On peut utiliser objectivité comme synonyme ou quasi-synonyme d'intersubjectivité.
Jusquà présent, la non distinction entre une notion testable et une notion qui ne l'est pas conduit souvent à des impasses.
Elle débouche cependant sur une véritable avancée scientifique quand on parvient à transformer un concept/propriété non testable/réfutable en un concept/propriété testable/réfutable. C'est très exactement, par exemple, ce qu'a fait John Bell en 1962 quand il a transformé l'essai quasi métaphysique d'Enstein, Podolski et Rosen (cf. "
Can quantum-mechanical description of physical reality be considered complete?" Physical Review 41, 777, Einstein Podolski, Rosen, 15 May 1935) en une expérience physique, car réfutable, de la non séparabilité quantique.
John Bell a réussi ce tour de force avec une expérience de pensée mettant en jeu des paires de photons EPR corrélés (en état dit singulet). Le test consistait en la vérification des inégalités de Bell (cf.
On the Einstein, Podolski, Rosen Paradox). D'un point de vue réaliste, la violation de ces inégalités de Bell était extrêmement choquante. Il s'agit en effet d'une violation ne pouvant être compatible à la fois :
- avec la localité (le coeur de la RR),
- avec une interprétation réaliste (i.e. objective) de l'état quantique,
- avec une interprétation réaliste (i.e. objective) du principe de causalité (des propriétés physiques dont on aimerait pourtant bien qu'elles ne doivent rien ni à l'observateur, ni à l'acte d'observation).
Cette expérience de pensée a finalement été réalisée physiquement et réussie par
Alain Aspect en 1982. La propriété de violation des inégalités de Bell, prévue par la physique quantique, a ainsi été prouvée car
observée expérimentalement. Il a ainsi été prouvé la propriété de non séparabilité des systèmes quantiques physiquement EPR corrélés, comme prévu par la physique quantique.
Par la même occasion s'est confirmée la
très grande difficulté pour attribuer un
caractère objectif à la notion d'état quantique (objectivité au sens d'indépendance à l'observateur et d'indépendance à l'acte d'observation et non au sens d'
observations répétables). Le résultat de la mesure de polarisation des photons ne préexiste pas à la mesure comme cela se pensait des grandeurs et propriétés physiques en physique classique fin 19ème. En physique quantique, les propriétés observées sont
créées et non recueillies par et lors de l'
acte d'observation).
Que faut-il faire pour transformer le concept métaphysique, non testable, d'objectivité en un concept physique car testable ? Il suffit de
le remplacer par son petit frère physique, testable lui : le concept d'intersubjectivité. Ce concept reconnait ne pas pouvoir se passer de l'
interaction entre un système observé
et un ensemble d'observateurs macroscopiques. Cette observation/interaction et le
recueil/création d'information qui va avec sont nécessaires pour pouvoir attribuer à ce système telle ou telle propriété.
On demande, pour attribuer un caractère intersubjectif à la propriété observée, une interaction donnant lieu à des observations répétables par des observateurs distincts. C'est rendu possible en raison de la
grille de lecture thermodynamique statistique commune de ces observateurs s'ils prennent soin de procéder selon un "même" protocole expérimental.
spin-up a écrit : 08 mars 2022, 14:28Je ne suis pas convaincu par ton explication de l'intersubjectivité et du fait que l'objectivité [présenterait un caractère métaphysique]. Est ce au moins une théorie testable ?
Le concept/hypothèse d'objectivité des propriétés de l'univers est
par sa nature même non testable. C'est un concept
métaphysique.
En effet,
toute hypothèse physique doit, par définition, être réfutable par l'observation (cf.
Popper et le critère de falsifiabilité (1)). Il n'est pas possible,
de démontrer, par l'observation, qu'une propriété donnée puisse exister objectivement, c'est à dire indépendamment de toute considération d'observation présente, passée ou avenir.
