Dany a écrit : 02 mai 2018, 12:21Le réel recule toujours plus loin, il faudra toujours des décimales pour l'approcher.
Ce qui recule toujours plus loin, pour effectivement apparaître comme hors d'atteinte, c'est une notion de réel dont les propriétés existeraient dans l'absolu, indépendamment de toute référence à l'observateur et à l'acte d'observation.
Ce que nous appelons le réel désigne, en fait, les résultats d'observation et d'une théorie de référence largement reconnue servant d'outil d'interprétation. Ces résultats d'observation ne caractérisent donc pas, intrinsèquement, les propriétés supposément objectives de tel ou tel système ou phénomène observé, mais
les propriétés de l'interaction entre un observateur ou une classe d'observateurs et l'objet observé. A la réflexion, ce point de vue est une évidence mais (,pour beaucoup d'entre nous,) nous avons du mal à voir les choses de cette façon. Pourquoi ?
La reproductibilité des faits d'observation fonde notre science actuelle. Les progrès de la connaissance scientifique en moins de 3 siècles ont été tellement époustouflants qu'ils nous poussent à identifier l'intersubjectivité, le fait que nous soyons d'accord sur les résultats d'observation, avec l'hypothèse selon laquelle les propriétés aptes à prédire reproductiblement ces résultats d'observation seraient, en quelques sortes, des propriétés objectives, absolues. Du coup, il est tentant de voir ces propriétés comme ne devant strictement rien à la relation sujet-objet. Pourtant, ces propriétés, rassemblées dans un vecteur d'état quantique, caractérisent bien, en fait, cette relation sujet-objet par leur aptitude à fournir des prédictions statistiquement optimales, en regard des observations futures, compte tenu des informations incomplètes détenues par un observateur.
L'état quantique d'un système physique est "donc" un outil d'inférence statistique (et rien d'autre selon les Peres, Rovelli et autres positivistes, cf.
Quantum information and relativity theory, Peres, 2002 (cité 536 fois) ainsi que
Relational quantum mechanics, Rovelli, 1996 (cité 619 fois). Voir l'état quantique comme
la description objective, indépendante de l'observateur, d'un système physique est, comme le font remarquer Rovelli et Peres, une hypothèse additionnelle, une hypothèse que (selon le point de vue dominant du moins) rien dans les faits d'observation ne justifie. Si on adopte à ce sujet le rasoir d'Occam, l'interprétation de l'état quantique comme une représentation objective du réel doit être abandonnée au profit de son interprétation comme
un pur et simple outil statistique d'inférence bayesienne (comme proposé par les tenants du
Quantum Bayesianism tels que Fuchs, Caves et bien d'autres).
La première avancée scientifique qui a commencé à secouer l'interprétation réaliste de la connaissance scientifique, c'est la Relativité Restreinte (un point d'ailleurs souligné par Rovelli dans son argumentation en faveur d'une interprétation positiviste de l'état quantique et de la mesure quantique rhéabilitant le rôle de l'observateur et de l'observation dans la modélisation de l'état des systèmes physiques et leur évolution). La Relativité Restreinte nous contraint (1) à abandonner l'attribution d'un caractère objectif à la simultanéité, aux durées et aux longueurs et à nous rabattre, en désespoir de cause, sur l'intersubjectivité de ces grandeurs relativement aux "observateurs" (des lignes d'univers de type temps) au repos dans un même référentiel inertiel.
A noter toutefois que l'interprétation réaliste du vecteur d'état trouve encore des défenseurs tout à fait respectables
suivi toutefois par une défense argumentée du point de vue opposé cf.
Why protective measurement does not establish the reality of the quantum state (Jul 2017),
Joshua Combes, Christopher Ferrie, Matthew S. Leifer, Matthew F. Pusey (un transfuge ?)
The common theme of the three arguments is that almost all of the information comes from the “protection” operation rather than the quantum state of the system, and hence the schemes have no implications for the reality of the quantum state.
Ces considérations présentent un caractère philosophique (me semble-t-il car c'est un domaine qui ne m'est pas familier)...
