Chanur a écrit : 03 mai 2018, 01:49
thewild a écrit : 30 avr. 2018, 14:27Une simple question suite à la petite promenade wikipedieste induite par la lecture de l'article sur le théorème de Noether : quels sont les exemples de systèmes dynamiques dont les équations du mouvement
ne peuvent pas s'obtenir à partir d'un lagrangien ? (i.e. exemple de systèmes dynamiques non lagrangiens)
Un moteur : un système dont les forces ne sont pas conservatives mais s'obtiennent en consommant de l'énergie.
En fait, il n'y a jamais consommation d'énergie (l'énergie se conserve). En première approche (celle de l'observateur macroscopique) il y a par contre création d'entropie, c'est à dire la perte d'information qui caractérise physiquement la notion même d'évolution irréversible (et de forces dites non conservatives). Ce que l'on appelle (par abus de langage) de la consommation d'énergie est en fait de la consommation d'information (de la création d'entropie)...
...Toutefois, si on attribue aux symétries des lois de la physique (la fameuse symétrie CPT notamment) un caractère fondamental
l'évolution des systèmes physiques est fondamentalement hamiltonienne, donc unitaire, donc isentropique, déterministe et réversible (bien que ce que l'on observe en pratique, notamment la mesure quantique, semble violer ces règles). Selon ce point de vue majoritaire parmi les scientifiques professionnels, il n'y a pas de création objective d'entropie à un niveau fondamental (pas de système non conservatif) et donc pas d'irréversibilité objective.
Il y a eu un assez long débat sur ce sujet (débat qui n'est pas vraiment parfaitement achevé d'ailleurs) concernant le caractère absolu ou pas de la création d'entropie lors de la formation d'un trou noir (le seul phénomène physique qui semblait donner l'espoir de faire apparaître dans notre physique une irréversibilité "vraie") (1).
Hawking a très longtemps émis la conjecture qu'il y avait bien une perte absolue d'information dans ce cas (
transformation d'états quantiques purs en états quantiques mixtes).
Hawking a finalement changé d'avis en 2005.
En 2005, Stephen Hawking avait annoncé qu'il pensait avoir résolu le paradoxe de l'information qu'il avait lui-même contribué à mettre en évidence en découvrant le rayonnement des trous noirs (il rayonne comme un corps noir à la température dite de Bekenstein et possède une
entropie, dite elle aussi de Bekenstein, proportionnelle la la surface de sa sphère de Schwarzschild).
Hawking admettait donc, finalement, s'être trompé dans sa conjecture émise 20 ans plus tôt. Il confirmait-estimait (pas d'article scientifique d'Hawking détaillé sur ce sujet en fait) que, même dans le cas de l'effondrement d'une étoile massive en trou noir, l'information se conservait. Des discussions assez pointues ont cependant eu lieu à ce sujet en 2015 montrant que le sujet reste objet de débat.
En fait, la discussion est très subtile car elle passe par un choix d'hypothèses physiques qui ne peut pas être tranché par l'observation.
- Soit on admet la validité des symétries à la base des lois de la physique connues à ce jour et cela donne lieu à des modèle mathématiques où l'information se conserve,
- soit on se place au contraire (selon le ou les phénomènes étudiés) dans un cadre mathématique faisant, par sa nature même, émerger une irréversibilité objective, c'est à dire une fuite d'information se traduisant par une violation d'unitarité des évolutions et le découpage du groupe d'évolution du système considéré en deux 1/2 groupes (l'un modélisant les évolutions présent-futur et l'autre les évolutions présent-passé).
La raison pour laquelle le débat ne me semble pas clos est le suivant. C'est très bien les symétries. C'est très utile. Toute notre physique d'aujourd'hui repose dessus. Mais ne doit on pas envisager les graphes de Feynman, avec leurs particules qualifiées de virtuelles (parce que l'on ne sait pas les observer), des particules qui s'échappent de leur couche de masse (violation inobservable directement de la conservation de la quadri impulsion E² - (pc)² = (mc²)²) comme la manifestation de
réelles (et non virtuelles) violations de l'invariance relativiste ? Dans cette interprétation, peut-être bien que les symétries sont effectivement violées et que l'information se perd définitivement à l'échelle de Planck (voir même au dessus).
Comment donner raison à un modèle mathématique de tel ou tel phénomène physique plutôt qu'à un autre quand les prédictions des deux modèles s'écartent les unes des autres à un niveau où l'observation n'est plus possible ? On en est ramené à des choix basés sur des préférences philosophiques puisque l'observation ne permet pas de trancher.
