Le Salvador, n'est-ce pas ce sympathique pays , avec un sympathique président qui a décidé d'enfermer sympathiquement à vie tous les délinquants-criminels-... dangereux pour avoir la paix dans le pays, en leur offrant sympathiquement le gîte et le couvert?
Trump trouve Bukele très sympathique.
Pour information, pour les curieux, pour les envieux,...
Au Salvador, dans l’enfer carcéral du « dictateur le plus cool de la planète »
REPORTAGE. Le président, Nayib Bukele, « dictateur cool » autoproclamé, a décrété l’état d’urgence contre les gangs. Une politique ultrasécuritaire qui s’accommode d’une justice arbitraire.
De notre envoyé spécial au Salvador, Lucas Menget
Publié le 02/05/2025 à 10h00, mis à jour le 02/05/2025 à 13h56
Le père parle pour son fils. Il trouve les mots que Jonathan n'arrive pas à formuler, encore traumatisé par deux années d'incarcération. Celui-ci est sorti la semaine dernière et a retrouvé son quartier de Soyapango, deux grandes avenues reliées par des ruelles fleuries, aux modestes maisons. Une courette, un salon, deux chambres, des lauriers-roses pris dans des enchevêtrements spectaculaires de fils électriques. Une famille épuisée et meurtrie par des décennies de violence au Salvador.
« Je dormais, il devait être près de minuit, raconte Rainaldo, boulanger à San Salvador, la capitale. Mon fils de 18 ans jouait sur son ordinateur à un jeu de guerre. Des policiers ont frappé à la porte et, tout à coup, nous avons basculé dans un autre monde. » Comme souvent, c'est une rumeur ou une délation qui oriente l'armée ou la police, dont les pouvoirs d'arrestation sont presque illimités depuis l'instauration d'un état d'urgence en mars 2022.
Les policiers « ont une information » et demandent à voir les papiers du jeune homme. Il assure n'avoir jamais commis de délit, ne pas être membre d'un gang. Le père proteste, mais Jonathan est emmené, il correspond à la description que les forces de l'ordre ont entre les mains. Il faudra des mois au boulanger pour savoir où se trouve son fils, quelle est la nature de l'enquête. Puis une détermination et une volonté sans faille pour ne jamais baisser les bras. Rainaldo finit par démontrer que sa famille n'a rien à voir avec les célèbres maras, les gangs du pays, et rappelle à ses interlocuteurs qu'il est lui aussi un électeur du président Nayib Bukele, qu'il est en faveur de la lutte contre la violence, mais qu'il s'agit d'une tragique erreur, sans jamais remettre en cause la politique pénale du pays. Deux ans plus tard, Jonathan est libre. Livide et amaigri, il sourit en regardant les petits perroquets se poser dans la lumière dorée de la fin de journée tropicale, et espère devenir boulanger comme son père. Tout en demandant que nous ne donnions pas son vrai prénom.
La peur des représailles est vive dans le Salvador de Nayib Bukele. L'autoproclamé « dictateur le plus cool de la planète »a été réélu triomphalement en 2024 et compte parvenir à ses fins : faire de son pays, l'un des plus dangereux du monde, l'un des plus sûrs. De ce point de vue, il est en passe de réussir. Le Salvador détenait le record du plus fort taux d'homicides par habitant du monde, hors zone de guerre (103 pour 100 000 en 2015).
Alors qu'un espoir démocratique avait commencé à émerger en 2012 après plus d'une décennie de guerre civile, la capitale a été mise en coupe réglée par deux gangs rivaux, la MS-13 et la Mara 18, terrorisant la population, imposant à tous, armée et police comprises, une violence implacable, responsable d'au moins 10 000 morts. Le matin, dans les rues de la capitale, les habitants osaient à peine se rendre dans les terrains vagues chercher les cadavres de leur famille, empilés dans des fosses communes, tués la plupart du temps à bout portant, pour avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. Les mareros, les membres des gangs, eux, passaient ensuite la journée à se faire tatouer les noms de leurs victimes, à côté de ceux de leur mère, de leur petite amie et de leur quartier.
Les détenus du Cecot sont enfermés vingt-trois heures trente sur vingt-quatre. Ils ont droit à quinze minutes d’exercice.
Dix ans plus tard, le taux d'homicides est l'un des plus bas du monde (1,15 pour 100 000 depuis début 2025), ce qui permet aux autorités de vanter la réussite du « modèle salvadorien ». Arrestations, détention, classification des mareros comme terroristes, et pas de pitié. Alors qu'il a été élu la première fois en 2019 sur un modèle libéral assez classique et rassurant, Nayib Bukele entame, avant la fin de son mandat en 2023, un virage ultrasécuritaire, lance la construction en quelques mois d'une prison érigée en modèle. Son idée est simple : donner les pleins pouvoirs aux forces de l'ordre pour arrêter et enfermer à perpétuité les criminels dans un lieu dont ils ne sortiront jamais, aux conditions drastiques, et surtout le faire savoir. Ça marche, il est triomphalement réélu en février 2024.
