observé avec l'appareil de mesure. Le caractère ondulatoire ou particulaire observé n'est pas propre aux photons. Il dépend de ce que nous décidons d'observer. On dit de la mesure quantique qu'elle présente un caractère contextuel.
Nous sommes définitivement des obsera
cteurs et non de simples marionettes de lois fondamentales déterministes et objectives.
Expérience du choix retardé et rétrocausalité (1)
Les suprises ne sont pas terminées. On peut configurer un système d'observation des photons tel que la décision d'observer la fente par laquelle sont passés les photons ou, au contraire, l'absence d'une telle observation, soit décidée
après que les photons aient impacté l'écran 1. Là, oh surpise !! La présence où l'absence de franges d'interférence se manifeste
après que que ce
choix ait été fait. Une interprétation parfois proposée est celle selon laquelle une action ultérieure à l'observation des franges d'interférence peut induire leur présence ou leur absence. L'acceptation ou le refus de cette interprétation rétrocausale présente un caractère assez subtil.
Déroulement de l'expérience du choix retardé
L'expérience du
choix retardé fonctionne ainsi. Derrière les 2 fentes, un crystal BBO (Barium Boron Crystal) "découpe" les photons incidents en 2 photons EPR corrélés dits photons jumeaux :
- un photon dit photon signal envoyé sur les détecteurs de l'écran 1 (cf. la vidéo ci-dessous)
- un photon dit photon témoin permettant de savoir, bien plus tard, ce qu'a fait le photon signal.
Il est possible de savoir par quelle fente un photon signal est passé en observant,
beaucoup, beaucoup plus tard, son photon jumeau dit photon témoin.
On a 2 possibilités A/ et B/, toutes 2
ultérieures à la projection des photons signaux sur l'écran 1
- A/ une possibilité, consiste à observer par quelle fente est passée le photon témoin (détecteurs 2 et 3 dans la vidéo qui suit). Comme le photon témoin est passé par la même fente que son jumeau, le détecteur fournit une information sur la fente par laquelle est passée le photon signal. A cause de la connaissance de la fente par laquelle ces photons témoins sont passés, les photons signaux correspondants impactent l'écran sans former de franges d'interférences.
.
- B/ une autre possibilité consiste à effacer l'information sur la fente par laquelle sont passés les photons témoins. L'effacement de cette information est obtenue par une "gomme quantique". Ce "gommage" d'information sur la fente par laquelle est passée un photon témoin consiste à envoyer ce photon témoin sur des lames, dites lames séparatrices, envoyant ce photon témoin sur un même détecteur quelle que soit la fente par laquelle il est passé.
De façon très choquante, le
choix A/ ou B/, réalisé
bien après, que les photons signaux aient impacté l'écran 1, donne le même résultat que si ce
choix avait été réalisé
avant que les photons signaux n'aient impacté l'écran 1.
L'interprétation rétrocausale de l'expérience du choix retardé est une erreur ?
Selon la vidéo ci-dessous l'interprétation rétrocausale de l'expérience du
choix retardé est "fausse". Qu'en est-il ?
Boy, Was I Wrong! How the Delayed Choice Quantum Eraser Really works (2)
Qu'est-ce qui, en fait, protège le principe de causalité dans l'expérience du choix retardé ?
En fait, le respect du principe de causalité lors de cette expérience est encore plus subtil que l'explication (trop simple) proposée dans la vidéo.
L'absence d'effet rétrocausal, l'impossibilité de modifier le présent en se servant d'effets qui n'existent pas encore (pour nous) est, en fait, une conséquence de notre
ignorance des évènements futurs. En l'occurence on ignore, à l'instant de projection des photons signaux sur l'écran 1, les résultats de mesure des détecteurs 2, 3, 4 et 5 sur les photons témoins. La connaissance de ces résultats futurs nous permettrait de
choisir les photons signaux dont les jumeaux témoins (reçus par exemple par le détecteur 4) ont subi un effacement de l'information sur la fente par laquelle ils sont passés.
Cette information nous permettrait de choisir les photons signaux dont on a effacé (ultérieurement) l'information indiquant par quelle fente est passé le photon témoin. Les photons 1, ainsi choisis, formeraient une figure d'interférence grâce à un effacement pourtant
postérieur à la formation de ces franges d'interférence.
Affirmer, sans complément d'explication, que l'effet rétrocausal n'existe pas est trompeur. Ce que l'on peut dire, c'est que
le futur ne laisse pas de traces qui nous soient accessibles et décodables. C'est ce manque d'information qui nous empêche de nous servir de corrélations entre effets futurs et effets présents pour provoquer un effet présent grâce à ces effets futurs.
