jean7 a écrit :Comment considérer comme inexistant ce qui est au-delà de l'observable ?
C'est une question avec laquelle la physique quantique a, en fait, moins
de rapport qu'on ne lui en prête.
Un bon exemple
de contexte où, par contre, cette question est difficile (ne serait-ce qu’à poser me semble-t-il) est celui
de l’existence d'une étoile absorbée par un trou noir.
On doit poser cette question relativement à un référentiel (afin
de pouvoir donner un sens physique au
présent auquel on a innocemment conjugué le verbe exister).
- Dans le référentiel Schwarzschild, la question donne alors lieu à une réponse simple. Oui, l'étoile est toujours là. En effet, les hypersurfaces 3D de simultanéité de ce référentiel-là restent sagement à l'extérieur de la sphère de Schwarzschild (l'horizon cosmologique du trou noir). Dans ce référentiel-là, le phénomène d’absorption de l'étoile n'a donc jamais lieu au sens de la simultanéité ayant cours dans ce référentiel.
.
- Dans le référentiel de Lemaître (le référentiel des "observateurs" en chute libre partant "de très haut" à vitesse nulle), la réponse est différente. En effet, la chute de l'étoile sur la singularité centrale est extrêmement rapide.
Qu'est alors devenue, au sens
de ce référentiel, l'étoile ratatinée en un point en (un temps propre fini) selon la Relativité Générale (1) ?
La question se situe au-delà du domaine où la science d’aujourd’hui est en mesure
de nous apporter des réponses à coup sûr pertinentes :
- par la possibilité de confrontation directe ou indirecte de ces réponses avec les faits d'observation ou
.
- par des résultats théoriques pouvant être jugés incontestables en raison de nombreuses observations prouvant la solidité de la théorie employée pour les déduire (malgré d’éventuelles difficultés ou impossibilités technologiques d’observation directe ou indirecte de ces résultats théoriques).
Bref, quand on sort du domaine
de notre expérience vécue, ou pire, si l’on « chatouille » les limites
de notre science actuelle, des questions d’apparence simple ne le sont plus du tout. Elles peuvent même être source
de difficulté pour savoir s’il est possible
de leur attribuer une signification physique précise (autrement dit, prenant un sens par des prédictions directement ou indirectement confrontables à l’observation) grâce à une formulation appropriée.
Concernant la physique quantique, on constate souvent certaines erreurs d'interprétation en raison
de deux confusions :
- La confusion entre effet non observable et effet non observé
- la confusion entre existence d'un objet (un électron par exemple) et existence de l'une de ses propriétés (sa position par exemple)
Pour lever la confusion entre
inobservable et
inobservé, l'exemple
de l’arbre qui tombe sans témoin dans la forêt est un bon moyen
de comprendre en quoi consiste cette confusion.
Quand personne n’observe l'arbre qui tombe dans la forêt, ce phénomène est cependant
observable. En effet, ce phénomène laisse
des traces observables et le bruit qu'il fait aussi d'ailleurs (puisque les ondes sonores laissent des traces, certes faibles au bout d'un certain temps, noyées dans d'autres sons, puis transformées en chaleur, mais en principe toujours observables sous une forme ou une autre).
Affirmer qu'un arbre tombant dans la forêt existe et fait du bruit quand il tombe, même en l’absence
de quelque témoin que ce soit, ne pose donc pas le moindre problème puisque le phénomène est
observable (au moins en théorie) par les
traces irréversiblement enregistrées dans son environnement lorsque ce phénomène se produit.
curieux a écrit : 12 août 2019, 17:30Un exemple, déjà évoqué, la position
de l'électron autour
de son noyau atomique, dire qu'il est inexistant est un abus
de langage, ce qui n'existe pas c'est la possibilité
de prédire là où il se trouve avec précision.
En fait, affirmer que l’électron n’existe pas quand on ne l’observe pas résulte, comme indiqué en réponse à jean7, d’une confusion entre :
- inexistence de la position de l’électron,
- inexistence de l’électron lui-même (confusion entre un objet et l’un de ses attributs).