...et pourtant, elles sont un intérêt scientifique. C'est en effet sur cette base que l'on peut interpréter la fonction d'onde (la meilleure description scientifique possible, du moins à ce jour, de la connaissance d'un système observé par un observateur) non pas comme caractérisant l'objet observé, mais comme caractérisant la connaissance maximale recueillable par un observateur relativement à un système observé. Comme précédemment signalé, cette connaissance est maximale quand elle fournit les meilleures prédictions possibles des résultats d'observations futures auxquels l'observateur en question peut s'attendre (concernant le système en question).
La conséquence de cela, c'est que l'effet EPR peut alors s'interpréter d'une façon n'impliquant nulle violation (même un peu cachée) de la localité relativiste. Quand Alice "réduit" l'état de polarisation de paires de photons EPR corrélés (un photon chez elle et le photon EPR corrélé chez Bob dans chaque paire), elle réduit l'état quantique de polarisation de cette paire de photons...
...mais, du côté de Bob, rien n'a changé (d'un point de vue positiviste) puisque Bob n'a pas moyen d'observer l'effet de la mesure d'Alice et ce qui en résulte (du point de vue d'Alice) sur l'état de polarisation de son photon. On doit donc considérer que l'état quantique de cette paire de photons EPR corrélés (donc dans un état pourtant non séparable) reste inchangé pour Bob car ce qu'il ne sait pas observer n'existe pas selon le point de vue positiviste.
L'état quantique (des paires de photons) détenu par Alice
ne caractérise donc pas un état quantique de polarisation objectif de cette paire de photons. Si tel était le cas, cet état quantique serait instantanément modifié par la mesure d'Alice
tant pour Alice que pour Bob,
en violation, donc, de la localité relativiste au niveau interprétatif...
...l'état quantique vu par Alice est donc "la propriété" exclusive d'Alice. Bob dispose, quant à lui, de son état quantique personnel pour modéliser l'état quantique
de la même paire de photons. Pas de raison, donc, que la paire de photons ait le même état quantique de polarisation pour ces deux observateurs distincts.
Il est d'ailleurs à noter qu'une interprétation réaliste de l'effet EPR visant à sauver le réalisme ET la causalité (interprétation de plus possiblement compatible avec l'interprétation de la mesure quantique comme résultant d'une évolution quantique en fait déterministe) de la mesure de polarisation par Alice (interprétée comme une cause provoquant un effet objectif et instantané sur la paire de photons) ouvre la porte (au plan du principe) à une violation exploitable de la localité relativiste. J'avais d'ailleurs rédigé, il y a un peu plus de 15 ans, un petit power point illustrant ce point par une expérience de pensée. Il devrait toujours être en ligne.
Et pourtant, quand Alice et Bob échangent classiquement des informations, il n'y a jamais le moindre yatus entre leurs observations. Dès qu'Alice et Bob établissent une communication par voie classique, l'intersubjectivité de leurs résultats d'observation est parfaitement respectée. Plus question, dès lors, de dire qu'Alice et Bob affectent des états quantiques distincts à la même paire de photons EPR corrélés.
Mezalor ? Il a lieu quand cet instant magique où la subjectivité "état quantique détenu par Alice/état quantique détenu par Bob" s'efface pour laisser place à l'intersubjectivité ? Quand ils confrontent leurs résultats.
Voui, mais ça se produit
après la mesure d'Alice et la mesure de Bob, quand Bob et Alice confrontent leurs résultats d'observation...
...et du coup, sur la ligne d'univers de Bob par exemple, l'action de mesure d'Alice, une action qui précède cette confrontation,
se met à avoir un effet sur l'état quantique du photon de Bob dans le passé par rapport au moment où il reçoit cette information. Bref, cette information modifie l'état quantique passé de la paire de photons sur la ligne d'univers de Bob. Voilà une interprétation qui donne du crédit à l'interprétation rétrocausale de l'effet EPR proposée par Aharonov, Vaidman et un bon pool de physiciens partageant leur point de vue (cf.
Can a Future Choice Affect a Past Measurement's Outcome? Yakir Aharonov, Eliahu Cohen, Avshalom C. Elitzur).
