Allez, je prends le parti de Kraepelin. Je prends mon pied à contre-pied et j'aime bien faire l'avocat du diable, pour une fois que c'est pour défendre l'église, ça change :-)
Alors je suis 100% athée, plutôt anticlérical et bizarrement, je suis d'accord avec pas mal de tes constats.
Kraepelin a écrit :J'y vois aussi la disparition d'une certaine représentation du "bien", la disparition d'une philosophie collective, d'un refus de se soumettre à la dictature de l'enrichissement matériel.
Pour l'intérêt de la discussion, je propose de parler de l'enseignement théorique dispensé, pas de l'exemple pratique que le clergé catholique a donné. Je voudrais quand même pointer du doigt une petite inversion de valeur de la part de K ici: le terme de dictature est plus approprié à l'ordre moral qui a disparu qu'à celui qui l'a remplacé: Là où l'hédonisme était mal vu autrefois, il est maintenant toléré, voire encouragé, mais bien plus optionnel que ne l'étaient les bondieuseries du passé.
Si tu ne souhaites pas saisir toutes les opportunités de la libéralisation des moeurs et de la société de consommation, l'ascèse consumériste est non seulement possible mais pas particulièrement mal vue. Si t'as pas de smartphone, que tu te préserves pour le mariage et que tu vas à la messe trois fois par semaine, tu n'es pas aussi mal vu qu'un couple de la génération de mes parents qui décide de vivre ensemble sans être mariés.
Mais oui, une philosophie collective, et, plus important, une communauté issue d'une communion hebdomadaire, ce sont des choses qui ont disparu et dont on peut être triste. Ces dernières années j'ai rencontré des chrétiens formidables qui tout en renforçant mon athéisme m'ont fait voir un peu plus loin que mon rejet un peu superficiel de tout le fait religieux. Je maintiens qu'on a plus gagné que perdu, mais je ne suis pas contre discuter de comment rétablir les quelques choses d'intérêt dans le cadre moral moderne.
Kraepelin a écrit :Je ne crois pas que cela soit remplacé de façon équivalente par une éthique laïque.
Et ça vient d'un fait simple: l'éthique laïque a pour buts le vivre ensemble et la liberté. En conséquence, il ne prononce que des interdictions utilitaristes, permettant à la société de fonctionner. Contrairement à la morale religieuse, elle n'édicte pas de recommandations. Autrement dit, elle énonce ce qu'il ne faut pas faire, elle reste muette sur ce qu'il
faut faire.
La notion de construire sur terre le royaume du Christ, combattre le péché, étendre l'Église (comprise comme la communauté des chrétiens), ce sont des exhortations que la morale laïque ne se permet pas. Je comprends que ça puisse manquer. J'ai également compris qu'un des thèmes principaux du catholicisme (dont on peut parler pendant des pages du dévoiement et de l'exploitation, mais je l'élude dans l'intérêt de la discussion) est le travail sur soi: sur le fait de combattre non seulement le péché mais aussi le désir du péché. C'est une exhortation (quelque part assez Nietzschienne en fait) à dépasser sa condition humaine que je trouve intéressante.
Kraepelin a écrit :Y a-t-il aujourd'hui une représentation du bien qui soit aussi enthousiasmante que la christianisme a pu l'être pour les élites du passé?
Eh bien en fait, oui, pas mal même. Le truc c'est qu'elles sont désormais optionnelles et qu'un des piliers parfaitement justifiés de l'éthique laïque est la tolérance envers les personnes ayant fait un choix différent. Du coup c'est dur de trouver une société unanimement tournée vers un but spirituel commun, mais les groupes ayant de telles valeurs existent encore.
Il y a plein de groupes religieux, occultes ou philosophiques. À commencer par le christianisme, qui existe encore. Une forme occidentalisée de bouddhisme prospère, il y a une religion environnementaliste qui perso m'agace pas mal, qui monte beaucoup et qui intègre beaucoup de la mortification catholique. Il y a les franc-maçons, un groupe très divers dont les mentalités semblent changer pas mal d'obédience en obédience voire de loge en loge.
Je trouve que le
"secular humanism" est un mouvement qui intègre la plupart des notions positives du christianisme et donne des objectifs enthousiasmants: amélioration du monde et de notre compréhension d'icelui.
De mon coté, je suis servi par les mouvement posthumain et singularistes en terme de transcendance: je trouve qu'ils donnent à ce mot un sens bien plus réel et bien plus concret qu'aucune religion n'a jamais réussi. C'est peut être parce que je suis ces philosophies depuis si longtemps que j'ai eu du mal à comprendre jusqu'à récemment ce qui manquait aux croyants perdant leurs croyances.
Récemment j'ai adjoint à ce petit mix, une dose de bouddhisme sur la notion d'amour inconditionnel comme une valeur positive et spirituellement constructive (mais ça aurait pu facilement être d'inspiration chrétienne).