nicolas a écrit :A la limite, un leader pourrait fédérer suffisamment de personne d'une école majoritaire pour avoir ce genre de visions colonialistes ou guerrières non ?
Si on suit l'histoire, ça parait très peu probable. Même si j'ai cité les grandes écoles comme division de l'Islam, c'est surtout les nationalités, les cultures, les tribus qui divisent l'Islam.
Le Califat universel des successeurs de Muhammad et des Ommeyyades ne sort pas vraiment de l'adhésion des musulmans qui se serait rangé comme un seul homme derrière la religion, mais plutôt d'une fédération des tribus arabes autour de cette religion, puis de complexe lien de dépendance/vassalité entre ces grandes tribus qui se partage les conquêtes après l'établissement du Califat. D'ailleurs, c'est de cette prédominance arabe que viendra la chute des Ommeyyade, confronté à la grogne des convertis perses, kurdes et berbères, insatisfait de cette domination, qui engendre la révolte Abbasside et la sécession des territoires maghrébin, où les berbères, malgré une persistance des dynasties arabes jusqu'au XIème siècle, seront faiseur de roi, puis eux même souverains pendant un moment.
Et pour les Abbassides, c'est l'arrivée des turcs qui est fatale.
Dans tous les états à dominante musulmane, même ceux qui se revendiquait d'un réel système théocratique avec un émir ou un Calife à sa tête, ça n'est jamais la religion qui fait la force, mais toujours le soutien d'une noblesse locale ou d'un ensemble de tribus lié par des pactes et des alliances matrimoniales à d'autres tribus. Même le jihad est rarement un élément qui fédère plus loin que le cercle d'influence du souverain qui s'en sert comme appel.
Par exemple, lorsque les byzantins au Xème siècle vont partir à la reconquête de la Syrie du Nord et de la Palestine, les émirs syriens, qui se font pourtant champion du Jihad, avec le soutien du Calife, parviennent péniblement à rassembler quelques troupes étrangères venu essentiellement du Khorasan, avec qui ils ont des contacts diplomatiques et commerciaux.
Idem, lorsque Saladin s'érige en chantre du Jihad contre la Jérusalem croisée, c'est sans succès qu'il négocie autour de lui pour obtenir du soutien contre la IIIème croisade.
Et on pourrait citer d'autres exemples plus récent, comme le jihad des Saoud, qui est à l'origine de l'Arabie Saoudite et qui est d'usage local, ou celui de Sékou Amadou, au XIXème siècle, également local.
Encore aujourd'hui, le jihadisme universel est relativement marginal, même face aux jihadisme plus locaux. Même si de nombreux groupes jihadistes se sont nominalement revendiqué du Calife de Daesh, comme Boko Haram en Afrique de l'Ouest, par exemple, dans les faits ces ralliement sont plus un moyen de profiter d'une étiquette prestigieuse et hormis dans quelques territoires où Daesh a réussit péniblement à prendre en main sa nouvelle branche locale, dans la plupart des cas, l'organisation vassale poursuit des objectifs locaux et se désolidarisera sans doute de Daesh si jamais l'organisation est militairement trop affaiblit pour conserver la même aura.
Il ne faut pas se laisser abuser par la vision que les islamistes eux même tente de propager, à savoir celle d'une oumma musulmane unique, qui n'attend que le bon chef pour se réunifier. Même au sein de mouvement pourtant aussi structuré et internationaliste que les frères musulmans ou Al-Qaida, il y a de profonde divergence liée à des interprétations du dogmes, à des guerres d'égo, à des positions philosophiques et à des questions de nationalités, de statut socials ect.
En Occident, on voit ça par le petit bout de la lorgnette du terrorisme, qui produit une fausse impression d'unité parce que tous les mouvements utilisent apparemment les même méthodes et on quelques idées fortes en commun. Mais en réalité, la structure de ces groupes, leurs objectifs concrets sur le terrain qu'ils occupent, leur cible de recrutement change largement d'un endroit à un autre et d'importante rivalité existe entre eux.
