Malkovitch a écrit :De plus, je peux difficilement aborder mon rapport à moi-même avec le même détachement que mon rapport aux idées et aux objets. :
Ce n'est qu'une question de considération et de pratique. Certains comédiens (ou pensons aux agents doubles qui doivent infiltrer un groupe pendant des années) arrivent à s'oublier complètement (et parfois même à devenir ce qu'ils jouent). Encore une fois, bien que ce soit difficile et pas accessible à tous (j'en conviens), « jouer » avec sa personnalité et son identité est loin d'être impossible. Suffit de jouer le rôle qui vous permet d'être aussi détaché envers vous-même qu'aux idées et objets, comme si vous étiez un grand acteur maintes fois oscarisé. Au début, vous aurez l'impression de faire semblant, mais comme toute autre chose qu'on pratique suffisamment viendra un moment où le cerveau (de par sa plasticité) s'adaptera et vous deviendrez de plus en plus efficace.
Malkovitch a écrit :Adopter la même attitude envers moi-même (si j'y arrive) ne me permettrait pas d'être entier au naturel au moment où je m'observe. :
Lorsqu'on joue du piano (ou de la batterie), viens un moment où l'on doit apprendre à scinder notre attention et concentration en de multiples parties (pour contrôler les bras et les pieds de façon non-symétrique et indépendamment). il est difficile de s'imaginer quand on ne la jamais fait, mais il est possible de transposer cela au niveau de notre conscience d'être pour à la fois être le comédien et le spectateur. C'est-à-dire être capable de jouer naturellement son rôle tout en étant constamment en train de s'observer. À un niveau moindre et non maitrisé, c'est ce qui provoque (entre autres) la gêne ou la timidité chez certaines personnes, parce qu'ils ne cessent de s'observer « par en haut » et de s'auto-évaluer sans être capable de jouer pleinement le rôle qu'ils sont entrain de jouer sur le moment. On peut aussi s'amuser en s'enregistrant/écoutant deux textes différents, à écouter deux conversations simultanément. Après un certain temps, l'écoute parvient à se scinder en deux. Bref, avec de l'imagination on peut imaginer des milliers d'exercices différents.
Malkovitch a écrit :N'est-ce pas justement là une stratégie qu'utilisent les sectes pour faire miroiter la possibilité d'une évolution à vitesse grand V ?
Tout à fait! Vous avez raison. Et puisqu'il n'existe pas encore de discipline encadrée et reconnue professionnellement concernant ce genre de chose (et que la science ne s'y intéresse pas encore dans se sens, excepté pour des psychothérapies, etc.), c'est pourquoi j'en suis venue à la conclusion qu'il était inutile et dangereux de vouloir faire de ce genre d'exercices des systèmes formatés et « prêts à l'emploi » applicable à tous. Parce que, oui, plusieurs écoles de pensées, de mouvements et de gourous utilisent ce genre de prétention pour promettre tout et n'importe quoi. De plus, certaines personnes peuvent mal réagir en jouant avec leurs systèmes et leurs personnalités.
Mais bon, ce n'est pas parce que des escrocs ou des illuminés mélangent tout ou incorporent certaines pratiques à leurs croyances et délires (ou simplement leur naïveté) que, personnellement, on ne peut, tranquillement chez soi, expérimenter ce qui nous plait, par curiosité. De plus, on doit considérer ceci comme des disciplines et rien d'autre. Que ce soit la pratique de la boxe, des échecs, du piano, de la comédie ou celles dont j'évoque avec vous, tous les pratiquants ne deviendront pas des professionnels ou des virtuoses pour autant. Et, surtout parce que je n'ai rien à vendre, je ne prétendrai pas que « tous peuvent y arriver en 30 jours ». De toute façon (et paradoxalement au fait de ma position concernant le libre arbitre sur le forum), je constate que certaines personnes semblent, en effet, aux prises avec une forme de déterminisme (pour ne pas dire de « fatalisme ») qu'il leur est impossible de s'affranchir. J'en viens même parfois à me demander si la notion de « caste » peut avoir une certaine réalité (qui n'aurait rien à voir avec les « races », origines ethniques ou classes sociales cependant) du fait qu'une majeure partie des individus ne semble avoir aucun contrôle sur leur destiné (je sais, encore un point qu'on retrouve chez certaines sectes et certains mouvements [diviser les « élus » des autres pour faire sentir spécial, etc.]. J'ai raté ma vocation de gourou sectaire!

