Greem a écrit :Ce qui me glace le sang, c'est qu'il a fallu d'une fois, puis deux, en l'espace de quelques mois, pour que des crimes d'une abomination et d'une lâcheté colossale deviennent une idée apparemment acceptable chez les détraqués. Comme si, aussi absurde cela puisse-t-il paraitre, ces meurtriers se déculpabilisaient sous prétexte que tuer des dizaines de personnes étaient devenu un acte anodin (d'ailleurs, est-ce qu'il existe un nom pour nommer ce biais qui consiste à faire quelque chose que l'on réprouverait moralement en temps normal sous prétexte que d'autres ont fait la même chose ?). Comme s'ils ne raisonnaient plus qu'en terme de quota : "Pourquoi tuer une seule personne quand je peux en tuer cinquante ?"
Je veux dire, dans l'échelle des immondices, je ne suis pas sûr qu'il y a quinze ans, ces mêmes criminels disposé à tuer des gens aient eu l'audace de commettre des crimes aussi dévastateur. C'est comme si le meurtre de masse avait été banalisé, d'une certaine façon.
Et je n'ai aucune idée de comment la société pourrait contrer cette tendance, qui est de l'ordre du mimétisme et du biais psychologique.
La déculpabilisation, et donc le passage à l'ace, parait logique et rappelle l'expérience de Milgram où on mesurait l’obéissance face à une autorité qu'il pense légitime. Une autorité ici légitimée non seulement par de vagues idéologies à la fois politiques et religieuses servant cette fois de prétexte et rendant là encore possible le passage à l'acte.
L'argument des médias, ça me semble plutôt juste (en tout cas la question), mais c'est probablement dans les deux sens. Si les individus susceptibles d'y être sensibles pour passer à l'acte, tous les autres le sont aussi quand ils viennent à s'émouvoir presque en temps réel de chacun de ses événements sur la planète. S'il y a biais, il peut être dans les deux sens, et d'ailleurs le biais pourrait lui-même participer à une hausse cette fois bien réelle des (petits) actes terroristes ou xénophobes.
Ce qui est beaucoup plus préoccupant à mon avis, c'est le traitement médiatique et politique du moins événement traité comme d'un fais grave. Avec ce qui arrive en Allemagne ou aujourd'hui en France avec l'assassinat d'un prêtre, il y a un craindre que médias et politiques (et la population avec eux) s'agitent autour de ces faits divers qui seraient plus ou moins habituels s'ils n'étaient pas revendiqués ou simplement perpétrés par des individus suspectés d'être des terroristes. Préoccupant non pas pour notre sécurité, mais pour l'état d'esprit, l'atmosphère de terreur qui s'ils sont souhaités par ces ennemis de l'ombre sont le plus souvent entretenus par ceux qui en parlent. Qu'on puisse s'émouvoir de faits, de massacres particulièrement sordides, ça me paraît normal, mais qu'on en vienne à utiliser le même vocabulaire ou réclame les mêmes mesures pour chaque fait divers, ça devient inquiétant non pas pour notre sécurité mais pour le droit et la liberté. Ce qui me terrifie, c'est qu'à chacun de ses actes, il n'y en ait toujours que pour ceux qui prônent le tout, ou le plus, sécuritaire. Il y a une surenchère affolante dans la bêtise et la récupération qui rend le discours de l'extrême droite tout à coup légitime aux yeux de ceux pourtant qui continue de mettre en garde contre ce "diable". Parce que si on pourrait se demander si le traitement médiatique et les possibilités technologiques ne sont pas des facilitateurs du terrorisme, on pourrait s'interroger sur les conditions politiques, sociales, culturelles ayant favorisé les émeutes en 2005 qui n'ont à mon sens pas été résolues, et plus globalement de la défiance des Français à l'égard des partis politiques.
Il y a donc aussi pas mal de récupération médiatique (dont chacun, c'est vrai, participe aujourd'hui) et politique qui ne fait un peu plus qu'accentuer à chaque fois les tensions et la perception biaisée qu'on se fait des événements. Quand je lis ou entend qu'il faut faire corps, il y a de ça, sauf qu'il faudrait aller dans l'autre sens, éviter la surenchère guerrière, ne pas céder aux apparences ou aux déclarations intempestives (je rappelle par exemple que le chef d'État s'agite désormais à évoquer des attaques terroristes à chaque fois que c'est possible quitte à dire n'importe quoi comme en Allemagne, et cela, sans qu'il ne soit repris par qui que ce soit, en particulier par ses opposants qui sont eux aussi dans la surenchère). Parce que les déclarations appelant à la sérénité, j'en vois pas beaucoup ces jours-ci. Sans doute, un peu par souhait de récupérer vilement une situation à son profit, mais aussi parce que faire preuve de mesure dans ce genre de situation, ou d'intelligence, de retenue, c'est bien plus difficile en terme de communication et de traitement (de l'information) qu'allant dans le sens de la surenchère.