Suffit de voir le bordel syrien et le nombre important de groupe locaux rivaux se revendiquant de l'islam à plus ou moins fort degré, mais dont les alliances et les antagonismes fluctuent sans cesse ou voir l'impuissance chronique des organisations rassemblant des pays qui se prétendent musulmans pour se convaincre qu'il est idiot de penser que l'Islam puisse se fédérer pour combattre le reste du monde ou même poursuivre en commun un objectif politique.
Ce qui ne veut pas dire pour autant que l'Islam ne soit pas un problème ou qu'il n'existe pas de groupe suffisamment puissant pour promouvoir un agenda politique parmi certaines populations musulmanes, à même d'au moins déstabiliser les sociétés où se trouvent ces populations.
Enfin, ce que j'ai vue de pire dans la prose de Jroche, c'est une allusion à ce probleme précis mais qui pourrait arriver au sein même de l'Europe...
Là encore, l'islam européen n'est pas uniforme, donc difficile de donner un avis pour toute l'Europe. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a une claire volonté de la part des groupes fondamentalistes et jihadistes d'exporter vers les populations musulmanes d'Europe une rhétorique, à la base anti-coloniale, qui décrivait l'Islam comme la patrie des musulmans colonisés, les enjoignant à se soulever contre l'oppresseur européen et à promouvoir les intérêts d'une communauté musulmane unifiée.
Les jihadistes modernes, parce qu'ils ont en plus une démarche eschatologiques, y ont ajouté une dimension non plus seulement de défense de l'Islam, mais aussi de création des conditions d'une guerre religieuse globale (c'est pour ça qu'ils parlent sans arrêt des occidentaux comme des croisés), prélude à la fin du monde, et que pour créer ses conditions, il faut radicaliser aussi bien les musulmans que les non-musulmans pour que les deux communautés ne puissent plus vivre ensemble, forçant les musulmans à choisir un camps (celui des jihadistes, évidement).
Pour le moment, ce qu'on constate, c'est que la population touché par ce message est relativement marginale et que l'Islam en Europe est aussi divisé qu'ailleurs, peut-être même plus, puisqu'en plus des divisions nationales, s'ajoute les divisions entre pays d'origine pour la partie des musulmans issus de l'immigration. C'est d'ailleurs pour ça qu'en France, les organismes représentatifs des musulmans qu'on tenté de crée les pouvoir public sont globalement un échec, parce qu'il n'existe en fait pas vraiment d'unité des musulmans.
Cela dit, comme l'étude qui a été cité plus haut le montrait, il y a quand même une fédération d'une certaine communauté musulmane "en révolte", qui se sert de l'Islam comme élément identitaire face à une France dont ils se sentent victime (mais c'est un mal Français).
Un autre soucis est la visibilité excessive des formes rigoureuses de l'Islam, promut par les monarchies arabes ou des groupes internationaux comme les frères musulmans, qui trouve écho parmi la population pieuse, en recherche de la bonne façon d'être musulman (un des problèmes de l'Islam, c'est ça, cette obsession de la pureté, prise au judaïsme, qui se traduit par une prime au plus radical en période de doute. C'est en partie vrai aussi pour les autres religions, mais l'Islam est structurellement là dedans).
Ce soucis vient à la fois du fait que ces courants rigoristes ont plus de moyens financiers, mais aussi du fait de la grande faiblesse théologique des autres instances de l'Islam, souvent incapable de porter un discours théologiques renouvelé après avoir chapeauté des sociétés musulmanes souvent englués de longue date dans un ritualisme que le monde moderne met à mal.
Pour faire un parallèle, on peut voir un peu la même chose avec les évangélistes dans le protestantisme, qui porte un discours radical qui plait à des populations dont la religiosité s'exprimait avant ça dans des éléments rituels mis à mal par le mode de vie urbain, la manière dont on travaille dans le monde moderne et dont le sens s'est parfois perdu à force d'être répété.