Cogite Stibon a écrit :En quoi la lecture d'un roman devrait-elle influer sur l'appréhension de faits réels ?
richard a écrit :Le parallèle c'est qu'il s'agit de l'histoire d'un crime commis sans état de légitime défense. Je ne peux pas en dire beaucoup plus sans déflorer l'histoire.
On peut noter néanmoins que l'on sait de quoi il retourne dès le début de l'article, l'ouvrage n'étant d'ailleurs ni un récit ni un thriller, mais plutôt une exploration psychologique.
Nous avons tous lu des livres ou vu des films présentant une personne qui en tue froidement une autre pour de bonnes et justes raisons. C'est un thème courant de la fiction. Ces œuvres d'imagination sont motivées par un besoin de défoulement compensatoire. C'est d'ailleurs à cela que sert la création artistique.
En revanche, ce n'est pas la raison d'être de l'information, et encore moins de la justice.
Mettre alors sur le même plan de tels fantasmes littéraires et une véritable affaire judiciaire, c'est risquer de tomber dans les travers conduisant aux manipulations médiatiques que l'on voit tenter de s'opposer à l'exercice du droit, assumé avec déjà beaucoup de difficultés par les autorités et les citoyens.
Il existe néanmoins des ouvrages rapportant des cas réels. Comme par exemple le dernier film de Téchiné
Nos années folles, sorti il y a trois semaines (encore visible dans quelques salles) et qui résonne avec un écho particulier dans cette actualité.
Le scénario est basé en effet sur le livre
La Garçonne et l’assassin (2011) déjà adapté en bande-dessinée sous le titre
Mauvais genre (2013) et qui rapporte l'histoire de Paul et Louise Grappe.
En dire davantage c'est, cette fois, véritablement désamorcer l'intrigue. Quittez donc ce message derechef si vous ne voulez pas gâcher votre séance, ou votre lecture.
Puisque vos êtes encore là, voici les faits (divers) :
le 21 juillet 1928, Louise Grappe, une femme d'une trentaine d'année, tue son mari de trois coups de révolver au domicile conjugal. Au tribunal, elle déclare que son mari, devenu depuis quelques temps alcoolique et violent, la battait et menaçait leur enfant de trois ans. Après dix jours de procès, elle est acquittée.¹
Pourtant l'époque n'est pas farouchement féministe. Il n'y a en outre aucun témoin pour attester la légitime défense, et l'épouse n'a pas subi cinquante ans de brutalité, ni vu ces trois filles endurer des viols à répétition.
Le jury de notables s'est d'abord étonné que cette femme de caractère, et indépendante financièrement, puisqu'elle prenait alors en charge toutes les dépenses du ménage, n'ait pas simplement demandé le divorce. Mais ce qui a fait la différence, c'est en fait le passé du mari. Celui-ci, en effet, avait aux yeux de l'opinion commis trois fautes majeures : déserté en 1915, vendu ensuite ses charmes, travesti en femme, pendant dix ans, et enfin, au sortir de sa clandestinité après l'amnistie collective des déserteurs, étalé ce passé crapuleux sans vergogne et contre rétribution, sur scène et dans les gazettes.
Par conséquent, cette bonne Louise avait, par son geste, débarrassé la société de ce qui n'était finalement, selon les critères de l'époque, qu'un représentant indésirable de la gente masculine.
C'est sans doute un sentiment analogue qui anime aujourd'hui le bon peuple dans l'affaire Sauvage, et motive son désaccord avec trois décisions de justice (puisqu'il faut compter aussi le refus de libération conditionnelle).
Pourtant les jurés d'assises sont de nos jours bien plus représentatifs de la population² que dans les années vingt. Delphine Durançon nous apprend d'ailleurs que les modifications concernant la constitution du jury, opérées après la seconde guerre mondiale, avaient pour objectif de mettre un terme à
« Une vague d'acquittements scandaleux » qui marqua cette justice bourgeoise pendant près d'un siècle et demi.³
Objectif atteint. On le sait, dans les tribunaux, le populo est plus sévère que l'aristo.
Mais dans la rue…
C'est davantage au gré du vent…
1. Les faits divers de Gallica : Paul Grappe, déserteur travesti - gallica.bnf.fr, 29/08/2017
2. La Cour d’assises (…) - L'évolution du recrutement des jurés - Université Paris-Saclay, 2015 - archives-ouvertes.fr, p. 139
3. La Cour d’assises : une juridiction séculaire et atypique en perpétuelle quête de rénovation - archives-ouvertes.fr, p. 135