Pour être plus précis, ce qui n'existe pas n'est pas la
possibilité de prédire la position
de l'électron (comme ce serait le cas pour une pièce
de monnaie cachée quelque part sous une soucoupe), c'est
la position elle-même de l'électron qui n'existe pas et non la connaissance
de cette position (une position qui existerait, objectivement, avant même son observation, selon une interprétation réaliste naïve
de l’état quantique que l'on sait incompatible avec les faits d’observation).
La fonction d'onde
de position
de l'électron
n'est pas une distribution de probabilités nous donnant la probabilité que l'électron se trouve à tel ou tel endroit. En effet, cette
position est
créée par l’observation. Cette position
n'existe pas avant qu'on l'ait mesurée.
La différence cruciale entre fonction d'onde et distribution
de probabilités (le carré
de la norme
de la fonction d'onde) se traduit, expérimentalement, par l'expérience des fentes
de Young. On peut, en effet, réaliser cette expérience avec un rayonnement lumineux mais aussi avec des particules matérielles. On a d'ailleurs réalisé des expériences d’interférence
de type fente
de Young avec des molécules (C60)
de fullerenne.
Si la fonction d'onde (
de position) était simplement une distribution
de probabilités indiquant où se trouve l'électron ou quelque particule que se soit
préalablement à son observation, alors l'expérience des fentes
de Young ne pourrait pas donner lieu à des effets d'interférence.
Ces effets d’interférence permettent en effet
de distinguer :
- le cas où la position de la particule existe mais n’est pas connue (mélange statistique ne donnant pas lieu à des effets d'interférence, par exemple la position préexistante à l'observation mais inconnue de la pièce de monnaie sous une soucoupe)
- du cas où la position de la particule n’existe pas (état de position superposé).
L'expérience illustrant
de la façon la plus frappante la propriété
de non existence d'une position avant sa mesure quantique (et l'importance cruciale, à mon avis,
de la notion d'
enregistrement irréversible d'information lors d’une mesure quantique) c'est l'expérience dite du Stern et Gerlach réversible (cf.
Decoherence and the Transition from Quantum to Classical Revisited Zurek Figure 1A un Stern et Gerlach réversible).
En effet, lorsqu'un atome d'argent (en état initial
de spin vertical up par exemple) sort d'un Stern et Gerlach à axe horizontal, si on ne mesure pas sa position
de sortie (à droite ou à gauche), alors :
- la partie de sa fonction d'onde qui sort à gauche,
- et la partie de la fonction d'onde qui sort à droite,
peuvent être recombinées en un atome d'argent unique
de spin vertical up.
Cette recombinaison devient par contre impossible si on observe la position
de l’atome d’argent à la sortie du Stern et Gerlach à axe horizontal. En effet, en cas d’observation
de cette position (par interaction avec un instrument
de mesure ou avec l’environnement) cette position et le spin horizontal qui va avec se mettent à exister. L’autre composante
de spin horizontal et la position associée disparaissent victime
de la réduction du paquet d’onde (réduction du paquet d'onde engendré par cette interaction irréversible avec un instrument d’observation (2)).
curieux a écrit : 12 août 2019, 17:30Grosso modo c'est dans ce sens qu'on peut dire qu'il n'existe pas sans avoir été observé.
Ce n'est pas l'électron qui n'existe pas avant sa mesure
de position, c'est sa position qui n'existe pas encore. La confusion entre l'objet (qui lui existe) et ses propriétés (qui n'existent pas avant leur mesure quand l'objet n'est pas déjà dans un état propre des observables mesurées) est d'ailleurs un piège potentiel dans lequel il est assez facile
de tomber quand on commence à étudier le sujet.
curieux a écrit : 12 août 2019, 17:30Donc, rien à voir avec une phrase du genre "un arbre qui tombe sans témoin dans la forêt : fait-il du bruit ?"
Bien sûr.
Dans ce cas la mesure est faite tout de suite. Le phénomène engendre, en effet, immédiatement des enregistrements irréversibles (des mesures) dans son environnement. Le phénomène, même s'il est inobservé est, par contre, observable, donc il existe.
curieux a écrit : 12 août 2019, 17:30Idem pour le cas évoqué maintes fois
de l'intrication quantique, c'est la mesure faite par Bob qui détermine le résultat
de la mesure faite par Alice.
