John Difool a écrit : 14 oct. 2019, 09:26petite question au passage à ce sujet : chez les jeunes justement (ados/jeunes adultes) est-ce qu'ils parlent bien entre eux français ? Ou est-ce que ça peut arriver d'avoir des conversations 100% en anglais entre francophones ?
Je vais partager mon constat en tant que québécois qui a vécu toute sa vie à Montréal et en périphérie (
naturellement, j’ai voyagé un peu partout au Québec).
Premièrement, faut bien faire la distinction entre Montréal et le reste du Québec. Si l’on excepte Montréal ainsi que quelques petites villes et villages qui se trouvent près des frontières US (
et de l’Ontario), l’ensemble du Québec est très majoritairement francophone (
près de 80% incluant Montréal pour environ 9% d’anglophones). De ce point de vue, le français et la culture québécoise ne sont naturellement pas menacés à court terme.
Pour Montréal (
l’ile de Montréal), c’est une tout autre histoire! Pour faire très simple (
il y a des exceptions, mais grosso modo...), la ville est pratiquement divisée en deux depuis toujours : à l’ouest du Boulevard Saint-Laurent (
situé presqu’au centre de l’ile), c’est anglophone et tout ce qui se trouve à l’est est majoritairement francophone. Sauf que dans l’est, bien que majoritairement francophone, il y a aussi certains quartiers où, même si dans les commerces tout se passe en français, plusieurs parlent une autre langue maternelle et/ou l’anglais entre eux et à la maison. Dans l’est, il y a des quartiers haïtiens, italiens, « Arabo-magrébins », etc., où, bien que la plupart des gens parlent le français lorsque nécessaires, peu le parle à la maison et/ou quand il n’y a pas de francophones avec eux.
Donc, au-delà des chiffres, des lois et des politiques — en pratique —, dès que tu « traverses » vers l’ouest, c’est surtout l’anglais qui a cours par défauts. Sauf que plusieurs sont capables de comprendre et de parler le français même s’ils habitent dans l’ouest et qu’ils sont anglophones. De fait, si tu parles français le premier dans un restaurant situé dans l’ouest, dans la plupart des cas l’on te répond en français, mais sinon, la majorité (
8 fois sur 10 selon ma propre expérience) on te parle avant tout en anglais.
Alors que dans l’est, c’est vraiment le français qui « a cours » par défaut presque partout (
restaurants, commerces, etc.). ...sauf qu’il y a certains « phénomènes » difficiles à expliquer à quelqu’un qui ne vit pas ici. Par exemple, ma belle sœur qui a près de 40 ans (
donc pas une très jeune personne), qui est francophone (
Québécoise « de souche ») et qui pourtant habite le quartier St-Léonard depuis toujours (
quartier très dans l’est) est un curieux « produit », car, vas savoir pourquoi (
bcp d’Italiens dans ce quartier!?), à l’école qu’elle fréquentait plus jeune, la majorité des étudiants discutait entre eux majoritairement en anglais et ne visionnais que des films, émissions et séries anglophones (
consommaient donc que de la culture américaine). Donc déjà, il y a près de 25~30 ans, dépendamment des quartiers et des écoles, même dans l’est, il y avait des « cultures » plus « anglos~américanisées » que d’autres. Alors que moi (
et mes amis), qui, à l’époque, fréquentions une école située à moins de 5km, plus à l’est, parlions uniquement en français, avions du mal avec l’anglais et consommions presque qu’exclusivement la culture québécoise (
en plus de visionner uniquement les films américains traduits en français).
Je mentionne la télévision et les films parce que ce n’est pas qu’une bête histoire de langues, mais aussi de culture. Quand tu rencontres des anglophones (
peu importe s’ils savent comprendre et parler le français) qui vivent dans une petite ville près de la frontière US, dans l’ouest de l’ile de Montréal et/ou qui sont des espèces d’individus « inclassables » comme ma belle sœur, tu t’aperçois souvent en discutant avec eux qu’ils n’ont aucune espèce de connaissances de la culture québécoise sous toutes ses formes, ne connaissant aucun film, aucun artiste, personnalité publique, aucune émission québécois, etc. Et pourtant, certains, comme ma belle sœur, sont québécois de souche, de langue maternelle française et habite dans l’est de l’ile.