Ce pénitencier s'appelle le Cecot, pour Centre de confinement du terrorisme. Il est situé à 80 kilomètres de la capitale, dans une région luxuriante, au bout d'une route qui serpente entre collines et petits villages paysans. Au détour d'un virage, soudainement, l'ambiance change. Le réseau mobile s'éteint, toute la zone est brouillée. Check-point de l'armée, silence, contrôle des papiers sous le regard de soldats armés de fusils automatiques, le visage caché par des cagoules de forces spéciales. Au pied d'un volcan éteint que les Salvadoriens surnomment « les deux seins », pour sa forme évocatrice, un gigantesque complexe émerge. Derrière des murs de 12 mètres de hauteur, des grillages électrifiés à 15 000 volts, 15 miradors, des caméras thermiques et des gardiens équipés d'armes lourdes.
« Bienvenue au Cecot », annonce dans un sourire Belarmino Garcia, le directeur, en casquette noire et chemise blanche, constamment entouré de ses propres gardes du corps. Avant d'aller plus loin, il nous montre fièrement une armurerie digne d'une garnison, un système de reconnaissance faciale dernier cri dans lequel tous les détenus sont enregistrés, et des scanners corporels plus sophistiqués que ceux des aéroports les plus modernes. Une énième porte métallique coulisse sans le moindre grincement et le regard se pose sur huit hangars. À l'intérieur, des cellules de 80 détenus.
La prison est silencieuse, il n'est pas autorisé de parler. La liste des interdits serait trop longue à détailler, mais il faut retenir que les détenus, tous vêtus de claquettes, d'un short et d'un tee-shirt blancs, sont enfermés vingt-trois heures trente sur vingt-quatre, qu'ils ont droit à quinze minutes d'exercice et quinze minutes d'écoute de lecture de la Bible, assis en rang devant leur cage.
Ils n'ont droit à aucun livre, écran, téléphone, et n'auront aucun contact avec l'extérieur, si ce n'est pour une audience du tribunal, collective et en visioconférence, à laquelle ils assistent dans des cellules aménagées. Quand ils auront un jugement, car tous ces prisonniers, dont l'immense majorité portent les tatouages caractéristiques des gangs, ont été arrêtés lors de rafles de la police et sont encore en attente d'une décision. Les autres sont déjà condamnés à des peines de plusieurs centaines d'années de prison et ne reverront jamais la lumière naturelle. Belarmino Garcia se plante devant l'une des cages : « Le contrôle est total. Chaque cellule est surveillée sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il y a toujours un garde armé devant la cellule avec une vue complète de l'avant et du haut de la cellule. »
Les hommes ont le regard fixe, au loin, ou bien planté dans vos yeux, sans que l'on puisse dire s'il s'agit de défi ou de résignation. Deux bacs d'eau sont disposés, bien visibles à l'avant de la cage. L'un pour boire, l'autre pour se laver. Un seul WC, utilisable uniquement aux yeux de tous. Pour éviter toute tentative de rébellion, les concepteurs de la prison ont volontairement mélangé les membres de gangs adversaires. Les anciens rivaux sanguinaires se retrouvent désormais à partager, à deux ou trois, des paillasses en fer, sans matelas, sans draps, sans oreillers. Le seul détenu à qui nous avons pu parler, choisi par l'administration pénitentiaire, évoquait, pieds et mains entravés par des chaînes, sous la surveillance de deux gardiens, une forme de fatalité. « Quand on entre dans un gang, c'est pour la vie, que ce soit dehors ou ici, je le savais en m'engageant. » Cet homme, condamné à cent années au Cecot, ne saura jamais ce que sont devenus sa femme et ses enfants. Eux non plus ne lui parleront plus jamais.
