La Russie, un pays qui entretient une longue tradition répressive contre ses écrivains qui ont le tort de ne pas rester dans les clous, selon une analyse de Bernard Minier (l'auteur de "Glacé"):
https://www.nouvelobs.com/tribunes/2022 ... inier.html
Extraits...
Poutine se trompe. Les grands écrivains russes étaient tous tournés vers l’Occident, source intarissable d’inspiration ou de rejet. Bernard Minier raconte cette histoire, de Pouchkine à nos jours.
...Attardons-nous un instant sur quelques-uns des innombrables intellectuels, poètes, écrivains, artistes victimes du régime soviétique : Pasternak, qui, après avoir reçu le prix Nobel, est accusé de trahison ; Anna Akhmatova, d’abord célébrée puis injuriée, frappée, voyant son fils arrêté et déporté par trois fois, mère morte d’inquiétude ; Ossip Mandelstam, qui ne survit pas à son transfert vers un lointain bagne après avoir écrit un « Épigramme » contre Staline ; Marina Tsvetaïeva, qui trouve refuge en France mais retourne en URSS sans soupçonner ce qui l’attend : sa sœur est arrêtée, elles ne se reverront plus ; rejetée par tous, trouvant partout porte close, elle se pend le 31 août 1941 ; Boris Zaïtsev, qui quitte à jamais la Russie avec son épouse ; Boulgakov, l’auteur du « Maître et Marguerite », né à Kiev en 1891 (l’un de ses romans, « La Garde blanche », écrit dans les années vingt, décrit le meurtre d’un juif torturé – comme des dizaines de milliers d’autres – par les troupes de l’armée nationaliste ukrainienne de Petlioura, alors qu’un début de canonnade annonce l’offensive de l’Armée rouge sur Kiev), qui parle à son frère de son « anéantissement en tant qu’écrivain » à cause des interdictions qui frappent ses œuvres ; Vassili Grossman qui, envoyé en Ukraine, découvre l’ampleur du massacre des juifs par les nazis mais, de retour à Moscou, voit toute évocation du destin des juifs pendant la guerre interdite par le pouvoir soviétique. La liste est longue, très longue.
Le premier à avoir parlé de « dégel » est Ilia Ehrenbourg avec son petit roman éponyme - presque en même temps, un écrivain autrichien, Thomas Bernhard, l’un des plus grands du siècle, publiait son premier roman, « Gel », dans lequel il entamait son entreprise de démolition de la société autrichienne sans qu’il se vît interdit de publication ni même de théâtre. « Dégel »… Comme si l’esprit, la littérature, l’art russes avaient été longtemps « gelés »… Comme si un printemps fait non de sève, de feuilles et de fleurs mais de mots et de débats dégelait enfin la société russe. Cela se passe à la fin des années cinquante et au début des sixties. Le XXe Congrès puis le XXIIe ont dénoncé les crimes de Staline, la déstalinisation est en marche sous l’impulsion de Nikita Khrouchtchev. « Le Maître et Marguerite » est enfin publié en 1966, trente ans après avoir été écrit...
...De cette abondante littérature de l’inhumain trois œuvres surnagent : « L’Archipel du goulag » de Soljenitsyne, « Les Récits de la Kolyma » de Varlam Chalamov et « Vie et destin » de Vassili Grossman. Je (Bernard Minier) me demande si le candidat à l’élection présidentielle, qui a hésité encore très récemment, devant des enfants sur une chaîne de télé, à ranger Staline au rang des « mauvais camarades » les a lues. Certes, il y avait là un piège, mais tout de même… De son côté, Poutine n’est pas en reste, lui qui fait supprimer des manuels scolaires russes certaines critiques à l’égard de Staline ; il semble que cette mémoire soit tout aussi encombrante en Russie qu’ici…
Quand on a lu les trois auteurs en question, on peut rajouter le français Jacques Rossi, qui a passé suffisamment d'années au goulag pour apprécier le régime soviétique, il semble difficile de cautionner le sinistre despote.
"Qu'elle était belle cette utopie"...
Une fiche sur Jacques Rossi.
Ses livres apportent une analyse qui complète celle de Chalamov et Grossman. Son manuel du goulag est passionnant et unique, avec un vécu de l'intérieur du système répressif soviétique. D'autant plus précieux que Poutine vient de mettre fin aux activités de l'association Memorial.
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Jacques_Rossi
En fouinant, j'ai trouvé ce qui suit :
https://www.nonfiction.fr/article-10941 ... goulag.htm
Avec un passage explicitant la fascination du système soviétique par les intellectuels français, qui continue de perdurer dans les esprits (n'est-ce pas messieurs Roussel et Mélenchon ?):
Témoigner de l'horreur à l'heure du communisme triomphant
Le premier témoignage sur les camps soviétiques fut publié par Victor Kravtchenko, membre du parti communiste, dans son livre J’ai choisi la liberté. En France, Les Lettres françaises dans un article signé Sim Thomas, daté du 13 novembre 1947, affirmèrent qu’il s’agissait d’un faux grossier. L’auteur répondit par une plainte en diffamation. Le procès qui eut lieu de janvier à avril 1949, fit scandale. Elsa Triolet, Tristan Tzara, Louis Aragon, Frédéric Joliot-Curie, Paul Eluard, Julien Benda, vinrent à la barre dire leur admiration pour Staline. Margarete Buber-Neumann, veuve du leader communiste Heinz Neumann, fusillé par le NKDV en 1937, et déportée au Goulag, puis livrée à la Gestapo et internée au camp de Ravensbrück, après la signature du pacte germano-soviétique, vint, elle aussi, à la barre raconter ce qu’elle et son mari avaient vécu. Son témoignage fit grande impression dans le prétoire. Les Lettres françaises furent condamnées pour diffamation.
La polémique ne s’arrêta pas là. David Rousset, résistant, torturé par la Gestapo et déporté dans les camps nazis, qui avait publié L’Univers concentrationnaire en 1946, et qui avait appelé à enquêter sur les camps soviétiques, fut à son tour accusé par Les Lettres françaises d’avoir inventé les camps soviétiques. « Je sais qu’il n’existe pas de camp de concentration en Union soviétique […] Le système pénitentiaire soviétique est indiscutablement le plus souhaitable pour le monde entier. », écrivit Marie-Claude Vaillant-Couturier, députée communiste, ancienne résistante, déportée, et témoin au procès de Nuremberg.
Les Lettres françaises furent à nouveau condamnées. Julius Margolin, écrivain juif originaire de Pologne, auteur d’un ouvrage La condition humaine (réédité sous le titre Voyage au pays des Ze-Ka, aux Éditions Le Bruit du temps) vint témoigner sur les cinq ans qu’il avait passés au Goulag. Il parla sous les lazzis des communistes. Claude Morgan, directeur des Lettres françaises s’écria : « Qu’on nous raconte Cendrillon, cela aura davantage de vraisemblance ! » Pierre Daix : « Ces faits ne sont tout simplement pas sérieux ! »
Le livre de Nicolas Werth François Aymé, Patrick Rotman est indispensable à qui veut comprendre l’histoire du Goulag et l’aborder par des descriptions très concrètes sur la vie et la mort des zeks dans l’Enfer soviétique. Il contient également des inédits issus de l’ONG russe Mémorial. Il pourra être complété par la lecture du témoignage de Gueorgui Demidov, dont la traduction française vient juste d'être publiée par les Éditions des Syrtes.