Gwanelle a écrit : 29 août 2025, 11:51Avec les conséquences ontologiques que l'on sait (doit on considérer que tout état quantique correspond à une réalité
objective ? La réponse est non selon moi (1).
En particulier, dans le cadre des expériences EPRB, quand Alice mesure la polarisation de
son photon et prédit ainsi la réduction instantanée et non locale du paquet d'onde formé de la
paire de photons EPR corrélés en polarisation, rien ne se passe du côté de Bob.
La prédiction de
conservation de la 2-time corrélation du côté de Bob en apporte la preuve. Plus précisément, O(t2) - O(t1) = 0
- quelque soit l'observable O mesurée par Bob sur son photon et les instants t1 < t < t2,
- tant que Bob ne fait pas de mesure de son côté entre les instants t1 et t2,
- où t1, t et t2 désignent des instants mesurés dans un même référentiel inertiel,
- et où t désigne l'instant de la mesure réalisée par Alice.
Cf.
The arrow of time issue, an overview § 7.2.4 Each instant of time a new universe :
According to [75] «
Each instant of time a new Universe» § Measurement on EPR states, the predicted preservation of the 2-time correlation of Bob’s particle spin state when Alice performs a spin measurement proves that, on Bob’s side, no hidden collapse occurs. So, the realist interpretation of a conjectured
objective, irreversible, instantaneous and non-local collapse of the EPR pair state becomes
a falsifiable prediction, discarded by the time-symmetric formulation of EPRB experiments.
Cette prédiction de la conservation de la 2-time corrélation du photon de Bob est issue de la formulation time-symmetric de la physique quantique. Cette formulation reste parfaitement équivalente mathématiquement et physiquement à la formulation standard de la physique quantique. Elle se contente de faire apparaître explicitement la symétrie T des évolutions quantiques,
mesure quantique incluse (2).
Cette très intéressante prédiction de conservation de la 2-time corrélation côté Bob, quand Alice fait une mesure de son côté, coupe court à des décennies de spéculations réalistes envisageant la possibilité que la mesure d'Alice puisse engendrer un changement instantané objectif, mais à ce jour inobservable, de l'état de polarisation du photon de Bob, en violation de l'invariance de Lorentz à un niveau interprétatif. Cf.
Special relativity and possible Lorentz violations consistently coexist in Aristotel space-time.
Toutefois, à ma connaissance, cette
conservation de la 2-time corrélation côté Bob, n'a pas donné lieu à vérification expérimentale. Probablement cette vérification a-t-elle été jugée inutile tellement son résultat est jugé certain (puisque les prédictions de la physique quantique n'ont, à ce jour, jamais rencontré le moindre conflit avec les résultats d''observation). Bon... Ma foi...
On a la même chose dans
l'expérience de pensée de Wigner. L'état quantique observé par l'ami de Wigner, enfermé dans son laboratoire, complètement isolé du reste du monde, a subi une réduction du paquet d'onde...
...alors que ce même laboratoire et tout ce qu'il contient est toujours en état quantique superposé du point de vue de Wigner, prudemment posté en dehors de ce laboratoire. Dans ce cas là, même l'intersubjectivité est perdue...
...en théorie. En pratique, quand Wigner ouvre la porte du labo et compare ce qu'il obsere à ce qu'observe son ami, ils sont d'accord sur le résultat observé. L'intersubjectivité est respectée (Ouf !).
Que faut-il en conclure ? Selon moi, le fait de
ne pas accorder les yeux fermés trop de réalité aux prédictions d'un modèle mathématique, même s'il s'est avéré très performant en termes de qualité et fiabilité de ses prédictions,
en dehors du domaine où ses prédictions peuvent conduire à des
vérifications expérimentales.
A ce jour, l'interprétation dite des mondes multipes par exemple, consiste à accorder une réalité physique aux multiples univers inobservables engendrés à chaque mesure quantique (quand le système objet de la mesure n'est pas déjà dans un état propre de l'observable mesurée). A mon sens, le plus raisonnable est de rester très circonspect quant à l'attribution d'un caractère réel à ces multiples univers inobservables censés être créés lors de chaque mesure quantique (ou processus physique "mesure quantique like").
Nos modèles ne décrivent pas "la réalité objective", ni même une approximation de cette hypothétique "réalité objective", car on ne saurait pas traduire cette proposition réaliste par une affirmation expérimentalement testable. Nos modèles, nos connaissances en physique, nous fournissent
des outils prédictifs de ce que nous sommes en mesure d'observer reproductiblement et intersubjectivement. C'est du moins le point de vue positiviste auquel, pour ma part, j'ai fini par me ranger.
Gwanelle a écrit : 29 août 2025, 13:12l'efficacité de l'objectivité scientifique n'a plus à être reliée à son réalisme
et devrait être considérée comme un
abus de langage. Une désignation plus correcte serait (selon moi en accord avec les physiciens positivistes) celle
d'intersubjectivité scientifique...
...Toutefois, même aujourd'hui, les physiciens se considérant comme réalistes seraient (très probablement) en désaccord avec cette proposition positiviste.
(1) Il y a toutefois encore débat à ce sujet. Cf. par exemple
On the reality of the quantum state. Matthew F. Pusey, Jonathan Barrett, Terry Rudolph, 2006.
(2) James F. Woodward a d'ailleurs fait de même, en physique classique, concernant l'interprétation time-symmetric, machienne, gravitationnelle, Lorentz invariante de l'inertie en 1999. De même, Wheeler et Feynman ont proposé une formulation time-symmetric de l'électromagnétisme, cf. La théorie de l'absorbeur,
Interaction with the absorber as the mechanism of radiation.
Cette formulation time-symmetric en physique classique (comme en physique quantique d'ailleurs) se traduit par l'existence (dans cette formulation) d'ondes retardées (évoluant du présent vers le futur) ET d'ondes
avancées (évoluant
du futur vers le présent). La prise en compte d'ondes avancées donne l'impression d'une
violation de causalité. Cette
interprétation rétrocausale des ondes avancées est erronée selon moi. Elle est induite par l'illusion réaliste, l'attribution d'une réalité physique objective aux grandeurs, principes et champs physiques employés comme outils de modélisation, destinés à
prédire ce que nous sommes en mesure d'
observer. Cf.
The arrow of time issue, an overview §7.6 Observers can’t use retrocausal effects to violate the causality principle.