thewild a écrit : 17 sept. 2022, 07:46Un des derniers épisodes de
La science CQFD sur France Culture tape dans le mille. A écouter sur le site de la radio, ou en podcast sur à peu près toutes les plateformes :
Temps : et si tu n'existait pas ?
Les points clé de ce podcast tous (sauf un) désormais bien connus des physiciens d'aujourd'hui
Pour ceux qui n'auraient pas la patience d'écouter une heure de podcast, les éléments clé qui y sont rappelés et affirmés par
Marc Lachièze-Rey (malgré le fait qu'il y ait encore débat au bon niveau et développement inachevé sur l'un des points évoqués) sont essentiellement les suivants :
- La simultanéité est relative
- On ne mesure pas le temps, on mesure des durées
- Même les durées propres sont relatives à un observateur (espérons que cette remarque ne fasse pas partir le fil en cacahouettes)
- Le choix d'un temps universel (1) présente une part d'arbitraire
- La nature du temps est relationnelle et non substantielle (2)
- C'est la manière dont "on" [l'observateur macroscopique en fait] caractérise l'état [macroscopique] d'un système qui induit l'irréversibilité des évolutions
- Le temps thermique introduit par Cones et Rovelli (3) mesure le nombre de changements microscopiques minimaux. La relation de proportionalité entre "temps mécanique" et temps thermique c'est la température (4).
Le caractère relationnel du temps
Tout au long de ce podcast est affirmé "le temps n'existe pas". C'est une expression que je n'aime pas du tout. Elle est fausse. Le temps existe tout autant que l'indéterminisme des mesures quantiques
puisqu'on l'observe. Ce qu'il faut en fait comprendre c'est : "
l'objectivité du temps n'existe pas". Cette formulation est bien plus correcte selon moi. La notion de temps est, en effet, comme toutes les notions décrivant notre univers,
relationnel. Il décrit et prédit une relation entre un observateur et l'univers observé (c'est particulièrement vrai, notamment, pour la simultanéité. Elle est relative au choix arbitraire d'un référentiel inertiel).
L'état quantique, représentation de "la réalité" du système observé ou représentation de la connaissance d'un observateur de ce système ?
Toutefois, l'attribution d'un caractère objectif à la fonction d'onde par exemple (comprendre dans ce cas "objectif" par : propriété d'un système individuel plutôt que propriété caractérisant un ensemble) ou au contraire
relatif à la connaissance maximale qu'un
observateur donné puisse acquérir d'un système donné reste encore objet de débat depuis un siècle chez des vrais physiciens (
5). Nicolas Gisin ou Yan Percival par exemple restent attachés à une interprétation de l'état quantique comme caractérisant l'état d'un système individuel. Selon moi, cette position n'est plus tenable depuis les travaux de Aharonov, Bergmann, Lebowitz, Albert, Vaidman, etc, etc (notamment les travaux de Aharonov et Vaidman relatifs au caractère T-symmetric des relations de corrélation entre mesures fortes et
mesures faibles).
Can quantum-mechanical description of physical reality be considered complete? Einstein, Podolski, Rosen
A noter qu'Einstein, auquel on a souvent donné tort concernant son article
EPR (d'inspiration réaliste) posait la question de la complétude de la description de l'état des systèmes physiques par la physique quantique. Depuis, en 1964 et plus encore en 1988 (cf. la mesure faible) des physiciens (Aharonov, Bergmann, Lebowitz, Albert, Vaidman, etc, etc) ont mis sur le devant de la scène une
formulation time-symmetric de la physique quantique.
Le deuxième état quantique, celui évoluant à rebrousse-temps. La variable cachée implicitement pressentie par Einstein.
Ces travaux s'avèrent donner raison à Einstein malgré l'inspiration réaliste de son article EPR. Il faut, en effet, deux états quantiques pour décrire de façon plus complète l'état d'un système physique
(cf.
