Folie de quelques-uns...
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L’expérience des Khmers Rouges est évoquée ici, on l’aura compris, au titre de l’homme social et non de l’homme biologique. L’exemple tragique du régime qui, sous le nom de Khmers Rouges, a gouverné le Cambodge de 1975 à 1979, a semblé pertinent pour illustrer une réflexion sur la fabrication de l’humain en politique. En effet, dessiner un homme nouveau a été au cœur de ce projet monstrueux et son observation conduit à une interrogation essentielle : tout projet de fabrication de l’humain ne recèle-t-il pas en réalité une tendance à la destruction de celui-ci ? Alors, le choix de ce cas extrême, dont d’aucuns pourraient penser que par son caractère démesuré il n’est pas utile à la réflexion, apparaît en réalité comme de nature à nous obliger à sonder les recoins les plus énigmatiques de la question du politique, donc de la liberté. Le retour sur cette expérience permet de surcroît de désenclaver la réflexion des problèmes proprement occidentaux.
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Le scientifique qui pousse ses recherches et aborde ou croit aborder le secret de la vie, est en position d’éliminer la contingence ou, avec les thérapies germinales, de la réduire de manière spectaculaire. Les doctrinaires de l’Angkar au Cambodge, éliminaient autrement la contingence, par le caractère caricatural de la planification qui les amenait à régler les destins de manière implacable.
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Il y a derrière le choix de cet exemple une expérience concrète, celle d’un voyage au Cambodge au début du mois d’avril 1979, c’est-à-dire trois mois après la chute des Khmers Rouges provoquée par l’intervention vietnamienne. Cette expérience a laissé des images insubmersibles, celles d’une ville déserte et de lianes exubérantes ayant pris possession des vérandas abandonnées, celles de personnes hagardes errant sur les routes des environs de Phnom Penh à la recherche d’autres survivants, celle des salles du Lycée qui avait servi de centre de tortures et des odeurs de sang séché qui y régnaient alors. Toutefois, dans la volonté de tenir les affects à distance, il faut porter ici l’attention sur deux questions : d’une part, celle des fondements de la doctrine de l’homme nouveau et d’autre part, celle qui conduit, à partir de cette expérience dévastatrice, à reconsidérer et analyser l’interaction de la société et des individus, c’est-à-dire le rôle des normes sociales, des normes juridiques, du projet global et des moyens de le mettre en œuvre dont se dote une société. Autrement dit, comment pouvons-nous renouveler la question complexe des rapports du groupe et de l’un face à la liberté ?
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Pour ce qui est des éléments et des fondements de l’homme nouveau, on relèvera tout d’abord que ce projet est présent dans de nombreux courants religieux et dans toutes les doctrines politiques révolutionnaires. Affiché dans les religions traditionnelles (n’affirme-t-on pas dans la religion catholique que Jésus transforme ceux qui croient en lui ?), il s’amplifie dans les religions dites charismatiques où le bain complet qui tient lieu de baptême est censé renouveler la personne (qui est ainsi « born again »). Et il devient extrêmement dangereux dans les sectes.
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Dans les doctrines politiques, l’expression homme nouveau n’est pas absente de certaines pensées respectables, celle de Franz Fanon ou de Salvador Allende par exemple [1]
[1]Voir notamment Franz Fanon, Les Damnés de la terre, F. Maspero,…
. Mais alors il s’agit simplement de sortir l’homme de la position réifiée que lui confère la plupart des systèmes sociaux et de lui donner des moyens de gagner en conscience politique et d’entrer dans l’action.
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La doctrine de l’homme nouveau est plus marquée et plus opaque dans le développement idéologique de la Chine communiste [2]
[2]Pour un exposé général, voir Edmond Jouve, Relations…
. Si pour Liu Chao Chi le perfectionnement individuel est central, la compatibilité avec la ligne de masse reste problématique. Et la tendance alors dominante (contre celle de Liu Chao Chi) consiste à abandonner toute posture individualiste et à ne plus chercher à s’améliorer que dans l’amour du peuple. « Servir le peuple », tel était le mot d’ordre radical et simpliste des années où le maoïsme était en vogue. Toutefois, dans la plupart des doctrines révolutionnaires, non seulement en Chine, mais aussi à Cuba ou au Vietnam, l’homme nouveau est un homme engagé dans une entreprise de conscientisation, donc de désaliénation. Il y a alors une recherche d’émancipation par la culture qui a pris ici ou là des formes diverses, mais a tenté de s’exprimer par le cinéma, la littérature ou le théâtre, même si ces formes artistiques ont été prises dans un étau dogmatique.
