issigi a écrit : 07 mars 2020, 23:48l'illusion existe-elle ?
Oui.
Une illusion est une erreur d'interprétation.
Par exemple, si je plonge un bâton dans l'eau (ou un couteau dans un évier rempli d'eau en faisant la vaisselle à la main) je le vois cassé.
Ce que je vois n'est pas une illusion, c'est une conséquence physique, réelle, du
phénomène de réfraction de la lumière lors de son passage dans l'eau.
Ce qui est une illusion, autrement dit une erreur d'interprétation, c'est de penser que le bâton est cassé. L'illusion, mon erreur d'interprétation, peut parfaitement exister si, par exemple, j'ai 5 ans et que mon père ne m'a pas encore expliqué le phénomène de réfraction.
Il en est de même pour le mirage d'une ville ou d'une oasis observée dans le désert à un emplacement où, en fait, il n'y a rien. C'est une illusion si je crois qu'il y a vraiment une ville ou une oasis à l'emplacement où je crois l'observer. Ce n'est plus une illusion si j'interprète correctement le phénomène comme la réflexion de l'image de l'objet en question sur une couche d'air chaud. Dans un mirage,
les objets que l'on voit existent réellement, seulement il ne sont
pas à l'emplacement où on croit les voir.
issigi a écrit : 07 mars 2020, 23:48l'abstraction, la nature conceptuelle de tout ce dont on a conscience existe-elle ?
Oui, si l'on interprète l'abstraction en question comme un outil de prévision.
Non si on accorde à cette abstraction le statut de fidèle représentation de propriétés structurelles
interprétées comme objectives d'un phénomène ou d'un objet observé par exemple. Dans cette seconde option, c'est une illusion, c'est à dire une erreur d'interprétation.
issigi a écrit : 07 mars 2020, 23:48le temps existe-il ?
Oui puisqu'on observe son écoulement.
Ce qui est une illusion (c'est d'ailleurs le cas pour toute grandeur physique aussi objective qu'on la pense être) c'est de croire que l'écoulement irréversible du temps ne doive rien à l'
interaction entre l'univers que nous observons et une classe d'observateurs. L'écoulement irréversible du temps, comme toute autre grandeur physique, est une propriété de l'interaction entre l'univers et une classe d'observateurs.
L'écoulement irréversible du temps, l'observation de traces du passé (beaucoup, beaucoup, beaucoup plus reproductible et beaucoup, beaucoup, beaucoup plus stables que l'observation de traces du futur) est très directement la conséquence de notre myopie d'observateur macroscopique (
la fuite d'information hors de portée de l'observateur macroscopique).
Ce qui est une illusion, c'est d'attribuer à l'écoulement irréversible du temps (ou à toute autre propriété ou phénomène physique d'ailleurs) le statut de phénomène physique objectif (autrement dit de phénomène qui ne devrait absolument rien à l'observateur) alors qu'il est seulement intersubjectif.
Cela correspond sensiblement à une interprétation du type suivant, parfaitement en phase avec notre gros bons sens commun, issue de notre expérience vécue, profondément enracinée en nous et perçue comme une évidence incontestable :
- le temps s'écoulait avant même qu'un singe un peu plus malin que les autres ne se dresse sur ses deux pattes arrières, puis, peu à peu, parvienne à se considérer lui-même comme objet d'étude et soit en mesure de construire des abstractions, des outils prédictifs donc, de ce qu'il observe.
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- Les dinosaures sont définitivement morts il y a 65 millions d'années. Ils ne sont pas restés suspendus entre la vie et la mort, en état chat de Schrödinger, en attendant patiemment les observations d'un paléontologue compétent pour décider de mourir.
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- Les causes précèdent objectivement les effets, c'est à dire indépendamment du rôle joué par le manque d'information de l'observateur sur les évènements à venir dans l'attribution d'un caractère de relation causale à une corrélation entre évènements passés et évènements futurs (comme par exemple la relation de corrélation entre mesures quantiques faibles pourtant antérieures à des mesures quantiques fortes). C'est bien le choc d'un astéroïde sur la terre, il y a 65 millions d'années, qui a objectivement causé la disparition des dinosaures. L'existence et l'interprétation des traces du passé qui en attestent ne doivent absolument rien aux observateurs que nous sommes etc, etc...
Quand on affirme tout ça relativement à l'écoulement irréversible du temps, on est dans la situation de l'observateur d'un mirage qui croit voir l'objet à l'emplacement que tend à lui faire croire l'observation du mirage. C'est ce que tend à lui faire croire le passage par un filtre interprétatif, notre gros bon sens commun : ce que j'observe se trouve forcément là où je pense l'observer et c'est forcément ce que je pense voir.
Le phénomène observé, l'écoulement irréversible du temps, existe bien puisqu'on l'observe, mais, si on lui attribue un caractère de phénomène physique objectif totalement indépendant d'une classe d'observateurs (en gros, à mon avis, au moins tous les êtres vivants ou pouvant être interprétés comme vivants selon une définition éventuellement un peu élargie, notamment aux virus) il n'est pas là où on pense qu'il se trouve. C'est ça une illusion : une erreur d'interprétation.
Il en est de même pour le libre arbitre. Il existe puisqu'on observe notre aptitude à faire des choix conscients entre différentes options.
Le libre arbitre devient au contraire une illusion si on imagine que ce libre choix est indépendant de la matière dont nous sommes constitués ou si on s'imagine que ces choix sont, d'une certaine façon, selon une vision déterministe et objective de la physique, prédéterminés à l'avance (1).
issigi a écrit : 07 mars 2020, 23:48l'histoire préexiste à son écriture toujours, même abstraite, fictive, illusoire.
Lhistoire du passé ou celle du futur ? Selon nos connaissances actuelles, la physique n'est pas déterministe. Cela signifie (cf. le fil déterminisme et prévisibilité) que nous n'avons pas accès à l'information qu'il nous serait nécessaire de connaître pour faire des prédictions reposant sur la seule connaissance de l'état initial du système considéré (comme c'était sensé être possible au plan du principe dans les modèles d'évolution déterministes proposés par la science de la fin du 19ème siècle)
(1) Un héritage culturel issu de notre science de la fin du 19ème siècle, culture dans laquelle nous baignons encore aujourd’hui, sans toujours le savoir, par une sorte d'effet d’hystérésis. La culture et les croyances, ça évolue doucement. Heureusement d'ailleurs car de telles évolutions déstabilisent une société quand elles sont trop rapides.