Kraepelin a écrit :dire que la psychanalyse n'a pas de base empirique et qu'elle est le pur fruit de l'imagination n'est pas exact.
Jean-Francois t'a deja repondu sur ce point. Je n'y reviendrai donc pas. Par contre, juste un mot sur les "affirmations [psychanalytiques,
ndlr] operationnalisables et falsifiable". Il faut avouer que celles-ci sont en general impregnees de beaucoup trop d'ambiguites alimentees par les constructions rhetoriques et par le fonctionnement meme de la psychanalyse (sa bien etrange "methodologie narrative" qui lui permet d'eviter l'epreuve du reel). Bref, la psychanalyse n'est pas une pseudo-science: elle est a-scientifique. Et elle l'etait deja sous Freud I°. Je suis cependant de ceux qui, modestement, pensent qu'un certain nombre d'affirmations psychanalytiques sont en principe testables (et un certain nombre d'entre elles ont deja ete refutees, p.e. le "complexe d'Oedipe" [cf. p.e. l'ouvrage de Benesteau ou de Gruenbaum pour les details et les references] ou le role et l'interpretation des reves [cf. p.e. Wilson ou le site extremement complet de l'equipe de
Jouvet] qui est un des pivots du freudisme). Pour ce faire, il y a (au moins) trois approches possibles. La premiere approche consiste grosso modo a considerer la psychanalyse comme une boite noire et a ne s'interesser qu'a son efficacite par exemple en termes epidemiologiques (evaluation therapeutique). La deuxieme approche consiste a ouvrir la boite noire et a fouiller, cad a considerer la psychanalyse du point de vue structurel et a evaluer sa production (inconscient, refoulement, etc.) a la lueur de l'experience et/ou des acquis de la science et de la pratique psychiatrique/psychologique (evaluation "clinique"). Enfin, la troisieme approche est historique et documentaire (p.e. Borch-Jacobsen). Force est de constater que ces trois approches aboutissent aux memes conclusions: beaucoup de poudre aux yeux, beaucoup de faux, beaucoup de mots, et derriere eux, le vide intersideral (voir p.e. Erwin, Crews, Esterton, Gruenbaum, Erwin, Eysenck, Blanchet, le rapport de l'INSERM, etc.). Il faut donc se resoudre a appeler un chat 'un chat'.
Tu as cite deux exemples d'"affirmations testables". Le premier:
Freud remarque que ses clients évoquent des souvenirs d'enfants qui semblent particulièrement chargés au plan sexuel. Freud en vient à soulever l'hypothèse de préoccupation sexuelle chez les enfants ce qui contrevenait au credo de l'époque. Il est ensuite relativement facile de faire des observations directes d'enfants qui témoignent de telles préoccupations.
Encore faudrait-il pouvoir etablir un protocole indiscutable qui echappe aux infiltrations de la suggestion et de la subjectivite (des deux parties). Les recherches en psychologie sociale et cognitive ont tres clairement montre qu'un temoignage – a fortiori un souvenir lointain – n'est pas une source d'information fiable, et qu'il l'est encore moins lorsqu'il est correle aux relations sociales et affectives (voir p.e. l'excellent ouvrage "
Temoins sous influences" de Bertone, Melen, Py et Somat). Quoi qu'il en soit, aucune etude n'a pu, a ce jour, apporter la moindre preuve ni de la consistance de cette hypothese (qui va a l'encontre de la pratique quotidienne des psychiatres et pedopsychiatres), ni meme de l'eventuel role etiopathologique sous-entendu par cette hypothese. Bref, en etant un chouilla cynique et econome, on pourrait meme se demander pourquoi diable il faudrait tester une hypothese qui ne semble refleter aucune realite factuelle, de quelque nature que ce soit. D'ailleurs, si quelqu'un doit apporter des preuves de ce qu'il affirme, c'est ce quelqu'un, et non pas (forcement) la communaute scientifique & medicale qui, bien evidemment, a d'autres chats a fouetter que de s'interesser a une escroquerie litteraire – et un succes populaire - reposant en grande partie sur les superstitions d'un seul individu. Meme remarque pour ton deuxieme exemple.
Pour les constructions théoriques plus complexes, la chose est également possible et, en fait, elle se produit régulièrement. Par exemple, la notion de "structure" de personnalité dans le sens que la décrivent les psychanalystes est assez opérationnalisable. Elle implique une constellation de signes cliniques observables, analogue (je crois) à celle de "syndrome" en médecine. Elle se vérifie empiriquement de la même façon. On fait une analyse statistique "par grappe" et on vérifie qu'elle est le découpage le plus mathématiquement significatif.
Un syndrome est, comme tu le dis toi-meme, un faisceau d'indices factuels. Il n'y a rien de tel dans la notion psychanalytique de "structure de personnalite": cette notion est d'ailleurs assez semblable au flou des "personnalites" invoquees en astrologie.
groucho_max a écrit :Mais est-il alors admissible que la psychanalyse continue de s'attribuer une fonction therapeutique qu'elle n'a pas?
Là vous parlez de choses que vous connaissez moins.
Pas directement, en effet. Tu as donc parfaitement raison. J'ai cependant eu l'occasion de lire un certain nombre d'evaluations (anciennes et recentes) et d'en discuter avec des amis (neuro-)psychiatres (dont un ami psychiatre et psychanalyste repenti) et des membres de ma petite famille (infestee de psychiatres et de neurologues), ainsi que sporadiquement – et, je dois l'avouer, de facon plutot conflictuelle - avec quelques psychanalystes freudiens. J'ai donc eu l'occasion de m'en faire, je crois, une idee assez precise. Et extremement negative.
Le reste de votre critique concerne la position "politique" qu'occupe la psychanalyse en France. Je suis trop loin de chez vous pour le commenter.
J'en suis loin aussi.
En conclusion (que tu n'accepteras sans doute pas), je dirais que tout (absolument tout) porte a croire que la psychanalyse n'est ni fondee, ni pertinente, ni meme efficace (la litterature critique est abondante, documentee, fouillee et extremement precise); elle peut en outre etre extremement dangereuse - comme toute religion qui se respecte, et plus precisement comme toute dogmatique revelee a caractere messianique - lorsqu'elle penetre la sphere medicale sans en accepter les contraintes. Aujourd'hui, en psychiatrie et en psychologie, la psychanalyse n'est plus qu'un epiphenomene sporadique et agonisant. Le probleme n'est donc pas (ou n'est plus) de "tester" la psychanalyse ou de tenter de lui insuffler une deuxieme vie en jouant sur les analogies douteuses (cf. Roudinesco & Cie), mais de rendre accessible au plus grand nombre sa demystification, pour qu'on en finisse une bonne fois pour toutes. Sinon, je n'ai rien a ajouter qui n'aie deja ete dit et/ou redit.
groucho max