Florence a écrit :Brève de comptoir a écrit :
[snip collection de clichés, négation de problèmes et blâme des victimes]
Résumé: si les femmes se font allumer, c'est essentiellement leur faute, elles sont fondamentalement irrationnelles, sentimentiques et romantales, et elles manquent d'humour comme de perspective lorsqu'elles se plaignent.
J'oubliais un des clichés essentiels : elles sont sous la coupe de féministes enragées voulant castrer les hommes

Que vous le vouliez ou non les clichés sont là et il faut faire avec. Nier leur réalité, c'est rêver à un monde parfait où chacun serait doté d'une supra-intelligence leur donnant la faculté de ne pas être sensibles aux premières impressions, aux raccourcis, etc. Dire que les clichés c'est le mal et que l'acceptation de la complexité des choses et des identités en particulier c'est le bien, ça relève là encore du rêve. Certes, on tend aujourd'hui, par la morale et la bienséance du politiquement correct, à favoriser l'acceptation de l'autre dans sa différence ou sa particularité, mais l'ériger en loi, en morale, en évidence du Bien contre les méchants racistes ou machos, c'est parfaitement contre-productif à mon avis. On passe d'un excès à l'autre, d'une idéologie à l'autre. On n'incite pas à comprendre les principes de ségrégation, de distinction, d'exclusion, on dit juste "c'est mal". Or en agissant ainsi, non seulement on se heurte à des contestations parce qu'un extrême s'oppose souvent à un autre, mais surtout on n'avance pas. Selon les époques, telles ou telles choses deviennent tabous ou acceptables, et hop, suivant les excès, on retourne la polarité des responsabilités et on change de morale. On est loin de la rationalité.
Ce n'est donc pas en roulant des yeux que vous allez convaincre de la réalité d'une ségrégation dont vous vous sentez victime et qui pour vous va de soi. C'est votre impression, mais elle est tout à fait influencée par votre expérience, vos émotions, votre identité et vos marottes. La présenter comme une évidence et en vous émouvant des clichés utilisés par ceux qui vous opposent la réalité d'une telle ségrégation ne la rendra pas plus réelle.
Les clichés, les a priori, l'identification, c'est la base de l'intelligence. Certes primaire, mais sans cela, on ne peut pas arriver à un niveau supérieur de compréhension. Avant de comprendre que le monde ne se distingue pas exactement d'hommes et de femmes... (bah oui les trans quoi) il faut pouvoir distinguer ce qu'est un homme et une femme. Une fois les étiquettes placée là où il faut, c'est ensuite qu'il faut lutter contre le hiératisme des idées et se forcer à voir plus loin. C'est une lutte de chaque instant. Mais réagir à un "macho" en le traitant de macho comme lui pourrez ne voir qu'une femme derrière un comportement particulier, c'est tout aussi crétin. Et cliché. L'adjectif tombe comme une sentence, il en devient un substantif et fini par vous définir complètement et vous n'en êtes plus qu'esclave. Ça vaut pour tout, comme pour tout le monde. Les soi-disant minorités opprimées sauront d'autant plus stigmatisées qu'elles se regroupent contre un ennemi invisible et vague dont elles aident à donner une consistance en l'identifiant comme un "mal". On en finit à vivre dans une perpétuelle inquisition où chacun juge chacun et guette les moindres grossièretés du voisin pour le pointer du doigt et le traiter de tous les noms. Ça commence par dire qu'il y a des machos, puis on dit que les machos oppriment les femmes, que les hommes piquent le boulot des femmes, etc. et ça finit par une guerre ouverte, une chasse aux... sorciers et à un véritable pogr-homme. Les mêmes incompréhensions du phénomène qui régissent nos comportements peut amener en fonction des circonstances les mêmes tragédies irrationnelles.
La ségrégation, la distinction, c'est la base même de l'intelligence, il faut faire avec. Et il faut comprendre qu'il n'y a aucune raison à brandir un étendard face à un ennemi invisible. Parce que demander à ce qu'on vienne de son côté autour de la même cause, la même lutte, c'est pousser d'autres qui se sentent eux-mêmes agressés par cet attroupement dont ils se sentent a priori exclus, à s'organiser et à brandir de leur côté un étendard. Quand on se cherche des ennemis, on les trouve. Donc si on veut affirmer que sa féminité est la raison, la cause, d'une ségrégation, d'une distinction particulière, on trouvera naturellement une opposition qui légitimera du même coup l'affirmation de l'existence d'une telle ségrégation. Mais on se sera soi-même crée le monstre qu'on redoutait.
L'ennemi, ce n'est pas l'autre, dans sa propre identité, son propre cliché, c'est la facilité, la bêtise, l'intelligence primaire qui ne va pas plus loin que les identifications de premiers niveaux, que les évidences, et donc les clichés.
Maintenant, vous pouvez aussi trouver un certain plaisir à vous enfermer dans cette identité victimisante. Il y a à la fois un côté dangereux à prendre les armes et soulever l'étendard, mais également un côté sécurisant de se sentir identifié dans un groupe. Mais n'allez pas prétendre qu'il s'agit de raison. On est en plein dans l'émotion. Le besoin personnel de s'identifier à... un cliché.
C'est tout con mais l'intelligence humaine n'est pas en capacité de saisir toute une complexité en un claquement de doigt. Donc toutes les informations qui nous arrivent dans un premier temps intègrent notre esprit et s'établissent dans des petites casses préconfigurer pour identifier, classer, comprendre, une personne, une situation, un comportement. Dire qu'on est une femme, c'est déjà éveiller des a priori chez ceux qui nous rencontrent. Choisir un pseudo ridicule, ça va de la même manière soulever des a priori. Et il faut du temps pour se faire une idée plus précise d'une situation ou d'une personne. On n'y arrive jamais complètement, et surtout, on peut à chaque instant retomber dans la facilité, les clichés, les grossièretés. C'est bête, on a aussi besoin de simplifier les choses parce qu'on ne peut pas encombrer notre tête d'analyses ou de "modération", de complexités, superflus. Les raccourcis, les clichés, oui, ça aide aussi à aller plus loin. C'est comme en science. Nul besoin de devoir reformuler tous les acquis passés pour présenter une nouvelle étude. Quand on parle de chaises, se serait inutile de devoir à chaque fois définir ce qu'est une chaise, si celles dont on parle ont des particularités par rapport à d'autres, etc. Il y a des clichés plus ou moins proche de la chose qu'ils définissent, et on ne fait que jouer avec la concordance plus ou moins distendue ou acceptée de l'élément identifié et de l'élément réel. Quand on décide de jouer des clichés pour discréditer ou s'attaquer à quelqu'un, ce n'est pas le cliché en lui-même qu'il faut remettre en question, mais l'usage qui en est fait, l'excès. Et opposer un cliché à un autre cliché n'apportera pas beaucoup plus de "raison" à toute cette affaire, au contraire. S'il est important qu'à un moment la parole de la victime soit reconnue pour identifier l'excès et reconnaître le préjudice subi, il serait dangereux de chercher par la suite à se complaire à l'intérieur de cette nouvelle identité. Parce qu'on ne serait plus que ça et on donnerait d'autant l'occasion à d'autres d'exprimer leur bêtise.