Ce système de coercition absolue est la fierté de Bukele et de son ministre de la Justice, qui l'a conçu avec lui. Hector Gustavo Villatoro, sanglé dans son uniforme militaire, prend soin de rappeler que « le Cecot est réservé aux membres des organisations terroristes, les maras ». Et il ajoute que comme « les 6 millions de Salvadoriens, il est fier que [son] pays ne soit plus connu dans le monde comme un État de criminels, mais comme un pays où les tueurs sont enfermés ». Pour le ministre, la mise en place du « régime d'exception » est un modèle. « Le Salvador montre désormais au monde entier un système judiciaire complet de lutte contre les organisations criminelles. »
Dans son vaste bureau, qu'il a fait équiper d'un écran géant pour avoir accès à toutes les caméras de surveillance du pays, il fait la démonstration implacable de la baisse de la criminalité. « Oui, nous avons mis 85 000 personnes en prison en trois ans, et nous avons autorisé la police à arrêter des jeunes porteurs de tatouages, parce que c'était le symbole de l'appartenance aux maras. Ce n'était pas un délit, désormais c'est le cas. » L'armée a encerclé, quadrillé les quartiers, et arrêté tous ceux qui avaient de près ou de très loin un lien (même simplement le fait d'habiter le même quartier) avec les gangs.
Le Cecot a été conçu pour accueillir 40 000 prisonniers. Il n'y aurait à ce stade pas plus de 10 000 détenus. Mais Nayib Bukele est un président inventif, il avait tout misé sur Donald Trump. Quelques jours après le retour du président américain à la Maison-Blanche, Bukele a offert de placer au Cecot des détenus dont l'Amérique du Nord ne veut plus. À la mi-mars, malgré une décision défavorable d'un juge fédéral, 238 Vénézuéliens sont expulsés des États-Unis et transférés au Cecot, en échange d'une somme d'argent confidentielle, qui se compte d'après plusieurs sources en millions de dollars annuels, et d'une invitation devant les caméras du monde entier de Nayib Bukele dans le Bureau ovale. Pour le président salvadorien, c'est la consécration. Tant pis s'il y a au moins un innocent dans les déportés.
Les erreurs judiciaires sont précisément ce qui inquiète Ingrid Escobar. À la tête de la petite ONG Secours juridique humanitaire, elle tente d'aider des familles à retrouver des proches disparus dans le système du « régime d'exception ». Le jour où nous la rencontrons, dans une maison cachée du centre de Salvador, elle reçoit une mère de famille qui n'a plus de trace de son fils depuis deux ans. « Aucun casier judiciaire, aucun tatouage, il a été arrêté à son travail. » Pour seule information, elle tend à Ingrid, en désespoir de cause, un petit papier carré plié en deux. À l'intérieur, une série de chiffres écrits à la main. Ingrid Escobar a appris à décrypter ce document qui indique simplement un numéro de prison et un numéro de cellule. Une sorte de preuve de vie que, parfois, la police finit par donner aux familles.
Ingrid entame alors un long processus d'enregistrement du maximum de données, mais ne promet rien. Il est parfois extrêmement difficile de prouver son innocence dans un système qui se satisfait de l'erreur judiciaire, condition sine qua non de la sécurité absolue. En trois ans, 2 % de sa population a été mise sous les verrous, un record mondial. Pour Ingrid Escobar, le Cecot est un leurre pour cacher la réalité, plus crue : « Où sont passés les 85 000 détenus capturés par le gouvernement ? »
Le rêve de Bukele est de transformer son petit pays anciennement violent en paradis pour touristes. Les plages de la côte Pacifique sont superbes et commencent à attirer quelques surfeurs américains. Les palissades publicitaires annoncent des chantiers de construction de resorts luxueux. Le président tente de convaincre les amis de Donald Trump de venir investir le long de la mer. Il aura alors gagné son pari : un pays sans homicides, sans violences, débarrassé de son image terrifiante.
Mais combien de temps peut tenir un état d'urgence ? Combien de temps Bukele et ses hommes pourront-ils rester au pouvoir ? L'opposition est anéantie. La population profite de la paix dans les rues, et les places des villes et villages s'animent de nouveau le soir. Cependant, chaque famille du Salvador a un membre de sa famille en prison, plus personne ne parle de politique dans la rue, et une autre peur se glisse dans les interstices de l'accalmie, celle d'un état d'urgence sans fin, d'une dictature. Dont l'histoire, en Amérique centrale, a montré qu'elles se terminent en général dans le sang.
Lucas Menget est l'auteur du documentaire « Salvador, un modèle qui dérange », à voir sur Arte le 3 mai.
"Fallait pas commencer! bien fait pour vous!..." aurait dit Bukele.
Les tatoueurs râlent, la clientèle se fait rare ou se défile.
Une longue interview du réalisateur du documentaire "Salvador, un modèle qui dérange", Lucas Menget:
C'est étrange...
Les salvadoriens ont retrouvé la tranquillité, le fun, et pourtant ils ne manifestent pas plus que ça leur enthousiasme, leur joie de vivre.
Ils ne sont pas très communicants avec les gens de passage.
Édit...
Ce qui pose quelques interrogations quant à la puissance enfouie du sadisme propre à l'espèce humaine...