On ne peut pas dire ça. Sans information préalable, les résultats
de mesure
de Bob ne permettent pas
de déterminer les résultats
de mesure d'Alice (cf. le
no-communication theorem).
Toutefois :
- si, avant réalisation de leurs mesures de polarisation, Alice et Bob se mettent d'accord sur une succession d’orientations identiques de leurs deux polariseurs,
- et s’ils se mettent en œuvre ces orientations successives dans l'ordre sur lequel ils se sont mis d'accord au préalable,
il en va différemment.
En effet, dans ce cas (en laissant
de côté les considérations d’efficacité
de détection des capteurs), Bob et Alice sont immédiatement informés du résultat obtenu
des deux côtés, grâce à la corrélations parfaite entre résultats aléatoires
de mesure d'Alice et résultats aléatoires
de mesure
de Bob, à savoir :
- A_horizontal/B_vertical ou A_vertical/B_horizontal,
- A+45+/B-45° ou A-45°/B+45°,
- A_circulaire droit/B_circulaire droit ou A_circulaire gauche/B_circulaire gauche…
curieux a écrit : 12 août 2019, 17:30Avant ces mesures on n'a aucun moyen
de savoir quel sera le double résultat concordant parce que TOUS les résultats sont possibles en même temps mais qu'aucun n'est dévoilé.
Une petite précision complémentaire. Dans l’expérience dite EPRB (réalisée avec des paires
de photons EPR corrélés), quelles que soient les orientations alpha et bêta des polariseurs A d'Alice et B
de Bob, il n'y a que 4 résultats d’observation possibles, à savoir, en symbolisant par plus et moins les résultats
de polarisation perpendiculaires :
- A(alpha)+, B(bêta)+
- A(alpha)+, B(bêta)-
- A(alpha)-, B(bêta)+
- A(alpha)-, B(bêta)-
Pour des angles alpha et bêta des polariseurs convenablement choisis (alpha-bêta = 22.5°), ces résultats se distribuent selon des probabilités
violant les inégalités de Bell.
Cette violation réfute l’hypothèse réaliste ET locale dite des variables cachées locales. Il s'agit
de l'hypothèse, fausse, selon laquelle les deux photons partiraient en se "mettant", préalablement à leur départ, "suffisamment d’accord" sur les réactions à avoir selon les orientations alpha et bêta afin d'obtenir la meilleure corrélation possible (comme le cas encore plus simple
de l’envoi
de deux morceaux
de papier, l’un blanc et l’autre noir, envoyés dans deux enveloppes, l’une à Alice et l’autre à Bob).
La violation des inégalités
de Bell, vérifiée expérimentalement (cf.
l'expérience d'Alain Aspect réalisée en 82) est plus forte que la corrélation pouvant être obtenue dans le cadre d'une interprétation réaliste ET locale ET respectueuse du principe
de causalité
de l'effet EPR.
Par ailleurs, si Alice et Bob choisissent une même orientation alpha
de leurs deux polariseurs, il y a alors seulement deux résultats d’observation possibles :
- A(alpha)+, B(alpha)-
- A(alpha)-, B(alpha)+
La violation des inégalités
de Bell atteste du caractère explicitement non local
de l’effet EPR quand on en adopte une interprétation réaliste à la Einstein (cf. les éléments
de réalité évoqués dans l’article
EPR ET que l'on admet le principe
de causalité (les causes précédent les effets).
A noter que si l'on décide
de limiter l’attribution d’un caractère causal seulement à des corrélations entre évènements dans le sens passé --> futur, le principe alors T-asymétrique
de causalité ainsi défini recoure, en fait, à l’absence d'information
de l'observateur sur des évènements futurs. Cette absence d'information est due à l'absence d'enregistrement irréversible
de ces évènements futurs (
irréversible au sens d’une création d’entropie pertinente pour ces observateurs).
Doit-on considérer que ces évènements futurs n'existent pas encore ? Si on adopte le point
de vue selon lequel ce qui n'est pas observable n'existe pas, il me semble tentant
de répondre par l'affirmative (3).
(1) « Ratatinage ponctuel »
de l'étoile sur la singularité centrale du trou noir d’ailleurs incompatible avec la relation d’incertitude position-impulsion
de Heisenberg. Ce n’est pas une surprise car on ne dispose pas encore
de théorie modélisant l’interaction gravitationnelle qui soit compatible avec la formalisation actuelle la plus aboutie
de la physique quantique.
