J'ai répondu trop vite à votre message. Il y avait d'autres parties intéressantes auxquelles répondre.
Jean-Francois a écrit :Pour prendre autre chose que la réalité: on peut aussi prétendre que la matière n'existe pas vraiment.
C'est une manière de concevoir les choses qui permet sans doute de mieux analyser les données au niveau subatomique.
Dans tous mes messages, je n'ai nulle part évoqué l'hypothèse que la matière n'existerait pas, ni même que les propriétés de la matière n'existeraient pas. J'ai seulement signalé que ces
propriétés n'étaient pas celles de la
seule matière observée, mais celle de notre
interaction avec la matière.
De façon plus précise quand, partant d'un spin 1/2 dans un état de spin vertical (up par exemple) :
1/ on mesure son spin horizontal.
2/ Il se met dans un état superposé spin droit + spin gauche (il emprunte
à la fois la trajectoire droite et la trajectoire gauche en sortie de l'appareil).
3/ Par linéarité, l'appareil de mesure (le Stern et Gerlach par exemple) se met dans un état superposé spin droit mesuré + spin gauche mesuré. C'est ce que nous disent les équations et ce qui a donné lieu à la métaphore du chat de Schrödinger (métaphore qui n'en est pas une si on prend un objet mésoscopique tel qu'un ensemble de quelques photons dans les
"boites à photon" de Serge Haroche). On dit que l'appareil de mesure est dans un état intriqué avec l'électron.
4/ Par linéarité encore, c'est l'environnement de l'appareil de mesure qui se trouve superposé. Cette fois, l'intrication s'étend à l'ensemble spin 1/2 + appareil de mesure + environnement. C'est tout cet ensemble qui se trouve en état superposé.
5/ Par linéarité encore, c'est l'observateur de l'appareil de mesure qui se trouve superposé dans un état observateur observant l'appareil de mesure montrant qu'un spin droit a été obtenu + observateur observant l'appareil de mesure montrant qu'un spin droit a été obtenu. Cette fois, l'intrication s'étend à l'ensemble spin 1/2 + appareil de mesure + environnement de l'appareil + observateur. C'est tout cet ensemble qui se trouve en état superposé.
phys_quant_everett_2016_06_26.pptx
Les points 1/, 2/, 3/ et 4/ ne donnent (presque) plus lieu à débat.
Le point 5/ par contre, correspondant à l'interprétation d'Everett, ne fait pas du tout l'unanimité parmi les physiciens. Il consiste à faire une confiance aveugle à la physique quantique telle qu'on la connait aujourd'hui en la poussant jusqu'à un point où il n'est plus vraiment possible de vérifier sa validité.
Mezalor, quand une mesure quantique est-elle terminée ? C'est le problème de la mesure quantique. C'est la question posée par la métaphore du chat de Schrödinger. Von Neumann avait imaginé qu'existait une coupure, un moment dans cette chaîne successive de mises en état superposés, du système observé, puis de l'ensemble système observé + appareil de mesure, puis de l'ensemble système observé + appareil de mesure + environnement proche, puis de l'ensemble système observé + appareil de mesure + environnement proche + observateur ?... où la réduction du paquet d'onde devenait effective.
Cette coupure n'existe pas dans la dynamique d'évolution des systèmes quantiques (la dynamique d'évolution des systèmes quantiques est unitaire, donc déterministe, unitaire et réversible). Par contre, il existe un moment où il n'est plus possible de mettre en évidence un état superposé (ou plutôt un ensemble d'états superposés car on ne peut accéder à aucune information sur l'état quantique d'un système individuel)
- parce que, d'une part, un état superposé se manifeste par des effets d'interférence (l'effet le plus connu à ce sujet est celui des franges d'interférence des fentes de Young)
- parce que, d'autre part, ces effets d'interférence sont rendus très rapidement inobservables (à une certaine échelle) par le phénomène dit de décohérence.
Une modélisation de la disparition de la possibilité d'observer des effets d'interférence est modélisée par la
décohérence. La décohérence ne prétend pas que la réduction du paquet d'onde se produit objectivement, mais elle permet de prédire pourquoi, à un moment, l'observateur n'a plus moyen de savoir qu'un (ensemble de) système(s) est dans un état superposé. Les études de la décohérence s'arrêtent à l'environnement de l'appareil de mesure. Elles ne prennent pas le risque d'inclure l'observateur dans cet environnement.