La présentation de l'effet EPR est d'ailleurs bien plus satisfaisante dans la
formalisation à deux vecteurs d'état (et l'interprétation rétrocausale de l'effet de la mesure d'Alice sur l'état du photon de Bob) car la distinction entre ce qui se passe du côté d'Alice et ce qui se passe du côté de Bob y apparaît explicitement (cf. quantum theory, a two time story,
each instant of time a new universe, Yakir Aharonov, Sandu Popescu and Jeff Tollaksen)...Ce qui n'empêche nullement Popescu d'être favorable à une interprétation thermodynamique de la fuite d'information traduisant l'irréversibilité de la mesure quantique.
Tout ça est très bizarre. Pourquoi ? Parce que nous avons tendance à voir l'espace-temps comme une sorte de cadre fixe, objectif, une sorte de scène sur laquelle les objets viendraient se localiser dans un espace qui existerait indépendamment de ces objets et à voir les évènements comme se déroulant
dans un temps, absolu, objectif, préexistant à leur déroulement (alors que c'est le temps qui se déroule
sur les évènements).
Une telle vision de l'espace-temps (et notamment du temps) relève un peu (selon le point de vue positiviste) de l'illusion selon laquelle l'écoulement irréversible du temps serait une notion distincte de l'irréversibilité de l'évolution des évènements, c'est à dire la fuite d'information hors de portée de l'observateur (fuite d'information due, notamment lors de la mesure quantique, au fait qu'un observateur ne peut plus observer un ensemble d'états superposés quand il est lui-même mis, du moins dans le modèle mathématique qui représente ce phénomène, dans les états superposés correspondants. Le voilà
le point aveugle de Michel Bitbol)
(1) Nous contraignant
presque obligatoirement à abandonner l'hypothèse d'un référentiel privilégié (un peu caché) serait plus correct. La contrainte en question passe malgré tout par le choix de donner un coup de rasoir d'Occam à l'hypothèse selon laquelle le milieu de propagation des ondes, dont les ondes lumineuses, aurait une propriété de vitesse par rapport à l'observateur.
Il existe d'ailleurs un très bon modèle de la gravitation formulé dans le cadre d'un éther, cf.
Gravitation as a pressure force a scalar ether theory, Mayeul Arminjon (Dec 2011). Il n'a pas encore reçu l'attention qu'il mériterait par manque des données observationnelles suffisamment fines pour pouvoir départager ses prédictions de celle du modèle main stream de la gravitation, à savoir la Relativité Générale.
La modélisation de la gravitation dans le cadre d'un éther semble pourtant bien adaptée à l'accueil de la généralisation de la modélisation de
l'équation de Dirac en présence d'un champ gravitationnel proposée par Arminjon (cf.
Dirac-type equations in a gravitational field, with vector wave function, Mayeul Arminjon, Oct 2008). Cette proposition de Mayeul Arminjon a le mérite de résoudre le problème bien connu d'unicité de l'approche main stream de cette généralisation de l'équation de Dirac (Fock-Weyl gravitational Dirac equation).
Bref, me concernant, je n'ai pas encore complètement choisi mon camp car la proposition de Mayeul Arminjon quant à la modélisation de l'espace-temps gravitation dans le cadre d'un éther est très attractive, notamment, concernant l'équation de Dirac mais pas seulement. En effet, le modèle d'espace-temps de Mayeul Arminjon supprime aussi les singularités big-bang et trou noir, un objectif qu'il partage avec l'approche de JPP mais avec un modèle d'espace-temps très différent.
Une autre possibilité (peut-être compatible en termes de modèle et dans ce cas distincte seulement en termes d'interprétation), serait d'attribuer au référentiel privilégié émergeant dans le cadre des modèles cosmologiques à la Friedmann-Lemaître à métrique de Robertson Walker (je veux évoquer le référentiel comobile donnant lieu à un feuilletage privilégié de l'espace temps en feuillets 3D de simultanéité, chacun affecté d'un âge "objectif" de l'univers), ou encore, au modèle d'espace-temps proposé par Arminjon, un caractère d'émergence thermodynamique statistique (comme d'ailleurs proposé par Connes, Martinetti et Rovelli, cf. par exemple
Diamonds's Temperature: Unruh effect for bounded trajectories and thermal time hypothesis, P. Martinetti, C. Rovelli, Feb 2004).