L'hypothèse d'objectivité des propriétés de l'univers, y compris l'hypothèse d'objectivité de l'écoulement irréversible du temps et l'hypothèse d'objectivité du principe de causalité (hypothèse tentante en raison de nos difficultés d'assimilation de la physique du 20ème siècle) est une hypothèse métaphysique.
On notera d'ailleurs que le socle physique de la notion d'écoulement irréversible du temps, à savoir la création d'entropie est, en physique statistique, la modélisation d'une
fuite d'information hors de portée de l'observateur macroscopique. Ce rôle crucial de l'observateur dans notre science physique d'aujourd'hui est au coeur du saut de paradigme positiviste induit par la RR en 1905, puis, plus encore, par la physique quantique telle que comprise par l'
école de Copenhague, les Bohr, Born, Heisenberg et Dirac notamment (tout particulièrement lors du
congrès de Solvay de 1927) (2).
spin-up a écrit : 08 mars 2022, 14:28Je ne vois pas non plus ce que vient faire la notion de vivant la dedans. La encore, est ce une hypothèse testable ? Je ne pense pas.
Nous appréhendons l'univers à travers des grandeurs
macroscopiques. Ces grandeurs macroscopiques (captées par nos sens et par le prolongement qu'en sont nos appareils de mesure macroscopiques) regroupent dans un même état, dit macroscopique,
des zillons d'états microphysiques pourtant parfaitement distincts.
L'entropie dite pertinente, c'est notre
manque d'information quand nous connaissons l'état d'un système donné par un petit nombre de grandeurs macroscopiques. Ces grandeurs macroscopiques (température, pression, volume, composition chimique...) caractérisent, pour nos besoins d'information, suffisamment cet état à notre échelle d'observation macroscopique...
...Mais le manque d'information pour caractériser complètement l'état microscopique d'un système donné (quand on connait seulement son état macroscopique) est
considérable. (cf.
Incomplete descriptions and relevant entropies, R. Balian). Cette entropie pertinente, notre manque d'informations dites non pertinentes, c'est le logarithme du nombre d'états quantiques distincts, rassemblés en "un seul et "même" " état macroscopique, mais indiscernables à l'échelle d'observation macroscopique.
Cette grille de lecture, la partition de l'espace des états microscopiques de l'univers en classes d'équivalence absolument gigantesques, est caractérisée par une quantité d'information ridiculement petite en regard de la quantité d'information considérable qui serait requise pour caractériser complètement l'état de l'univers à l'échelle microscopique...
...
mais ces informations macroscopiques "grossières" sont très fortement redondantes (cf.
Objective properties from subjective quantum states: Environment as a witness Harold Ollivier, David Poulin, Wojciech H. Zurek). Elles sont donc considérablememt plus stables vis à vis de lectures successives et vis à vis des agressions de l'environnement que les informations microscopiques dites non pertinentes.
C'est précisément cette stabilité qui rend ces informations répétables, donc intersubjectives. Cette notion d'
intersubjectivité,
physique,
testable elle, nous avons parfois tendance à la confondre avec la notion
métaphysique et illusoire (je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un pléonasme) d'
objectivité.
Cette grande stabilité des informations intersubjectivement observables à l'échelle macroscopique découle de leur
enregistrement irréversible dans des bains thermiques. Ces entregistrements d'information irréversibles forment (en raison de leur stabilité et de leur décodabilité donc de leur intersubjectivité) les traces du passé, un passé qui, de ce fait, nous semble figé.
Les traces du futur, par exemple, les atomes formant des animaux qui n'existent "pas encore" (au sens macroscopique où nous définissons la notion de futur)
- ne nous sont pas accessibles car dispesrsés dans l'environnement. Ces traces (telles que les atomes d'animaux futurs dans l'exemple proposé) peuvent même ne pas encore être présents sur notre planète à un instant donné d'observation,
- et/ou pas décodables,
- et/ou pas répétablement observables.
Une accumulation de gros nuages noirs menançants peut être vue,
dans une certaine mesure, comme une trace du futur orage qui va peut-être bien nous tomber sur la tête dans quelques heures...
...ou peut-être pas (décidément, pas très stables et peu reproductibles nos souvenirs du futur).