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A cet égard, l’expérience des Khmers Rouges est une exception dans la mesure où le rejet de la culture y était central. En effet, dès 1975, la population est partagée en plusieurs catégories qui subissent des traitements différents [3]
[3]Voir François Ponchaud, Cambodge, année zéro, Julliard, Paris,…
. L’élite que constituent la nouvelle administration et des guerriers du régime, s’appuie sur ce que l’on appelle l’ancien peuple : formé des paysans originaires des provinces occupées par les Khmers Rouges dès la première période, ce dernier est considéré comme étant resté pur et pouvant constituer l’appui de la Révolution. A l’autre extrême, le sous-peuple est formé des partisans du régime précédent, le régime Lon Nol, mais surtout de toutes les professions libérales, les cadres, les intellectuels, les médecins, les enseignants. Ceux-là ne sont pas rééducables et sont appelés à disparaître ou sont soumis à un régime de travaux forcés. Ce fut le cas de Pin Yathay qui, rescapé par miracle, écrivit ensuite le récit de ce qu’il avait vécu sous le titre L’Utopie meurtrière : un rescapé du génocide cambodgien [4]
[4]France Loisirs, 1980.
. Après des études d’ingénieur au Canada, il était devenu fonctionnaire au ministère des Travaux publics du Cambodge. Il raconte comment, dans le départ forcé de Phnom Penh organisé par le nouveau régime, il avait été contraint d’abandonner tous les livres et comment s’exerçaient les contrôles sur les routes : « Jetez cela, disait-on à ceux qui avaient conservé quelques ouvrages ou documents, c’est de la pensée impérialiste, de l’écriture impérialiste ». Avant de réussir sa fuite vers la Thaïlande, le plus grand risque qu’il courait, raconte-t-il, était d’être reconnu par hasard par l’un ou l’autre de ses anciens collègues ou ouvriers, car pour survivre il fallait cacher la formation que l’on avait reçue et jeter ses lunettes, signe révélateur d’un penchant intellectuel condamnable en soi.
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Ceux qui n’étaient pas éliminés comme appartenant au sous-peuple, faisaient partie du peuple de base ou peuple nouveau, objet de la rééducation. Celle-ci était sommaire et plus pratique que théorique. Formé majoritairement d’anciens ouvriers ou paysans, ce peuple nouveau va alors être dispersé par la force à travers tout le pays et déplacé sans cesse. Il est soumis à dix à douze heures de travail par jour, femmes, vieillards et même enfants à partir de 5-6 ans compris. Le but annoncé est d’édifier une société communautaire égalitariste fondée sur un retour à la civilisation agricole, très inspirée des communes populaires chinoises. A ce titre, toutes les commodités modernes sont abandonnées et jetées. Dans le Cambodge de ces années-là, il ne s’agissait encore ni d’ordinateurs, ni de téléphones portables, mais de radios, de bicyclettes, de machines à coudre qui sont alors radicalement interdites. La monnaie est éliminée. La Banque Centrale du Cambodge est restée abandonnée pendant ces quatre ans. Ses locaux ayant été ouverts à tous les vents, les réserves de billets (devenus inutiles) étaient accessibles et livrées aux intempéries. Les services de la poste avaient été supprimés, comme les écoles. La cuisine privée était interdite. Les enfants étaient séparés de leurs parents. Les sanctuaires furent saccagés. On sait que la cathédrale de Phnom Penh fut détruite. Tout mariage était soumis à l’autorisation de l’Angkar. Les cartes d’identité n’existaient plus.
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Privation radicale de liberté, déportation, travaux forcés et famine caractérisèrent ainsi l’ère meilleure qui avait été annoncée. Vingt-cinq pour cent du peuple cambodgien paya de sa vie cette entreprise insensée. L’Angkar (mot qui signifie l’Organisation) était le moteur anonyme de ce projet. Toujours désigné sous ce terme, le pouvoir fonctionnait sans visage, sans référence à des personnes précises. Là a sans doute été la clef du fonctionnement de ce système meurtrier pendant quatre ans. Dès lors qu’il y avait ceux que l’on utilise et ceux que l’on élimine et que le tout se jouait sur la terreur, le face-à-face humain entre les organisateurs du système et ses victimes n’était pas possible. Il y avait cette médiation impalpable de l’Angkar, cette abstraction, investie théoriquement d’une sollicitude sans limites pour le peuple, détentrice à elle seule de la connaissance de ce qui était bon pour lui.
