J’aimerais réagir aux idées développées par Tryphon dans sa discussion privée avec Hallucigenia.
Tryphon a écrit :Parlons donc du plus vieux métier du monde comme si ça le rendait plus acceptable ou de la plus vieille humiliation du monde ( au choix)
Vous combattez ici un argument que Morgane n’utilise pas. Je me permets toutefois de vous signaler que le fond de cet argument n’est rien d’autre que : la prostitution a existé de tout temps et les politiques publiques, de quelque nature qu’elles soient, n’ont jamais eu d’effet sur son incidence. Quand les politiques la contraignent, elle continue d’exister, souvent dans des conditions plus dangereuses parce qu’elle se réfugie encore plus profondément dans l’ombre. Dire que c’est le plus vieux métier du monde, ce n’est pas un argument en défense de la prostitution, c’est un argument à l’encontre de l’utilité des politiques publiques à faire disparaître.
J
Tryphon a écrit :e ne suis pas favorable à la légalisation ou plutôt à la banalisation de la prostitution en travail comme un autre, tout simplement parce que c’est une activité qui transforme les orifices de l’être humain en produits.
Un produit, en économie, est un bien ou un service. Puisque vous parlez spécifiquement des orifices, c’est que vous voyez le produit sous l’angle d’un bien, en autant qu’on puisse concevoir qu’un orifice ait une matérialité. C’est du réductionnisme bien mal venu et vous le savez sans aucun doute. Vous imaginez la travailleuse du sexe comme une femme qui s’étend sur un lit, ouvre les jambes et demeure passive comme une poupée gonflable.
Paradoxalement, c’est du point de vue du client qu’il faut regarder la question. Cherche-t-il un vagin ?
Permettez que je relate le client que j’ai été et qui ne regrette en rien de l’avoir été. Suis-je représentatif ? Je n’en sais rien, mais je crois que oui dans une grande mesure.
Séparation à la mi-quarantaine. Garde à 50-50 de mes deux enfants de moins de dix ans. Un travail professionnel qui prend une énergie énorme. Je n’ai sentie aucune urgence sur le moment de me refaire une vie amoureuse. J’avais l’impression que je ne n’aurais pas pu m’y consacrer assez.
Au bout d’un moment, le contact physique intime vint à me manquer. Ça faisait plus de trois mois que je ne m’étais pas fait caresser et que je n’avais pas caressé une femme.
Ça a commencé à me peser, d’autant que je n’avais pas du tout envie de lier un engagement. J’ai fini par me dire : et si je payais ? Je n’avais aucune idée ce dont il s’agissais. J’ai cherché sur Internet. J’ai trouvé un forum de revues et de discussion. En quelques jours à peine, j’avais les réponses à tout ce que voulais savoir. J’ai notamment découvert l’existence du massage érotique, qui correspondait exactement à mes attentes, toucher plus que baiser.
J’ai pris un rendez-vous et m’y suis présenté à l’heure. Une réceptionniste m’accueillit et me présenta à Martine, celle que je voulais voir. Cette dernière me conduisit à la douche après m’avoir fait déposer mes affaires dans une salle. Au retour de la douche, elle m’allongea sur le matelas au sol. Elle alluma quelques bougies et ferma la lumière. Elle se mit nue elle entreprit son massage d’une manière tout à fait standard, parcourant toutes les parties de mon corps. On fit connaissance en même temps. Elle imprégna progressivement la prestation d’érotisme : les touchers au cou, les chatouillements aux côtes, le massage des fesses. Vous m’excuserez, cher Tryphon, mais j’étais aux anges.
Au bout d’un certain temps, je lui demandai si elle voudrait qu’on inverse les rôles. Elle me répondit par un sourire qui me fit fondre avant de s’étendre à son tour.
On arrête ici, un instant, le récit.
Je suis donc dans une pièce d’environ de trois mètres par deux, à genou au sol sur un mince matelas. Étendue sur le ventre devant moi, une femme d’une trentaine d’années que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam 30 minutes plus tôt, toute nue.