Cela dit, je crains que l'attachement à des modèles impliquant une fuite objective d'information (une irréversibilité objective) ne soit fortement influencé par notre désir de rester dans le cadre rassurant de la vision classique de la physique qui s'offrait à nous à la fin du 19ème siècle, à l'abri, donc, des agressions de la physique du 20ème siècle. Au 19ème, on pensait en effet que la physique nous fournissait une description
objective du monde extérieur, une description indépendante de l'observateur et de l'acte d'observation et non la modélisation de la
relation de ce monde extérieur avec un ou des observateurs.
Au 19ème, on pensait que la physique consistait à recueillir une information préexistante caractérisant les propriétés supposément objectives des objets et phénomènes physiques. Nous étions des spectateurs. La physique du 20ème siècle semble bien faire de nous des spect
acteurs.
A ce jour,
même Mermin a fini par lâcher prise face aux coups de boutoir insistants du Qbism et de la clique des positivistes qui défendent ce point de vue. Je n'ai pas encore été complètement converti à la religion positiviste, mais bon, ma foi dans la religion réaliste s'est réduite comme peau de chagrin.
L'exemple emblématique, c'est celui de la fonction d'onde de la paire de photons corrélés d'Alice. Cette fonction d'onde (cet état quantique) s'effondre quand Alice fait une mesure de polarisation sur son photon. Si, dans le respect de la causalité relativiste, on croit plus en l'impossibilité d'actions instantanées à distance qu'en l'objectivité de la fonction d'onde décrivant un système physique donné, alors
la fonction d'onde de Bob relative à la même paire de photons ne s'effondre pas tant qu'il ne fait pas de mesure.
Dans ce cas d'étude, férocement attaché à l'interprétation réaliste, j'avais imaginé, il y a une quinzaine d'années, une expérience de pensée permettant la discrimination entre l'hypothèse d'objectivité de la fonction d'onde et, au contraire, l'hypothèse d'impossibilité de transfert instantané d'information (impossibilité que prouve le no-communication theorem si on croit aux hypothèses positivistes implicitement contenues dans le modèle sur lequel il repose).
Cela dit, une expérience de pensée, ça peut-être utile pour préciser une hypothèse ou une interprétation physique un peu subtile. Toutefois, tant qu'il n'est pas possible de transformer cette expérience de pensée (comme ça c'est produit 50 ans plus tard concernant l'article EPR) en une expérience de physique concrète, sonnante et pas trébuchante, on n'est pas vraiment avancé.
Du coup, je m'étais contenté de signaler le cadre mathématique (autorisant d'éventuelles violations d'invariance de Lorentz) où
l'interprétation réaliste de la non localité quantique (une violation de la causalité relativiste au niveau interprétatif donc) pouvait prendre place...
... Vu que j'ai plus ou moins changé d'avis (sans pour autant avoir une conviction inverse ferme toutefois), je n'ai pas insisté dans cette voie.
Mon objectif maintenant (et c'est la raison de ma participation à ce forum et à celui de futura-science), c'est de comprendre
en détail les modèles intégrant une violation objective de la conservation de l'information, en vue de maîtriser sur ce sujet tout ce qui peut l'être sur la base des connaissances scientifiques actuellement disponibles.
Cela dit, je ne crois pas qu'il soit possible d'éliminer pour autant le rôle de l'observateur. D'une façon ou d'une autre, l'information que nous manipulons tient sa stabilité, sa robustesse, sa reproductibilité de
la redondance de son enregistrement dans l'environnement, redondance indissociable de
l'entropie pertinente base de notre grille de lecture d'
observateur macroscopique.
On ne peut pas éliminer le sujet de la relation sujet-objet que décrit
en fait la physique. De ce point de vue, finalement, je ne vois pas comment parvenir à donner tort aux Bohr, Born, Heisenberg, Peres, Rovelli, Gell-mann
Bitbol et compagnie.
(1) A noter, toutefois, que d'autres physiciens (très nettement minoritaires toutefois) estiment légitime de coller (modèle mathématique sérieux et physiquement valide à l'appui, on est pas dans le richard) une irréversibilité absolue (via des modèles me semblant toutefois implicitement contenir un passage à la limite thermodynamique) sur des phénomènes tels que
- l'émission-absorption de photons par un atome en interaction avec un champ électromagnétique,
- la désintégration nucléaire d'un atome instable,
- la diffusion dite persistante,
- et même la mystérieuse mesure quantique.
cf. les travaux de Prigogine, Petrosky, Bohm, Gadella et de la Madrid et même Weinberg notamment concernant la tentative de modélisation de la mesure quantique comme un phénomène physique objectif (c'est à dire indépendant de l'observateur) violant objectivement l'unitarité des évolutions quantiques.
Nota: concernant la question de savoir si, en physique classique, tous les phénomènes physiques ont une évolution dynamique régie par un Lagrangien, on a des exemple où on a certes une évolution modélisable dans le cadre de la géométrie simplectique (dans le respect du principe de Maxwell), mais pas de Lagrangien associé. Cf. structure of dynamical systems, JM Souriau, Introduction, page XXi.