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Aujourd’hui, nous nous heurtons à l’impossibilité de réintroduire une rationalité explicative dans cette expérience totalitaire. Le jeu des qualifications n’est d’aucune utilité. Marek Sliwinski s’y est employé dans sa contribution au livre Parler des camps, penser les génocides [5]
[5]Sous la direction de Catherine Coquio, Albin Michel, Paris,…
. Le génocide tel que les conventions internationales le définissent ne trouve pas ici à s’appliquer car les exterminateurs appartenaient à la même communauté humaine que les victimes. Il faudrait parler alors d’un « auto-génocide ». Au sein de cette communauté, c’est le sous-peuple des « inutiles » qui est visé, ceux qui sont déclarés inaptes à participer à l’homme nouveau. Mais très vite les premiers critères se sont effacés en raison de l’impossibilité de distinguer les utiles des inutiles. La terreur accentue l’individualisme. Et la famine conduit à adhérer au système. La qualification n’est-elle pas d’ailleurs dérisoire face à des événements de cette nature ?
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Cette question en amène en réalité une autre, celle de la liberté comme enjeu du politique. Il faut toutefois faire d’abord un constat inquiétant : l’expérience Khmer Rouge a bénéficié de beaucoup de complicités et elle n’a pas été isolée, même s’il est vrai de dire que chacun de ces chantiers de l’horreur est unique. Il est nécessaire à ce propos de rappeler qu’après leur départ forcé de Phnom Penh en 1979, les Khmers Rouges continuèrent pendant des années à occuper le siège du Cambodge aux Nations Unies et qu’il fallut attendre le début des années quatre-vingt-dix pour que le pouvoir qui s’était substitué aux Khmers Rouges après leur chute, le Conseil national suprême, soit enfin le titulaire du siège officiel. Pourtant, ce qui s’était passé dans ce pays pendant quatre ans était parfaitement connu. Et cette question symbolique du siège à l’ONU, donc de la place reconnue dans la communauté internationale avait un sens très clair : celui de la complicité des grandes puissances à l’égard du crime contre l’humanité. Cette complaisance s’est retrouvée ensuite sous des modalités différentes en Serbie ou au Rwanda ou encore en Sierra Leone. Mais dans ces derniers cas, des interventions collectives finirent par être envisagées (il n’est pas question ici d’en faire l’évaluation) et des Tribunaux pénaux spéciaux furent mis en place. Rien de tel ne fut proposé ou décidé pour le Cambodge des années Pol Pot après 1979. En sorte que nous sommes fondés à soutenir que cette expérience-là a ouvert la voie à la banalisation de l’horreur. Aujourd’hui, dans une démarche tardive et extrêmement limitée, une juridiction se met en place par une coopération laborieuse entre les Nations Unies et le pouvoir cambodgien actuel sous forme de chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens pour juger les dirigeants d’alors [6]
[6]Cf. Photini Pazartzis, « Les chambres extraordinaires des…
. Mais un quart de siècle s’est écoulé, les survivants sont rares et la procédure amorcée très incertaine.
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Qu’y avait-il donc de fondamentalement pervers dans le projet cambodgien et sa prétention à fabriquer un homme nouveau ?
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Il faut tout d’abord récuser l’expression « homme nouveau », aussi bien en biologie qu’en politique. L’humain comme le vivant n’est ni stable, ni défini. Il doit être analysé comme un ensemble de processus impliqués dans un réseau de relations avec les autres humains et le reste du milieu, à travers une dynamique toujours renouvelée. Aussi tout humain est-il toujours nouveau parce qu’il est nécessairement différent de ceux qui l’ont précédé et aussi parce qu’il se renouvelle lui-même à chaque instant. En revanche, il est pertinent de se demander si, par rapport à une réalité elle-même évolutive, la société peut ou doit intervenir pour accélérer, freiner ou améliorer les changements. Cette intervention est-elle évitable ? Sinon, comment la contrôler ? Comment mesurer ou évaluer ses résultats ? Personne ne conteste dans le cas des Khmers Rouges que l’homme nouveau évoqué reflétait une considérable régression. Toutefois, l’intervention sociale ne produit pas toujours ce résultat et la question reste centrale.