L'interprétation d'Everett va plus loin. Elle considère qu'on n'a pas de raison de s'arrêter en si bon chemin et qu'on peut et doit inclure l'observateur dans la chaîne infinie de Von Neumann. J'ai très longtemps considéré cette hypothèse comme très certainement fausse (pour une raison restant à trouver). Depuis quelques mois, je commence à ne plus avoir un point de vue aussi tranché. Vaidman par exemple, accepte cette interprétation (il n'est pas le seul, mais les travaux qu'ils a menés lui donnent, à mes yeux, un certain crédit).
Jean-Francois a écrit :mais il demeure que d'autres domaines de la physiques repose sur l'idée que même si la matière n'existe pas (plus?) à ce niveau elle existe quand même. C'est peut-être une de vos sources de divergence avec Psyricien (je n'ai pas suivi la discussion)?
Psyricien défendait une position dite réaliste. Ses réponses montraient qu'il n'avait pas eu l'occasion d'étudier en détail les débats sur cette question (ça n'est pas nécessaire pour faire de la physique) et, en particulier :
- qu'il ignorait les travaux de Aharonov, Vaidman etc, etc concernant la formulation time-symmetric de la physique quantique et les résultats époustouflants obtenus grâce à la mesure faible (cf., par exemple, Observation of the Spin Hall Effect of Light via Weak Measurements, Onur Hosten and Paul Kwiat) et en particulier l'interprétation rétrocausale de mesures fortes sur des mesures faibles antérieures,
- qu'il n'avait pas vraiment approfondi la notion de phénomène irréversible et d'entropie dite pertinente.
Par ailleurs, ses réponses dans le fil réductionnisme montraient qu'il n'adhérait pas à l'interprétation Lorentzienne de la Relativité Restreinte, interprétation qui ne peut pas être contournée si on adopte une interprétation un peu trop réaliste de la mesure quantique et du principe de causalité.
Il existe, par contre, des physiciens qui adhèrent à une interprétation réaliste de la réduction du paquet d'onde (les dites collapse theories) mais qui connaissent bien le sujet. Parmi les approches réalistes on a, par exemple, le modèle
GRW. Il y a eu de nombreux travaux visant à débarrasser la physique quantique de son encombrant observateur. Les decoherent histories recherchaient une solution dans ce sens (mais ça ne marche pas bien). On a aussi les travaux de Broglie, de Bohm et Bell qui ont conduit à une modélisation réaliste de la physique quantique au prix du sacrifice de l'invariance de Lorentz au niveau interprétatif. Ce point de vue réaliste, acceptant pour cela le sacrifice de l'invariance de Lorentz est celui adopté par V. Scarani, A. Valentini, I. Percival, S. Goldstein, J. Bricmont et quelques autres.
Jean-Francois a écrit :Je suis d'accord pour dire que dans le cas de la vision consciente, nous sommes des "spectaCteurs" car la conscience me semble un comportement actif
La conscience n'est pas en jeu dans mes remarques ci-dessus. Ce qui est en jeu, c'est la chaîne infinie de Von Neumann découlant de la propagation de l'intrication quantique depuis le système observé jusqu'à l'observateur en passant par l'appareil de mesure et son environnement.
Par ailleurs, la question du rôle de l'observateur se pose déjà au niveau classique à travers, tout simplement, la notion d'évolution irréversible, notamment lors d'une mesure classique. En effet, une mesure, même classique, c'est une évolution irréversible...
...Or il n'y a pas plus d'évolution irréversible objective en physique classique qu'en physique quantique. L'évolution classique d'un système isolé est hamiltonienne, donc déterministe, réversible et
isentropique (en apparent conflit avec le second principe de la thermo qui dit le contraire. C'est
le paradoxe dit de l'irréversibilité).
La notion d'irréversibilité, essentielle car il n'y a pas d'observation sans irréversibilité, est définitivement associée à une notion
de description incomplète et d'entropie dite pertinente propre à une classe d'observateurs (sans besoin de passer par la notion de conscience)