(2) ou simplement une interaction irréversible avec l’environnement du Stern et Gerlach. L’environnement joue alors le rôle d’instrument
de mesure comme les marques irréversibles laissées par la chute
de l’arbre tombant dans la forêt. A cause
de ces traces irréversibles, on ne peut pas facilement "détomber" l’arbre (bien que ce soit possible, d’un point
de vue purement théorique, en raison
de la symétrie CPT des lois
de la physique, cf. le paradoxe
de l’irréversibilité).
(3) Adoptant au contraire un point
de vue réaliste (point
de vue selon lequel la réalité serait susceptible
de posséder des propriétés indépendantes
de leur observation), Aharonov et Elitzur, refusent d'attribuer au principe
de causalité le caractère, non objectif, d’un manque d'information
de l'observateur.
Or les corrélations entre évènements futurs et évènements présents (comme la corrélation entre mesures fortes et mesures faibles antérieures) sont time-symmetric. Sans référence à l’absence d’information
de l’observateur sur les résultats
de mesure futurs il n’est plus possible d’attribuer :
- un caractère causal à ces corrélations dans le sens présent --> futur
- l’absence d’un tel caractère dans le sens futur --> présent.
En effet, la seule chose distinguant la
corrélation time-symmetric entre mesures fortes et mesures faibles selon leur ordre chronologique, c'est le fait suivant :
quand les mesures fortes
succèdent aux
mesures faibles, l'observacteur
ne connait pas encore le résultat des mesures fortes (du spin vertical
de particules
de spin 1/2 par exemple). Il ne peut donc pas sélectionner, avant mesure faible, les particules qui, après des mesures fortes, posséderont un spin vertical up par exemple.
C’est cette sélection (postérieure aux mesures fortes) qui permet d'obtenir une moyenne des résultats
de mesures faibles antérieures conforme à ces résultats
de mesures fortes postérieures. Cette corrélation ne peut donc être constatée qu'
après coup, une fois connus par l’observacteur les résultats
de mesure forte
de spin vertical. Voilà qui confère au principe
de causalité un caractère anthropocentrique.
Le refus, par Aharonov et Elitzur, d’accorder au principe
de causalité ce caractère "subjectif" (objectif d’interprétation réaliste) les conduit alors à attribuer aux corrélations time-symmetric entre mesures faibles et mesures fortes un caractère
symétrique aussi du point de vue de la relation cause-effet (choix d'une orientation
de la relation
de causalité dans le sens mesure fortes --> mesures faibles indépendamment
de leur ordre temporel).
Il s’agit donc d’une interprétation rétrocausale
de la symétrie (CP)T dans le cadre des expériences
de mesures faibles (cf.
Can a Future Choice Affect a Past Measurement's Outcome? Yakir Aharonov, Eliahu Cohen, Avshalom C. Elitzur )
La dissymétrie temporelle
de la relation cause-effet apparaît donc seulement si l’on accepte
de prendre en compte les limitations d’accès à l’information
de l’observateur pour définir la notion
de relation causale (au besoin, en l’absence d’observacteur, selon une expérience
de pensée implicite comme, par exemple, la préparation, bien sûr fictive, d’un glissement
de fond sous-marin pour engendrer un tsunami. L’évolution en sens inverse est théoriquement possible, selon les lois fondamentales
de la physique, mais inaccessible en pratique par un observacteur avec ses « gros doigts maladroits » d’observacteur macroscopique).
Faut-il préférer le choix
de l’interprétation positiviste ou le choix d’une interprétation réaliste donc rétrocausale ?
Ça dépend du degré
de préférence que l’on a :
- pour l’interprétation réaliste (le principe de causalité ne doit rien à l’observateur) conduisant à une interprétation rétrocausale de la relation entre mesures fortes et mesures faibles antérieures.
- Pour, au contraire, le principe de rasoir d’Occam en raison de son efficacité (ce qui ne peut être observé, comme des résultats de mesure futurs) n’existe pas (en tout cas pas avant que l’on ait réalisé la mesure).