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On soulignera ici la difficulté à distinguer la volonté de changer l’homme et le projet de société, c’est-à-dire de relations entre les humains. La volonté de changement social est présente dans la plupart des projets politiques, mais cette volonté est plus ou moins inquiétante selon qu’elle comporte un changement de l’homme lui-même et selon les méthodes employées. Sans aucun doute les sociétés modernes sont en proie à des conditionnements politiques très forts. A tel point que les fondements du capitalisme libéral : démocratie formelle, marché et puissance des médias, peuvent apparaître comme produisant une forme de totalitarisme. Toutefois, il faut souligner que si ce capitalisme est source de déshumanisation, le processus est insidieux. On peut rejoindre ici ce qui a déjà été soutenu : tout n’est pas mauvais, même si tout est dangereux [7]
[7]Voir dans ce numéro de Tumultes, l’article de Martine Leibovici.
. Et l’on ne peut proposer la même analyse critique des systèmes totalitaires policiers et militarisés ou des systèmes en voie de totalitarisation idéologique.
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Par ailleurs, les sociétés sont hétérogènes et la question de la fabrication de l’humain ou de sa « reconstruction » se pose en termes radicalement différents selon les situations. Que faire, quel projet politique entrevoir après des périodes de régression qui laissent derrière elles un grand nombre d’âmes fêlées ? Lorsque toute trace d’humanité a été bannie, détruite, qu’un groupe s’est désocialisé à travers des massacres engendrant la terreur, peut-on reconstruire de l’humain et à quelles conditions ? Comment réintroduire du politique là où la violence barbare a occupé tout l’espace relationnel ?
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Certains exemples précis permettent de mesurer l’ampleur de la difficulté : au Nicaragua, après la chute du régime de Somoza en 1979, le nouveau gouvernement sandiniste avait été confronté à l’existence d’un important groupe d’enfants ou de jeunes adolescents analphabètes qui, comme enfants des gardes somozistes, avaient accompagné leurs pères dans leurs opérations de répression et auxquels était confiée l’énucléation des prisonniers à l’aide de petites cuillères. Le ministre des Affaires sociales du nouveau gouvernement avait été chargé de mettre en place une structure adaptée à ces enfants et de tenter leur « réhumanisation ». Malheureusement, ce cas n’est pas isolé. Bien des soldats serbes, des Rwandais ayant participé aux massacres de 1994, ou ces très jeunes Sierra-Léonais pratiquant d’insupportables exactions sont dans des cas comparables. Le mot de rééducation est-il encore adapté ? Ce mot, connoté en raison de son emploi par des régimes totalitaires, peut-il désigner ici des opérations nécessaires de « sauvetage » de l’humain ? L’action sociale s’inscrit alors dans un autre champ de valeurs et charge ainsi le mot de signification différente.
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Qu’il s’agisse d’éducation ou de rééducation, l’essentiel est que la liberté en soit le centre, une liberté dans l’apprentissage indispensable de la responsabilité. En effet, l’humain ne se fabrique jamais puisque l’essence de l’humain est sa liberté, seul ou en groupe, ou plutôt la conscience de sa liberté, l’interrogation permanente sur l’usage de sa liberté. Là est le critère du projet politique. Si un projet encourage la liberté, y compris dans son volet éducatif, il peut être qualifié de politique, accompagnant l’humain, non le fabriquant. Mais dès lors qu’il fabrique par la contrainte, il déshumanise.
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Viennent encore deux questions : celle des relations entre la liberté et la contingence et celle des limites à la liberté des uns pour assurer celle des autres.