Autrement dit, la quasi-totalité de ceux qui habite l’ouest de l’ile (
peu importe s’ils savent aussi parler français) ont comme culture principale la culture anglophone « américano~canadienne » et il en est de même pour certaines personnes vivant dans certains quartiers spécifiques de l’est de l’ile dépendamment des amis/groupe/écoles qu’ils fréquentent et/ou s’ils sont d’origine ethnique différente.
Il est très important, pour un Européen, de saisir que le québécois francophone (
même s’il est devenu presque bilingue à force) qui beigne dans la culture québécoise (
cinéma, TV, littérature, monde artistique, etc.) n’a en fait aucun point commun avec le reste du canada (
qui est une espèce de succédané « fade et soft » de la culture américaine) ainsi qu’avec les anglophones vivant surtout dans la partie ouest de l’ile. Les divers référents culturels sont totalement différents pour les uns et les autres.
De plus, tout le reste du Canada (
toutes les autres provinces) n’a pas une culture aussi forte que celle que possèdent les francophones du Québec en ce sens que, à cause de la langue commune avec celle des Américains, la leur se confond avec les produits de la culture américaine. Du coup, puisque la barrière de la langue n’a jamais été, depuis tjrs, un obstacle pour eux, ils produisent bcp moins de produits culturels (
TV, émission, films, littérature, etc.) en nombres, mais aussi ayant une identité « canadienne » propre et différente, contrairement au Québec (
qui produit à lui seul plus d’émissions et de films que tout le reste du Canada anglais réunis).
Bref, pour faire très simple : il y a la culture québécoise et il y a les anglophones de Montréal, du Québec et du reste du Canada. Et ce sont 2 (
uniquement 2) univers
totalement différents! Pour moi, le mec qui vit en Ontario ou à Vancouver et qui parle anglais, c’est pareil qu’un mec qui vit à New York ou à Boston. J’ai plus d’affinité et de points en commun avec un Européen, un français ou un Belge qu’avec un mec qui vit dans n’importe quelle autre province du Québec et/ou qu’un anglophone de Montréal qui n’a jamais consommé les produit de la culture québécoise francophone.
Maintenant, concernant les jeunes d’aujourd’hui... ...si l’on considère que les produits de la culture québécoise ne leur sont plus imposés comme dans mon temps (
où à mon époque il n’y avait pas internet et qu’on visionnait donc tous les mêmes émissions présentées en français à la télévision), la culture en prend nécessairement un sacré coup de plus dans la tronche. Cet aspect n’est pas propre au Québec (
le choix de consommer ce qu’on veut via internet), mais cela ajoute, ici, à notre problématique àma.
Sinon, est-ce que les jeunes d’aujourd’hui parlent entre eux en français ou en anglais? Sur l’ile de Montréal, dans l’ouest, en très grande majorité en anglais et dans l’est, ça dépend vraiment des quartiers, des écoles, des gangs d’amis, etc. Sinon, reste que plus l’on se dirige vers l’est et la pointe de l’ile plus c’est francophone.
Mais, pour moi, ce qui est le plus frappant depuis environ les 7 dernières années, ce sont les effets de la pénurie de main-d’œuvre et de l’immigration. Il y a encore quelques années (± 6~7 ans), je croyais bêtement que la pénurie, qui commençait à être évoquée ici et là à l’occasion, était amplifiée par les médias (
sensationalisme) et servait à être récupéré à des fins politiques (
pour justifier le multi-culturalisme et l’immigration). Sauf que ce n’était pas le cas, pas du tout! Depuis 2 ou 3 ans, la pénurie est telle qu’elle est manifeste dans presque tous les secteurs et dans toutes les entreprises. Que ce soit celle où je bosse, celle d’amis et de connaissances, c’est pareil partout! Au point où certains employeurs nous offrent des bonus si l’on réfère des candidats. Au point où certains commerces doivent fermer de temps à autre par manque de personnel. Où je bosse, ça fait 5 ans qu’il est possible d’effectuer du temps supplémentaire quotidiennement. Certains se font plus de 100K/années. Il est possible de faire 65k/année dès la première année (
si t’es brillant et doué) et
aucun diplôme n’est exigé, mais nous avons énormément de mal à trouver des employés. Bref la pénurie est un
fait très concret et l’accueil d’immigrants une
absolue nécessité! Ça, il n'y a aucun doute!