).
Malkovitch a écrit :mais en pratique ça sous-tend que la subjectivité (sensations, émotions, impressions personnelles) est un obstacle à l'évolution.
Dans un sens, oui! L'idée est loin d'être nouvelle : pensons seulement aux vulcains et au personnage de Spock de la série Star Trek, entre autres ( je cite Wiki : «
torturé par un conflit mental entre la raison et la logique de sa moitié vulcaine et les émotions et intuitions de sa moitié humaine. »). Et c'est bien pourquoi d'ailleurs que certains illuminés (ou hommes de pouvoir) prétendent que les sentiments et les émotions sont un obstacle à l'évolution ou sont signe de faiblesse et empêchent de raisonner efficacement et rationnellement, etc. De toute façon, la science est du même avis, elle les nomme « biais émotionnel » et élabore des méthodologies pour les exclure. Bref, c'est un vaste sujet, mais personnellement, je ne dis pas qu'il faille chercher à les éliminer, à ne pas en tenir compte ou à les refouler. Mais de la même façon que je peux me servir de ma main comme outils et l'entrainer à devenir virtuose d'un instrument de musique, je peux entrainer mon système à manipuler ses propres émotions. On pense que c'est impossible en pratique seulement parce que la majorité des gens ne voit aucun intérêt à faire ceci comme hobby. Ce n'est pas rependu, populaire ou enseigné, c'est tout.
Malkovitch a écrit :Si j'arrive à m'observer comme si j'observais quelque chose d'étranger, je suis toujours dans un raisonnement circulaire mais caractérisé par un lien Moi/Objet. Ma pensée n'est objective que dans le fait que je me réduis moi-même à un objet d'observation.
Peut-être. De toute façon, on peut difficilement débattre du degré d'objectivité qu'il est possible d'atteindre, car il n'y a pas d'échelle standard (et général) pouvant servir de référence objective (sauf peut-être tests de QI aculturels, mais ils ne mesurent pas spécifiquement et uniquement l'objectivité àmha). Mais peu importe, parce que les résultats d'une pratique constante (se juger le plus objectivement possible) n'ont qu'à permettre d'obtenir une « objectivité » suffisante pour réaliser ce qui permet d'obtenir de nouvelles informations utiles et exploitables pour soi-même. Et à mon avis, c'est tout à fait réfutable (donc testable). Il serait possible p. ex. de tester des sujets qui prétendent avoir la capacité de se juger objectivement et de comparer leurs observations avec d'autres observateurs (ou d'une IA, d'un programme) en des situations et contexte spécifique.
Malkovitch a écrit :je suis toujours dans un raisonnement circulaire mais caractérisé par un lien Moi/Objet.
Heu... Pour être entièrement et totalement circulaire, il faudrait que ton système soit un système entièrement fermé sur lui-même sans jamais avoir communiqué avec quoi que ce soit d'autre (la seule chose qui existe dans l'univers, ou le seul être ayant une conscience intelligente de ce niveau). L'objectivité totale et absolue n'existant pas, les systèmes que nous sommes jugent de l'objectivité utile en pratique, soit par des méthodologies de validation scientifique, soit par le nombre de pairs qui constate la même chose (les mêmes causes/effets). Ce n'est pas parfait et ça comporte des risques, mais c'est la même chose avec ce qu'on peut faire et pratiquer en privé. Si je juge que mon attitude est correcte en certaines situations, mais que je n'obtiens pas les effets que cette attitude devrait provoquer, ben faut être capable de douter et de se remettre en question. Et si une majorité d'individus juge que mon comportement ou jugement est inapproprié, ben faut se poser des questions même si cela ne garantit rien (la force du nombre peut bien sûr se tromper, mais bien souvent, c'est un indicateur que c'est nous qui nous trompons). Bref, à la suite d'essais/erreurs, on commence à discerner où l'on commet le plus souvent certaines erreurs de jugement en rapport avec les biais émotionnels correspondants. Il faut bien sûr valider ses expériences à l'extérieur du système, c'est sûr!. Faut quand même avoir vécu et continuer de vivre pour maintenir le rapport de contraste entre soi et le monde qui nous entoure. Et c'est d'ailleurs pourquoi il est inutile de passer sa vie dans un monastère ou coupée du monde pour méditer, car on referme le système sur lui-même, justement.