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La volonté scientifique de réduire la contingence rejoint la volonté politique. Les hommes et femmes politiques sont sollicités à tous moments pour maîtriser tous les risques. Mais dans ce mouvement indéfini de réduction de la contingence, nous finissons par approcher d’une zone trouble. Comme s’il y avait quelque chose d’impudent en termes de valeur à vouloir la réduire à zéro. Ce n’est pas là, semble-t-il, quelque révérence secrète à un créateur qui nous dépasse et qui serait présent à l’insu de tous, même des athées les plus irréductibles. Non, c’est que beaucoup plus humainement, la contingence, c’est l’autre. C’est la liberté de l’autre qui, parce qu’elle est liberté, est imprévisible et représente alors pour chacun d’entre nous la contingence. Vouloir l’éliminer totalement, c’est tendre à supprimer la liberté de l’autre. D’ailleurs, lorsque le clonage humain se réalisera, espoir fou de suppression du hasard dans la naissance, on verra bien que le cloné s’écartera de son modèle par l’usage même de sa liberté. Illustration de la réduction achevée de la contingence, il en réintroduira par là-même.
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De là, nous pouvons revenir au projet politique qui est organisation des libertés et rapport d’altérité. Au centre de nos préoccupations, se trouve le principe de consentement qui est la sauvegarde de la dignité humaine et le dernier rempart de la liberté individuelle. Mais l’exercice du consentement dépend étroitement des conditions sociales qui en deviennent la clef. Or ces conditions sociales s’expriment dans la loi. Mais la loi peut-elle être la condition de la liberté ? Ne porte-t-elle pas en elle une charge d’ambiguïté qui fait d’elle aussi l’instrument de la répression ? La loi n’est qu’une forme, une forme juridique, mais surtout une forme symbolique. Ce sont les valeurs qu’elle véhicule qui peuvent être répressives ou libératrices. Mais dans l’histoire politique moderne, la loi est liée à la souveraineté, laquelle est chargée de la même ambivalence que la loi. L’expérience des Khmers Rouges met bien en lumière comment la symbolisation de la loi, expression de la souveraineté comme indépendance des sujets qui forment un peuple, pouvait céder la place à une autre symbolisation, celle du non-humain, s’appliquant à des cohortes anonymes ayant perdu le caractère de sujets, celle de la souveraineté confisquée par ceux qui ont liquidé la loi. Car la loi, par sa publication, est l’affichage de la norme qui exprime le lien social, ce qui en permet le contrôle. Lorsque la souveraineté liquide la loi, lorsqu’elle s’exerce sans cette médiation contrôlable, elle ouvre la porte à l’état d’exception, elle peut être, elle a souvent été, pouvoir de vie et de mort. Elle quitte alors le versant positif de sa fonction, celui qui pouvait la légitimer. Elle n’est plus ce lien communicationnel entre les membres du groupe qui met en relation chacun avec chacun [8]
[8]Georges Bataille, Œuvres complètes, tome VIII, Gallimard,…
. Ce lien peut s’exprimer par des procédures qui sont l’instrument de la démocratie, non la substance, mais l’instrument.
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Il est vrai qu’aujourd’hui, la loi souveraine doit d’abord identifier qui est ce chacun, y compris en s’interrogeant sur les embryons hors projet parental ou les chimères. Et cela renouvelle considérablement son rôle, d’autant plus qu’il ne suffit plus que la loi souveraine de telle ou telle communauté politique, donc Etat, réponde à cette question. Il faudra bien poser le problème de la loi souveraine de la communauté des hommes. Seule cette communauté des humains, en s’instaurant politiquement, pourra interrompre la banalisation de la déshumanisation.
Notes
[1]
Voir notamment Franz Fanon, Les Damnés de la terre, F. Maspero, Cahiers Libres n° 27-28, Paris, 1961, et le chapitre : « Sur la culture nationale », pp. 153 sq.
[2]
Pour un exposé général, voir Edmond Jouve, Relations internationales du Tiers-Monde et droit des peuples, Berger-Levrault, Paris, 1979, 2e édition, pp. 91 sq.
[3]
Voir François Ponchaud, Cambodge, année zéro, Julliard, Paris, 1977.
[4]
France Loisirs, 1980.
[5]
Sous la direction de Catherine Coquio, Albin Michel, Paris, 1999.
[6]
Cf. Photini Pazartzis, « Les chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens », Annuaire Français de Droit International, 2003, pp. 646-648.
[7]
Voir dans ce numéro de Tumultes, l’article de Martine Leibovici.
[8]
Georges Bataille, Œuvres complètes, tome VIII, Gallimard, Paris, p. 286. Voir aussi Jean-Michel Besnier, La Politique de l’impossible, La Découverte, Paris, 1988, pp. 89 sq.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2011
https://doi.org/10.3917/tumu.025.0065