C'est cette fuite d'informations non pertinentes hors de portée de l'observateur macroscopique, notre myopie, qui fait naître "l'objectivité" des propriétés répétablement observables et l'écoulement irréversible du temps (cf.
Le temps macroscopique R. Balian). C'est ce phénomène, très directement lié à nos limitations d'accès à l'information, notre myopie, qui engendre la stabilité (apparente) du passé et "l'instabilité" du futur à notre échelle d'observation (cf.
le passé bouge encore d'Alain Connes, cf. aussi
Diamonds's Temperature: Unruh effect for bounded trajectories and thermal time hypothesis, Rovelli et Martinetti).
Si nous n'étions pas myopes, nous serions aveugles.
L'entropie pertinente, le manque d'information découlant de notre appréhension de l'état de l'univers par ses seules propriétés macroscopiques,
notre myopie donc, est (à quelques petits ordres de grandeurs près négligeables par rapport à la gigantesque quantité d'information manquante à l'échelle d'observation macroscopique)
la même pour tous les êtres vivants.
Les êtres vivants ont la même grille de lecture thermodynamique statistique qu'un "nous" plus restrictif, formé, par exemple, des seuls mamifères.
(1) Un Karl Popper qui, cependant, curieusement, se fait l'apôtre d'une interprétation réaliste (non positiviste donc) de la Relativité Restreinte. Il s'agit de l'interprétation Lorentzienne, une interprétation mariant, mathématiquement et physiquement
correctement toutefois (K. Popper est un physicien, pas un amateur de math et de physique niveau collège qui se prend pour un physicien) l'invariance de Lorentz (observable) avec un référentiel d'immobilité et sa simultanéité absolue (tous deux inobservables, donc, du moins à ce jour, métaphysiques).
(2) E.T. Jaynes est toutefois très sévère à l'égard de l'école de Copenhague. De façon assez originale, il attribue (comme les physiciens de cette école) une grande importance à la notion épistémologique d'inférence statistique. Il a été la tête de pont de l'extension du principe de maximisation d'entropie très au dela du seul champ de la physique statistique (via les congrès MAXENT dont il est à l'origine)...
...Et pourtant, il critique assez vivement l'école de pensée de Copenhague, tout particulièrement Bohr. Il reproche à cette école de pensée de s'en tenir à une approche de la physique strictement épistémologique, et ainsi, de refuser tout crédit et toute attention à la notion d'ontologie (un concept cher aux physiciens réalistes) tombant ainsi, selon Jaynes, dans la mind projection fallacy (prétant à l'univers des propriétés qui nous seraient propres).
Bien que je ne partage pas le point de vue philosophique de Jaynes (je me suis finalement laissé convaincre par les positivistes), ses remarques à contrecourant concernant l'interprétation de certains effets quantiques tels que le Lamb-shift et les fluctuations quantiques du vide par exemple, en partie inspirées par sa défense d'une ontologie sous-jacente à la physique (cf.
PROBABILITY IN QUANTUM THEORY et
CLEARING UP MYSTERIES ; THE ORIGINAL GOAL E.T. Jaynes) sont décoiffantes, extrêmement intéressantes et, à mon sens, pas assez reprises.
Il est vrai qu'il n'est pas facile de trouver une motivation pour le suivre sur ce chemin car les prédictions de la physique quantique sont absolument impeccables. Ca ne donne pas envie d'aller y gratouiller tel ou tel "petit" caillou (de type cohérence logique ou choix d'interprétation)...
...Et pourtant, je ne serais pas surpris qu'au bout du compte Jaynes ait flairé certains défauts de l'approche mainstream de la modélisation de certains effets en théorie quantique des champs. Il les a seulement esquissés concernant, notamment, sa critique de l'interprétation main-stream du lamb-shift et concernant les "fluctuations supposées du vide quantique" (la fameuse énergie de point zéro). Son approche un peu à contrecourant mériterait peut-être (me semble-t-il) d'être approfondie malgré son caractère un peu chemin de traverse.