Sinon, depuis exactement le même nombre d’années, j’observe le résultat de l’immigration à la vitesse grande V. Dans mon entreprise, il y a 7 ans, nous étions 98% de Québécois de souche francophones. Maintenant, il y a 35% de Magrébins, quelques Africains et Russes~Roumains~Tchèques, 2 français de France (
et absolument rien à redire. La plupart agréables et travaillant, etc.). Idem dans l’immeuble dans lequel j’habite. Il y a 7~8ans 99% québécois, maintenant nous ne sommes plus que 2 locataires sur 12 et tous les autres étant « Arabo-Magrébin » (
et absolument rien à redire, polies, discrets, calmes, etc.).
Le « paysage ethnique » de la ville se modifie très très rapidement. À Montréal, peu importe l’est ou l’ouest et peu importent les quartiers, dans les grands centres d’achat, les commerces, les bus, etc., je suis (
québécois de souche francophone) très souvent en minorité. Et pas qu’un peu! Souvent, dans le bus, nous sommes 4 ou 5 parmi la soixantaine d’usagers!
Par contre, dès qu’on sort de l’ile de Montréal pour aller en périphérie (
rive sud et nord de l'ile) à peine 5km à 10km au sud et au nord, c’est parfois le jour et la nuit d’avec la métropole : dans les commerces, restaurent et les centres d’achat, là, c’est 95% québécois de souche francophone et tout se passe en français.
Donc à quel point la culture est menacée? Je ne sais pas, car si l’on excepte l’ile de Montréal, la grande majorité du Québec est francophone. Sauf que d’un autre coté les jeunes consomment de plus en plus de produits culturels américain et de partout ailleurs. Et la pénurie ne touchant pas que les entreprises de Montréal, nécessairement, comme dans mon entreprise et comme dans mon immeuble, de plus en plus d’immigrants choisiront de s’établir dans les autres villes de la province (
si ce n’est qu'à cause des postes à combler).
Et sinon, la raison pour laquelle je ne crois pas trop que certaines politiques pourraient y changer grand-chose, c’est parce que ça ne concerne pas que la langue. Moi, personnellement, ce que j’observe depuis 7ans, c’est que les immigrés, bien que parlant français pour plusieurs (
comme dans mon entreprise et dans mon immeuble), n’adoptent en rien la culture québécoise!
Tous les immigrés dans mon entreprise sont scotchés sur leur smartphone (
comme les Québécois et comme tout le monde finalement
) en train de consommer des trucs de
leur propre culture. même les 2 Français de France visionnent BFMTV, etc. Nous échangeons tous ensemble et tous se passent très bien, mais aucun immigré ne s’intéresse vraiment à notre culture selon mon expérience. Enfin, pas plus que ma belle sœur qui, même étant née ici dans une famille francophone, n’a jamais consommé aucun produit de la culture québécoise. Juste pour dire (
les Québécois comprendront), l’année dernière, je n’en revenais pas d’apprendre qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’étais le « bonhomme Carnaval », le Carnaval de Québec, etc.

Quand une propre Québécoise de souche francophone (
mais ne consommant que de la culture anglo-américaine depuis toujours) te dis «
hein, non, c’est quoi ça le bonhomme Carnaval ? », disons que ça ne me donne pas trop d’espoir que les immigrés adoptent bcp de culture québécoise, surtout à l'ère de la mondialisation, des réseaux sociaux et d’internet où nous sommes tous de plus en plus emprisonné dans les «
filter bubble », immigrants y compris.
Bref, si la tendance se maintient, la langue française au QC survivra encore quelques générations, mais la culture québécoise, quelques générations de moins que la langue, fort probablement. Et aucune politique et/ou mouvement souverainistes ne vas pouvoir stopper l'érosion amha du simple fait de la nécessité du nombre d'immigrés toujours grandissant (
peu importe s'ils parlent français.).