The Two-State Vector Formalism of Quantum Mechanics: an Updated Review, Yakir Aharonov, Lev Vaidman)
- un état quantique (presque) observable (on ne peut pas observer l'état quantique d'un système individuel), celui qui évolue du passé vers le présent,
- un état quantique ne pouvant être observé que très indirectement (se manifestement seulement par ses effets) se propageant du futur vers le présent.
La voilà notre variable cachée un moment envisagée par John Bell (l'hypothèse de variables cachées locales étant réfutée par la
violation des inégalités de Bell expérimentalement confirmée par l'
expérience d'Alain Aspect). Cette "variable cachée", l'état quantique qui évolue à rebrousse-temps, respecte la localité (mieux, elle respecte l'invariance de Lorentz) cf.
Can a future choice affect a past measurement's outcome ?.
Cet état quantique, un peu timide, se cache dans le futur. De quoi cela découle-t-il ?
Le futur, par définition même de ce qu'est le futur, ne laisse
pas de traces qui nous soient
reproductiblement accessibles (et décodables). Ce n'est pas une conséquence des propriétés d'un temps qui serait objectif (et préexistant à l'observateur) mais une cause à l'origine de l'existence même du temps (pour nous, les observateurs macroscopiques : les êtres vivants).
Les physiciens positivistes semblent, désormais, prendre l'avantage sur les physiciens réalistes
Toutefois les (physiciens) positivistes sont, assez nettement, en train de gagner la partie devant les (physiciens) réalistes (à "bémoliser".
Vaidman se classe lui -même dans le camp des réalistes du point de vue de l'interprétation du double vecteur d'état et il se défend très très bien). Attention toutefois de bien noter (cela peut sembler un peu contradictoire) qu'un modèle
d'inspiration réaliste puisse parfaitement s'avérer, un jour ou l'autre, plus pertinent qu'un modèle d'inspiration positiviste. Ce n'est pas exclu.
L'impossibilité (jusqu'à preuve, de plus en plus improbable, du contraire) de violer le no-communication theorem
Nénamoins, concernant la possibilité de transmettre, en exploitant l'effet EPR, de l'information à une vitesse supérieure à celle découlant de l'impossibilité de biaiser les statistiques des résultats de mesures quantiques, je commence à douter que cela finisse par être réellement technologiquement possible un jour ou l'autre. Je n'exclue plus (pour ma part) l'hypothèse (à ce jour plutôt considérée comme une certitude établie) que ce ne soit pas possible du tout, simplement en raison de limitations d'accès à l'information qui s'avèreraient définitives (notamment l'accès à des traces d'évènements futurs).
L'écoulement irréversible du temps émerge de nos limitations d'accès à l'information
C'est précisément de l'impossibilité d'accès à des traces reproductiblement observables d'évènements futurs qu'émerge l'écoulement irréversible du temps, le principe de causalité et l'indéterminisme des mesures quantiques. Quand (et si) l'univers revient sur ses pas (au sens de l'écoulement du temps macroscopique que nous sommes en mesure d'observer) l'entropie (des systèmes isolés ou presque) se met à décroître. Lors d'une évolution à rebrousse-temps, les traces laissées dans le futur sont (presque complètement ?) effacées (cf.
A solution to the arrow of time dilemna. L. Maconne : "All phenomena where the entropy decreases must not leave any information of their having happened.")
L'indéterminisme existe tout autant que l'écoulement irréversible du temps. Il a la même origine : nos limitations d'accès à l'information.
Je reviendrai plus tard, pour mieux les expliciter, et sous réserve que les échanges s'y prètent (et ne me semblent pas présenter trop de risques de partir en bouillie pour les chats), les deux affirmations de l'un de mes messages précédents :
- l'écoulement irréversible du temps est un manque d'information de l'observateur sur le passé
- l'indéterminisme des évolutions est un manque d'information de l'observateur sur le futur.
