Denis a écrit :Moi, je parle de nos mathématiques, pas de celles des fous. Je parle des mathématiques dans lesquelles 3+4 = 7.
Non. Tu parles de ce que l'on appelle vulgairement "arithmetique en base 10". C'est tout.
<mathematiques: inventees/decouvertes?> Puisque j'avais menace d'y revenir, j'y reviens.
La pratique des mathematiques permet de developper une intuition specifique, tout comme la pratique assidue de la fessee permet d'etendre sa palette de sensations, voire d'emotions. Cette intuition se caracterise frequemment par la conviction que les objets mathematiques jouissent d'une existence et d'une stabilite (voire d'une atemporalite) aussi indiscutables que celles du lapin qui a fini dans mon assiete ce week end (exceptee l'atemporalite, bien sur). Ceci peut effectivement donner l'etrange impression qu'il existe une realite mathematique aussi forte que la realite apprehendee par les sciences empiriques, bien que ces realites puissent etre ou sembler etre de nature completement differente. Cela conduit en general et grossierement aux deux options deja succintement decrites: l'une platonicienne (voire pythagoricienne), l'autre constructiviste (au sens plus philosophique que mathematique). La premiere ressemble a s'y meprendre au mysticisme religieux (elle utilise le meme langage fideiste), alors que la deuxieme releve de l'approche linguistique (au sens large, tres large, du terme). Mais les mathematiques sont plus (beaucoup plus) qu'un langage et leur nature n'a rien d'ethere. Il existe en effet une autre "option" - appelons-la ainsi pour les besoins de la cause - qui prend en compte les acquis recents des sciences cognitives "dures" et qui s'inscrit dans une approche physique de la nature des mathematiques. Bref, les platoniciens se trompent de cible et les constructivistes regardent trop le bout de leur nez. Cette autre option est en fait assez simple a expliquer (elle pue meme le trivial), mais elle est difficile a justifier (et a prouver) parce qu'elle est en grande partie conjecturale et pleine de trous. Elle me semble cependant extremement raisonnable - elle va, je pense, dans la bonne direction - et d'un materialisme methodologique au dessus de tout soupcon. J'en arrive au donc.
La nature ressemble a un reseau de jeux combinatoires evolutifs: il y a des objets, des structures, des regles, des interactions et des "conditions au bord intrinseques" (p.e. ledit jeu de la vie de Conway est un jeu combinatoire evolutif, tout comme la nucleosynthese et l'apoptose cellulaire). Bref, la nature est organisee: elle traite de l'information. Un cerveau (et ses inevitables excroissances sensorielles) est egalement un reseau de jeux combinatoires evolutifs (c'est en fait un sous-reseau du reseau qu'est la nature): il traite aussi de l'information. De la, rien d'etonnant a ce qu'il puisse y avoir une sorte de "dualite", d'"isomorphisme" et/ou de "projection/injection" (ces quattre termes sont a prendre dans leur sens mathematique) entre des sous-jeux de la nature et des sous-jeux du cerveau. Par exemple, le nombre '2', bien qu'il ait une emprunte - plutot floue d'ailleurs - dans le substrat neuronal (cf.
Dehaene & Cie), a une contrepartie (et vice et versa reciproquement) dans la nature: '2' peut etre le fruit d'un processus recursif - cad 2 = λfλxf(f(x)) (notation en λ-calcul, plus aisee), 2 = #{Ø, {Ø}} ou encore 2 = 1 + 1 - et/ou la collection de 2 objets - 2 ≡ {§, ^} -, cad respectivement p.e. division cellulaire et/ou une paire de couilles. Il ne faut evidemment pas confondre (et personne ici ne le fait) "symboles" et "objets/structures" - meme si nos processus cognitifs, fort heureusement, nous les font superposer -: '2' n'existe evidemment pas ecrit en lettres d'or quelque part du cote d'Andromede, derriere ma fesse gauche (ma preferee) ou dans un univers parallele peuple de nymphomanes cocainomanes, mais il existe en tant qu'objet/structure derive d'un traitement (compression) de l'information tant dans la nature ("2 planetes" qui se differencie de "3 planetes") que dans notre cerveau. '2' est un exemple plutot "terre a terre": on pourrait parler de trucs un chouilla plus compliques (codification des rotations dans le cortex moteur (cf. p.e.