Au contraire, grâce aux informations recueillies dans les traces du passé, nous pouvons nous servir des corrélations entre effets passés et effets présents pour provoquer un effet souhaité. Les corrélations sont pourtant time-symmetric...
...mais c'est notre manque d'information sur les effets futurs qui brise la symétrie (CP)T (2).
Finalement, que peut-on dire des traces du passé et quel rôle y joue la grille de lecture de l'observacteur macroscopique ?
Les traces du passé sont une conséquence de notre grille thermodynamique statistique d'observateur macroscopique. C'est de notre ignorance du futur que découle, en fait, le respect du principe de causalité :
- Les traces du passé,
- la classification des évènements en évènements futurs et évènements passés,
- le principe de causalité,
- l'écoulement irréversible du temps (3) et, plus généralement,
- les grandeurs et lois de la physique que nous attribuons à (notre interaction avec) l'univers, grâce aux informations extraites des traces du passé,
sont des conséquences de notre grille de lecture, une grille de lecture caractéristique des êtres vivants
(4).
Si nous n'étions pas myopes, nous serions aveugles
Cf.
The arrow of time issue, an overview pour (beaucoup) plus de détails.
(la vidéo de la conférence sur la flèche du temps, beaucoup moins technique, est encore disponible)
(1)
Experimental realization of Wheeler's delayed-choice GedankenExperiment
V. Jacques, E. Wu, F. Grosshans, F. Treussart, P. Grangier, A. Aspect, J.F. Roch
(2)
The Delayed Choice Quantum Eraser, Debunked.
thewild a écrit : 16 août 2024, 01:18Pour ma part je suis assez convaincu par l'analyse que fait Sabine Hossenfelder de cette expérience :
"The quantum eraser isn't remotely as weird as you think, doesn't actually erase anything, and certainly doesn't rewrite the past."
Dans cette vidéo, Sabine Hossenfelder rappelle que si, sur l'écran recevant les photons signaux, on rassemble les figures d'interférence associées aux photons témoin (photons partenaires selon sa désignation) provenant
séparément des détecteurs D3 et D4 situés
derrière la gomme quantique (voir la figure présentée dans sa vidéo à 6 min 33s), les 2 figures d'interférence ne forment plus qu'une seule figure
sans franges d'interférences.
Pourtant, ultérieurement, quand on dispose de l'information permettant de trier les photons signaux partenaires des photons témoin détectés en D3 par exemple, on peut faire apparaître sur l'écran les franges d'interférence associées à ce détecteur. Alors ? pourquoi ne peut-on pas détecter ces franges d'interférence dès que ces photons ont atteint l'écran ?
Parce que l'observateur ne dispose pas de l'information permettant de savoir quels photons vont impacter D3 et quels photons vont impacter D4. Il ne peut pas (pas encore) faire ce tri parce qu'il ne dispose pas de cette information à ce moment là. Cette information sur les détections enregistrées
ultérieurement en D3 et en D4 est cachée dans son futur. L'observateur peut cependant créer ces figures d'interférence...
...mais
seulement une fois que les détecteurs D3 et D4 ont laissé des traces qui lui soient accessibles, c'est à dire lorsque ces évènements de détection se situent
dans son passé.
Il manque cette remarque pourtant très importante (à mon sens) dans la vidéo de Sabine : l'explication de
ce qui brise la symétrie (CP)T permettant ainsi l'émergence du principe de causalité. Ce qui empêche l'usage de cet "effet rétrocausal", c'est l'absence d'information de l'observateur macroscopique sur les évènements cachés dans son futur en raison de sa grille de lecture thermodynamique statistique
(4). En effet, les évènements futurs ne laissent pas de traces accessibles et décodables par l'observateur. Notre information est T-asymétrique. Elle est là l'origine des propriétés T-asymétriques si familières du temps et sa flèche (cf.
Forget time, C. Rovelli) qualifiées d'illusoires* par les physiciens réalistes au prétexte qu'elles ne sont pas objectives (effectivement, elles ne le sont pas).
*Pour nous, physiciens croyants, cette séparation entre passé, présent et avenir ne garde que la valeur d'une illusion, si tenace soit-elle. Einstein, dans une lettre de condoléance à la famille de son ami Michel Besso mort en 1955 (3 mois avant lui).
(3)
Le temps macroscopique, R. Balian, Colloques de la Société Française de Physique : Interrogations Fondamentales. Première Rencontre : le Temps et sa Flèche décembre 1993.
(4)
Incomplete descriptions and relevant entropies, R. Balian, 1999.