jean7 a écrit :Tel que tu le dis, nous serions incapable de faire exister quoi que ce soit, ce que nous faisons serait plutôt "classer" ce qui existe.
C'est ça l'idée ?
Si nous voyons, dans le désert, le mirage d'une ville ou d'un point d'eau et que nous croyons être réellement à proximité de cette ville ou de ce point d'eau, nous ne créons pas la ville ou le point d'eau, nous classons à tort le mirage dans la catégorie ville ou point d'eau. Ce que nous appelons une illusion n'est pas une création mais une erreur de classement. Même chose quand un enfant voit un bâton plongé dans l'eau et le croit cassé. Il ne crée pas la cassure, il interprète seulement erronément l'effet de la diffraction.
ABC a écrit :Du coup, plus moyen (du moins facilement, la discussion reste en cours) de définir l'écoulement irréversible du temps sans recourir à la myopie (le manque d'information) d'une classe d'observateurs particulière
jean7 a écrit :Je n'ai certainement pas compris. Faut-il comprendre que, passer de l'observation macroscopique à l'observation microscopique d'un même objet met nécessairement l'observateur face à un système "insoluble" (par déficit d'information) ?
Pourquoi insoluble ? La description macroscopique d'un gaz monoatomique correspond à la donnée d'un ensemble de grandeurs macroscopiques (le nombre de particules par unité de volume d'espace de phase en une position et à une vitesse donnée). La description microscopique correspond à la donnée de la vitesse et la position
de chaque particule. La description microscopique est complète alors que la description macroscopique est incomplète. La description macroscopique ne comprend que l'information dite pertinente (celle qui correspond à une description pertinente à l'échelle macroscopique).
L'entropie dite pertinente, c'est la manque d'information sur l'état d'un système physique quand il n'est connu que par les grandeurs caractérisant son état du point de vue macroscopique.
Une évolution irréversible est une évolution associée à une création d'entropie, c'est à dire à une fuite d'information hors de portée de l'observateur macroscopique. L'écoulement irréversible du temps repose sur la notion d'évolution irréversible c'est à dire sur la création d'entropie, donc sur la myopie de l'observateur macroscopique (1).
jean7 a écrit :Est-ce que ça a a voir avec le fait que l'observateur est lui-même "macroscopique" (Est-ce là qu'intervient la "classe d'observateurs") ?
Oui, mais le caractère supposément subjectif qui en découle concernant l'écoulement irréversible du temps, bien que ce soit le point de vue majoritaire parmi les physiciens, ne fait toutefois pas l'unanimité (cf. le point de vue de Prigogine et Petrosky notamment). Mon sentiment, c'est que les deux points de vue (le point de vue selon lequel l'écoulement irréversible du temps serait une émergence thermodynamique statistique et le point de vue opposé selon lequel l'écoulement irréversible du temps serait au contraire un fait de nature, objectif, indépendant de l'observateur, valide à toutes les échelles d'observation) contiennent probablement tous les deux une part de vérité (je ne précise pas plus, ce serait trop long).
jean7 a écrit :Il me semble que l'objet de ton propos était surtout d'introduire l'hypothèse d'une réversibilité du temps à échelle microscopique.
C'est ça ?
J'ai voulu rappeler que le caractère d'illusion attaché à l'écoulement irréversible du temps par Einstein, était lié à son point de vue, un point de vue selon lequel ce qui ne peut pas être défini indépendamment de la notion d'observateur est, selon Einstein, une illusion. Je trouve le concept d'illusion bien trop vague quand on le met à toutes les sauces (en gros, chaque fois qu'on rencontre quelque chose que l'on ne comprend pas ou que l'on ne sait pas définir). Souvent, dans le contexte où on l'emploie, le concept d'illusion ne signifie plus rien (ou plutôt, il qualifie notre impuissance à comprendre et caractériser la notion que l'on affuble de ce qualificatif). Il vaut mieux, à mon sens, considérer que la réalité perçue est une réalité
participative (c'est à dire que les propriétés attribuées aux objets et phénomènes observés ne caractérisent pas ces objets et phénomènes mais notre interaction avec eux)...
...Mais ce n'était pas le point de vue d'Einstein qui était un réaliste, en opposition assez marquée avec les positivistes tels que Bohr, Born et Heisenberg notamment. En particulier, dans son article de 1935 concernant l'effet maintenant appelé effet EPR, Einstein écrit : “If, without in any way disturbing a system, we can predict with certainty (i.e., with probability equal to unity) the value of a physical quantity, then there exists an element of physical reality (sous entendu objectif) corresponding to this physical quantity”.
Cette citation définit ce qu'on appelle le critère de réalité d'Einstein. C'est sur cette base qu'il refusait de considérer la physique quantique comme une description complète de la réalité. Pour Einstein, une description complète de la réalité physique devait forcément être locale et réaliste, c'est à dire présenter un caractère local (pas d'action instantanée à distance) et donner une caractérisation des grandeurs physiques totalement indépendante de l'observateur et de l'acte d'observation.
(1) Du moins en gros, parce que ce point de vue sur l'écoulement irréversible du temps (son interprétation comme une émergence thermodynamique statistique) n'est que le point de vue majoritaire. Il ne fait pas l'unanimité. Prigogine et Petrosky estiment au contraire qu'une description appropriée de certains phénomène physiques (tels que le phénomène d'émission-absorption d'un photon en interaction avec un champ électromagnétique ou encore la désintégration d'un atome radioactif) permet de faire apparaître une irréversibilité objective, c'est à dire une fuite d'information hors de portée
de tout observateur. Je ne comprends pas bien pourquoi ce point de vue, basé sur un modèle mathématique concordant avec les faits d'observation, ne rencontre pas plus d'écho parmi les physiciens qui travaillent sur la question du temps (à tel point d'ailleurs que je suis passé à côté pendant très longtemps et que je m'y suis intéressé seulement à l'issue de discussions avec Emanuelle sur le présent forum).