Georgopoulos) et groupe SO(3) (peut-etre meme SO(n) avec n > 3), reconnaissance des formes et caracteristique d'Euler-Poincare, etc.) mais il s'agit de trucs inevitablement plus "ambigus" - parce que plus elabores - et, surtout, demandant un plus gros effort en termes de salive virtuelle (ce qui est actuellement au-dessus de mes forces). P.e. la notion de "groupe non-abelien" est une construction a support neuronal (du moins dans une de ses hierarchies les plus basses) - construction inherente a un contexte constructif plus "ample", ou plus "primitif" c'est selon, comme ZF(C)* - mais ce truc existe (probablement) dans la nature du point de vue organisationnel, relationnel. La nature tout comme un cerveau construisent donc des jeux et/ou exploitent des jeux qui existent deja (mais qui ne sont pas crees ex nihilo puisqu'ils sont le fruit des processus evolutifs intrinseques - (auto-)traitement de l'information -, du moins jusqu'a ce qu'il y ait stabilisation pour des raisons aussi diverses que, peut-etre, imprevues). Il arrive meme parfois que ces jeux se superposent de facon tout a fait satisfaisante, voire plus si affinites: c'est alors qu'il peut y avoir interaction, cad "controle empirique" au sens large du terme. D'une certaine facon, on peut dire que les processus scientifiques et cognitifs permettent de selectionner de facon neo-darwinienne dans une liste constructive finie les jeux qui sont le plus en adequation avec les jeux inherents a la nature**. Bref.
*: lorsqu'un contexte constructif est exhibe, celui-ci contient potentiellement tout ce qui peut s'y rapporter, tout comme une fois definies les regles du jeu d'echecs, toutes les parties existent potentiellement "en" elles; d'ou peut-etre la "sensation d'atemporalite" ressentie par certains. En cela, je rejoins l'analyse de Singh et de Mouette, et le "vecu" (arf!) de Denis.
**: pour des raisons adaptatives, la plupart des jeux a substrat neuronal sont "flous" (par rapport a des jeux plus "rigides" comme la logique du 1° ordre): ils permettent ainsi a la fois d'etre extremement efficaces dans notre "environnement sensoriel" et d'economiser des ressources; ceci expliquerait d'ailleurs notre faible capacite calculatoire et notre resistance aux "raisonnements deductifs" directs, contrairement a des jeux "concrets" comme des ordinateurs (machines de von Neumann reelles).
Que dire de l'obsession de Denis, cad de $$\zeta(2)=\sum_{n=1}^{+\infty}{\frac{1}{n^2}}=\frac{\pi^2}{6}$$? zeta(2) existe en tant que coup d'une partie d'echecs (une ile dans l'ocean des deductions possibles inherentes a ZF(C)... c'est dit grossierement, j'en conviens), c'est indeniable, mais il n'est pas improbable que zeta(2) existe aussi en tant que sous-objet/sous-structure de/dans la nature (comme je le suggerais plus haut pour le nombre '2'; voir p.e.
ici et
ici (et pour des sujets connexes,
ici et
ici)). Why not. Mais ce "why not" n'est pas platonicien: il est structurel, organisationnel, relationnel (je le reprecise au cas ou). Y'a cependant des trucs qui n'ont tres probablement aucune contrepartie dans la nature (en tant qu'objet/structure), et tres probablement pas non plus en termes de substrat neuronal: mon exemple prefere est l''infini' (mieux: les 'infinis'). Bref ici aussi.
J'ai ete concis (on ne lutte pas contre la paresse des jours pairs), peut-etre meme trop concis (ce qui fait que le degre d'approximation est beaucoup trop bas et le choix des termes parfois tendancieux ==> risque de malentendus eleve), mais je veux bien preciser ulterieurement certains points, si necessaire, et si cela en vaut la peine.
groucho max