(1) Comme par exemple le temps relatif au référentiel privilégié que constitue le Fond de Rayonnement Cosmique, un choix nous permettant de découper l'espace-temps en "tranches de simultanéité" (un feuilletage 3D de notre espace-temps 4D en feuillets de simultanéité universelle) et d'attribuer ainsi un âge unique à l'univers quel que soit l'observateur (à condition que tous les observateurs choisissent de préférer les mesures de temps et une datation attachées à ce référentiel universel privilégié que constitue le FRC (Cosmological Microwave Backgroung Radiation) plutôt qu'à tel ou tel autre référentiel).
(2) Bien noter que le caractère relationnel de l'écoulement du temps et de la mesure du temps n'est pas spécifique au temps. Il est vrai
pour toutes les grandeurs et tous les phénomènes physiques. La nouveauté, c'est que nous sommes contraints (par les découvertes scientifiques du début du siècle précédent) d'accepter le fait que ce soit vrai
aussi pour l'écoulement irréversible du temps et pour le principe de causalité (et non pas pour les seules notions de durée et de simultanéité).
La relativité de la simultanéité et la relativité des durées est bien plus facile à avaler car on peut la caser dans l'interprétation lorentzienne, donc réaliste, des effets relativistes. En Relativité de Lorentz (qui n'est pas "une autre Relativité" mais une
interprétation réaliste de la Relativité Restreinte), la réciprocité de point de vue (entre observateurs inertiels au repos dans des référentiels inertiels différents) apparaît comme une illusion due à l'absence de faits accessibles à nos moyens d'observation permettant de mesurer notre vitesse par rapport au milieu de propagation des ondes de matière et d'énergie.
(3) L'hypothèse du temps thermique est introduite par Cones et Rovelli. Dans leur modèle, un écoulement privilégié du temps dans un espace-temps de Minkowski (où, à la base, il n'y a pas de flot temporel privilégié) émerge d'un état d'équilibre (une forme linéaire positive dans une algèbre de von Neumann d'observables locales, dans une théorie des champs conformément invariante sur cet espace-temps) en tant que flot dans une algèbre de von Neumann d'observables locales, via la théorie de Tomita-Takesaki.
Cette approche sert à rétablir un flot temporel privilégié et une notion de temps (mise à mal en cosmologie quantique par l'
équation de Wheeler DeWitt), un écoulement privilégié du temps requis, dans la formulation actuelle de la physique quantique, pour tenter de faire (un peu) rentrer la physique quantique dans le cadre de l'espace-temps de la Relativité Générale où n'existe pas de flot temporel privilégié.
cf.
Von Neumann Algebra Automorphisms and Time-Thermodynamics Relation in General Covariant Quantum Theories A. Cones, C. Rovelli
Diamonds's Temperature: Unruh effect for bounded trajectories and thermal time hypothesis P. Martinetti, C. Rovelli.
(4) t = béta s où t est le temps que nous le mesurons avec nos horloges, où béta = hbar/(kT) et où s est la mesure du temps émergeant d'un état d'équilibre, un état d'équilibre à la température T caractérisant lui-même le manque d'information d'un observateur. A noter qu'une mesure des durées avec s (au lieu de t) rejetterait de Big Bang vers moins l'infini si l'augmentation de température T à l'approche du Big Bang n'était pas limitée par des considérations quantiques. Au fur et à mesure que la température T augmente, les pas de temps "mécaniques" sont découpés en pas de temps thermiques de plus en plus fins.
(5) Les amateurs "éclairés", il faut s'en méfier comme de la peste. Le plus souvent, ils affirment n'importe quoi n'importe comment sur des sujets auxquels ils ne comprennent absolument rien faute de s'être donnés la peine d'étudier très sérieusement et très soigneusement ce qu'en disent les articles publiés dans des articles publiés dans des revues à comité de lecture (en acquérant les prérequis appropriés quand ces prérequis s'avèrent nécessaires pour réaliser de telles analyses).