ABC a écrit :Qu'est-ce qui nous prouve que ce ne soit pas l'inverse ? Le fait que la chaîne causale ne soit pas orientée dans le sens passé futur ?
De quelle preuve disposons nous pour affirmer qu'à cette échelle, et pour le lien causal entre action consciente et réaction de la zone motrice invoqué dans l'expérience de LIBET, le lien de causalité entre prise de décision consciente et réponse de la zone motrice à cette prise de décision soit orienté dans le sens passé futur et non dans le sens futur passé ?
jean7 a écrit :Pour moi, une causalité du futur vers le passé, ça n'existe pas. Mais je suis intéressé par une explication (simple) si je me trompe.
Ma question est vraiment une question. Je suppose (en me basant sur ce que nous observons dans la vie de tous les jours) que la causalité respecte bien le sens passé futur aussi dans l'expérience de Libet, mais j'ai quand même un petit doute à ce sujet pour les raisons exposées ci-dessous.
Les recherches actuelles en physique suggèrent, vis à vis de certains faits d'observation, une inversion de l'ordre chronologique entre une cause et son effet. De quoi s'agit-il ?
Quand je réalise des mesures quantiques dites fortes de spin horizontal d'électrons tous dans un même état initial de spin vertical up par exemple, les spins horizontaux droits et gauche que j'obtiens respectent parfaitement les statistiques d'un tir à pile ou face sans biais. L'indéterminisme de la mesure quantique y est statistiquement parfait. Les positivistes, Asher Peres en tête, nous disent donc avec gravité et conviction :
"un résultat de mesure quantique ça n'existe pas avant d'avoir été observé" (unperformed measurements have no outcomes).
Toutefois, en 1964, Aharonov, Bergmann et Lebowitz ont rédigé un article qui est passé presque complètement inaperçu, montrant qu'il était possible de donner une
formulation de la physique quantique explicitement T-symétrique, une modélisation dans laquelle aucun des deux sens d'écoulement du temps ne joue un rôle privilégié.
Dans cette formulation :
- le sens d'écoulement du temps passé -> futur
- le sens d'écoulement du temps futur -> passé
y jouent un rôle parfaitement symétrique. En particulier, les formules exprimant la corrélation entre résultats de mesures quantiques intermédiaires avec des mesures quantiques antérieures et avec des mesures quantiques postérieures à ces mesures intermédiaires sont identiques.
Toutefois, cette formulation time-symmetric ne s'écarte pas d'un iota de la physique quantique standard tant du point de vue mathématique que du point de vue de ses prédictions physiques. Elle fait seulement apparaître
explicitement la symétrie T dans sa forme. Elle a donc longtemps été considérée comme un exercice intellectuel gratuit sans réel intérêt scientifique.
En 1988, suite à une série d'expériences suggérées, puis interprétées, dans le cadre de cette formulation time-symmetric, cette approche a débouché sur
la mesure dite faible (je précise un peu plus bas ce dont il s'agit). Bien que la formulation time-symmetric de la physique quantique soit mathématiquement équivalente à la formulation standard, elle suggère des idées qui n'apparaissent pas naturellement dans une formulation qui, dans sa présentation, privilégie la direction d'écoulement du temps passé --> futur propre à notre échelle d'observation.
La mesure faible a ceci de surprenant (quand on n'en a jamais entendu parler) : à l'issue de mesures faibles de spin horizontal d'électrons tous dans un état initial de spin vertical up, ces électrons
restent dans un état de spin vertical up. Ils ne sont que faiblement intriqué avec l'appareil de mesure faible de leur spin horizontal. La contrepartie, c'est que je n'obtiens quasiment pas d'information sur le spin horizontal de ces électrons avec une mesure faible unique. L'indication de l'appareil de mesure faible de spin horizontal est complètement noyée dans l'incertitude quantique de "la position de l'aiguille" de cet appareil de mesure.
Par aiguille je veux dire en fait, de façon imagée, l'observable de "l'appareil de mesure" (cette observable de "l'appareil de mesure" c'est souvent une déviation de trajectoire de l'électron ou du photon observé lui-même) qui sert d'indicateur du résultat de mesure. La faiblesse de l'interaction entre système observé et appareil de mesure est d'ailleurs une condition requise pour que le système observé ne soit pas projeté dans un état propre de la grandeur observée (en effaçant ainsi, dans notre exemple, toute information sur l'état de spin vertical up que l'électron avait initialement avant d'être projeté en état de spin horizontal par une mesure (forte) de son spin horizontal).
Toutefois, si
1/ je fais la mesure faible de spin horizontal d'un très grand nombre d'électrons tous préparés dans un même état initial de spin vertical up par exemple
2/ je fais ensuite des mesures fortes de leur spin horizontal
3/ je sépare ensuite mes électrons en deux groupes distincts : ceux qui, à l'issue de cette mesure forte de spin horizontal, ont acquis un spin horizontal droit et ceux qui, au contraire, ont acquis un spin horizontal gauche (on appelle ça la post-sélection)
4/ profitant de l'information acquise en 3/, je fais deux moyennes :
- la moyenne des mesures faibles du spin horizontal des électrons qui, après mesure forte, ont acquis un spin horizontal droit
- la moyenne des mesures faibles du spin horizontal des électrons qui, après mesure forte, ont acquis un spin horizontal gauche.