Il y a des faits divers sordides tous les jours, des assassinats, je rappelle qu'il y a dix morts par jour victime d'accidents de la route (et pas seulement), pourtant, on s'émeut et on va réclamer des mesures, des actions, une riposte ou que sais-je, à cause d'un assassinat. Mais c'est vrai que si on s'émeut, c'est principalement à cause d'un monde où tout devient accessible, où chacun, du simple citoyen à celui en charge des plus hautes responsabilités, en passant par le "revendicateur" s'exprimant via les réseaux sociaux, doit communiquer sur le fait du jour. Se taire, ce n'est plus exister. Elle est sans doute plus là la terreur... C'est une forme de démocratie directe, autant dire du populisme.
Greem a écrit :(...) sauf que là, les victimes civiles sont des cibles ! Des cibles putain ! Ces fanatiques n'attaquant pas des bases militaires, des lieux de ressources ou des bâtiment politiques, non, ils tuent sciemment des civiles désarmés ! Des enfants ! Des gens qui n'étaient là que pour profiter d'un feu d'artifice ! Ça ressemble bien plus à un génocide qu'à une guerre, puisqu'il s'agit d'exterminer sans distinction (ou de soumettre à leur idéologie ou à l'esclavage) des peuples entier.
Depuis, au moins, la logique de guerre totale, les civiles font partie intégrante non seulement des cibles, mais également des "soldats". C'est le principe.
Tu t'égares un peu parlant de génocide, donc. Des combattants luttent avec leurs armes. C'est le cas des guérillas, comme des États (forces spéciales, ou même attaques contre civiles sans pour autant qu'on puisse qualifier ça de génocide), comme des "terroristes". Les terroristes, on pourrait dire que dans la situation présente, sont une sorte de groupe armé par un État jugé illégitime et qui opère sur le territoire de l'ennemi (nous). Mais il serait vain de s'attaquer alors à des installations militaires ou officielles, parce que comme leur nom l'indique les terroristes, leur rôle, c'est de propager la terreur. Et il faut avouer qu'ils réussissent particulièrement bien, non pas à cause ou grâce à ces groupes armés, mais parce que nous ne savons pas y répondre à une guerre, qui si elle en est une, est de communication. Quand le seul but d'un terroriste, c'est de rependre la terreur, et qu'en réponse à ses actions, le petit monde dans lequel il a perpétré ses actions s'agite et entretient la terreur, sa mission est réussie. Ils mettent à l'épreuve notre tolérance et notre intelligence, force est de constater qu'il en faut pas beaucoup pour qu'on tombe dans le piège. La première chose à éviter dans une guerre de communication, ce serait de refuser à un État qu'on juge illégitime de lui trouver une légitimité en tant qu'ennemi. On prétend une chose dans un sens (c'est un État illégitime), mais par ailleurs, on lui reconnaît la possibilité d'être notre égal quand des repris de justice, des misérables ou des idiots agissent en leur nom loin de ses bases ? Au niveau de la communication, il y a des petites batailles que chacun mène pour soi et pour son autosatisfaction, le petit gain qu'on en tire à court terme, et puis il y a les batailles qu'on refuse de mener et qui se font dans l'ombre, ou les batailles stratégiques globales qu'on refuse de mener là encore pour tirer un maximum de bénéfices personnels. Parce qu'en voilà un bien crade de biais (d'autorité) : une chef d'État (ou aspirant) tire toujours bénéfice d'une guerre. Quant aux civils cités, ce sont les mêmes qui se délectent du spectacle de la terreur, qui s'alarment pour des faits divers aussi bien que pour des catastrophes ou des petits chats abandonnés au bord des routes, et qui fait du "faits divers" un bien à la fois de communication (à son réseau) et de consommation. Pour quelques civils réellement touchés dans ce que tu appelles un génocide, il y en a des millions d'autres qui s'en réjouissent tout en prétendant le contraire, et qui une heure après auront trouvé un autre sujet pour verser une larme. Un génocide à l'intelligence et à le mesure, tu veux dire.
Maintenant, si vous me permettez une pirouette qui devrait nous permettre de nous mettre en garde contre les emballements frénétiques. Au XXe siècle, il y a un fait un peu oublié aujourd'hui, et comme nos chères élites aiment nous dire qu'il est important de connaître l'histoire pour que cessent de se perpétuer certaines erreurs (hum), ce fait, ou cet événement, c'est celui d'un attentat perpétré contre un individu, un seul, celui de l'oublié archiduc François-Ferdinand. Cet attentat a fait deux morts, plusieurs blessés, et a ému l'Europe entière qui, malgré l'absence alors de réseaux sociaux, décida comme réponse à ce terrible attentat... de se déchirer dans une guerre qui fit neuf millions de morts. On a bien appris la leçon. À un attentat, répondons par la guerre.