Est-ce que je voyais ce corps comme une marchandise ?
Ce corps, je n’ai jamais réussi à le dissocier de la femme qui l’habite. Je ne l’ai jamais cherché non plus. On n’est pas dans l’univers de la pornographie, on est dans une relation humaine. Ce corps, je ne l’ai pas vu d’un iota différent de celui de la femme que j’avais aimé pendant 20 ans.
J’avais une seule envie en tête : lui faire plaisir. Et malgré tout ce que tu voudras en croire, je lui ai fait plaisir. Quand je lui ai demandé, la première fois, si tout était correct pour elle, elle m’a simplement répondu : je ne suis pas faite en bois. Ça adonnait bien parce que je n’étais pas en train de frotter une statuette.
Elle reprit plus tard son rôle et elle me passa le KO en moins de deux en m’assénant une branlette espagnole entrecoupée d’éclats de rire.
J’ai revu cette fille une quinzaine de fois pendant les deux années qui ont suivi. Ce fut chaque fois plus sympathique que la précédente. Elle avait un jeune enfant et le père était parti peu après la naissance. Elle étudiait dans une technique de la santé quand je l’ai connue et elle avait commencé à travailler à temps partiel dans ce métier quand j’ai arrêté de la voir. Elle avait un talent naturel pour le massage érotique qu’elle pratiquait avec passion, si bien qu’elle s’était montée une clientèle fidèle. Elle était entièrement libre de son horaire et elle encaissait en moyenne dans les 300$ par quart de travail auprès de trois à six clients (ce chiffre n’est pas représentatif de l’industrie), à raison de trois quarts de travail par semaine, pourboires inclus souvent généreux à l’abris de l’impôt.
La relation s’est développée pendant ces deux ans. Elle s’est confiée à moi, je me suis confié à elle. Elle a pris soin de moi et j’ai pris soin d’elle. On s’est attaché l’un à l’autre, sans jamais perdre de vue la nature réelle de notre relation. Jamais je n’ai senti de dédain de sa part et jamais je ne lui ai manqué de respect.
On a fait l’amour quelques fois, chacune à sa demande explicite parce que moi je n’allais pas là pour ça. Je ne suis pas sorti plus content quand c’est arrivé. Elle a toujours eu le contrôle de ce qui se faisait où ne se faisait pas chaque instant. Elle connaissait chaque millimètre de mon corps et elle pouvait anticiper mes réactions à chacun de ses mouvements. C’était pareil pour moi.
Elle avait ses moments de grande joie dans la vie et un amour inconditionnel pour son enfant auquel elle consacrait plus de temps que bien des mères que la société considère plus honorables. Elle avait aussi ses moments plus difficiles, mais pas plus que le commun des mortels.
Elle a un jour rencontré un homme dont elle est tombée amoureuse. Elle a essayé de continuer le travail de masseuse, mais elle a vite perdu son plaisir de le faire. Elle a arrêté. End of the story.
Ce métier lui a apporté ce qu’il y avait de plus important pour elle : un revenu très décent pour vivre et du temps pour son enfant. Je l’ai revue quelques années plus tard. Elle ne regrette pas une seconde de l’avoir fait. Elle est passée à autre chose. Sa mère, qui gardait son enfant à l’occasion quand elle travaillait, lui avait dit un jour : tu es finalement plus libre que je ne l’ai jamais été.
Je n’ai pas exploité cette fille. Je l’ai aimée, comme j’aime généralement mon prochain et plus encore celui dont je suis près.
Est-ce que son corps me plaisait ? Bien entendu ! Est-ce que je serais retourné la voir si son corps ne m’avait pas plu ? Probablement pas. Est-ce à dire que je l’ai choisie pour son corps ? Au début oui, bien entendu. Mais ça n’aurait jamais suffit. Perso, s’il n’y a pas de connexion, il n’y a pas de plaisir.
Je ne cherchais pas un vagin, je t’assure, ni d’ailleurs quelque autre orifice.