Je constate alors, oh surprise, et comme le prévoit le modèle time-symmetric de la physique quantique, que le résultat de mesure faible ainsi obtenu
a anticipé le résultat de mesure forte.
La mesure faible de spin horizontal attribue une valeur de spin droit au groupe des électrons post-sélectionnés en état de spin droit
avant que ce résultat de mesure forte de spin horizontal ne soit obtenu. Or, avant que n'ait été trouvée, mise sur pied et exploitée la technique de mesure faible, on pensait que le spin horizontal d'un électron dans un état initial de spin vertical up n'existait pas avant d'avoir fait l'objet d'une mesure forte de spin horizontal (unperformed measurements have no outcomes nous dit Asher Peres).
Pour Vaidman, la valeur de spin horizontal droit contenue dans les résultats de mesures faibles de spin horizontal
réalisées avant les mesures fortes donnant lieu à un spin horizontal droit, est interprétée comme
un élément de réalité (Vaidman se classe en effet dans l'une des catégories de physiciens dits réalistes. Pour lui, les deux fonctions d'onde d'un système à l'instant présent, celle qui lui vient d'une "onde" dite retardée se propageant dans le sens passé-futur et celle qui lui vient d'une "onde" dite avancée se propageant dans le sens futur-passé pour se rejoindre en un double vecteur d'état modélisant l'état du système à l'instant présent, représentent réellement l'état du système dans
le formalisme à deux vecteurs d'état et non un simple outil de prédiction).
Aharonov, Vaidman et l'ensemble des physiciens qui ont opté pour le cadre time-symmetric de modélisation de la physique quantique (et l'interprétation physique naturellement associée à ce cadre) n'hésitent pas à dire qu'il y a
action rétrocausale de mesures fortes sur des mesures faibles antérieures. La controverse à ce sujet (il n'y a pas consensus pour l'instant) se situe uniquement à un niveau sémantique. Personne ne conteste plus (depuis 1989) les résultats de mesures faibles eux-mêmes, ni les corrélations time-symmetric entre mesures faibles et mesures fortes antérieures et postérieures à ces mesures faibles. A-t-on, pour autant, le droit d'attribuer le terme de rétrocausalité à une corrélation qui, certes, agit a rebrousse-temps, mais dont l'observateur ne peut se servir ni pour prédire l'avenir, ni pour modifier le passé ? Bref, est-il légitime de s'écarter d'une vision anthropocentrique de la physique et des propriétés que nous attribuons aux objets observés ?
Voilà. Cela dit, ma question, relativement à une éventuelle interprétation de l'expérience de LIBET comme une inversion du sens chronologique de la causalité est seulement suggérée par ces considérations. Normalement, selon nos connaissances actuelles, l'observateur macroscopique
n'a aucun moyen de se servir de ces effets qualifiés de rétrocausaux (par les Aharonov, Vaidman, Bergmann, Lebowitz, Albert, Elitzur, Kwiat, Hosten, Bamber, Rohrlich, Tollaksen, Popescu, Steinberg ... )
pour prédire l'avenir ou modifier le passé. L'observateur ne peut que constater,
après coup, que les résultats de mesure faible ont anticipé des résultats de mesure forte normalement parfaitement aléatoires (caractère indéterministe des résultats de mesure quantique parfaitement modélisés par la règle statistique de Born, mais pas encore bien compris malgré les très nombreux travaux réalisés
sur la mesure quantique et sur
la décohérence).
Greem a écrit :J'ai assoupli un peu ma vision du déterminisme de l'univers en incluant certains phénomènes à l'échelle quantique.
En fait, l'évolution des systèmes physiques est déterministe, tant en physique classique qu'en physique quantique. L'indéterminisme intervient quand on procède à une opération irréversible d'observation, une mesure, une opération non modélisée par la dynamique des évolutions quantiques à l'issue de laquelle :
- est mise de côté (par "nous", un nous assez large englobant au moins l'ensemble du monde du vivant conscient ou pas) la plus grande partie de l'information caractérisant l'état des systèmes observés dans une "poubelle" que l'on appelle l'entropie
- est conservée seulement l'information dite pertinente pour les observateurs que nous sommes, c'est à dire une infime partie de l'information qui serait nécessaire pour caractériser complètement l'état des systèmes que nous observons.
Est-ce dans cet indéterminisme, propre à une classe d'observateurs, que viennent se loger les considérations et peut-être l'existence d'un libre arbitre ? Je n'en sais rien ! Même si je sens bien que cette notion de libre arbitre est importante au plan éthique (sa négation, c'est aussi la négation de la responsabilité de nos actes) je ne sais pas définir le concept de libre-arbitre de façon simple et indiscutable (et je ne dois pas être le seul).