Pas mal de choses correctes sont présentées dans cet article mais d'autres ne sont pas évoquées (et, je le crains, pas vues).
1/
Un constat éco-climatique synthétique et la transversalité du problème sont vus : crise climatique, destruction de notre biosphère, risques sur l’existence pérenne et les conditions d’existence de l’humanité, sont qualitativement corrects, mais ...
- sans signaler plus en détail ces risques : insécurité alimentaire, problèmes d'accès à l'eau potable, augmentation de la fréquence et de la violence des évènements climatique extrêmes, submersion et/ou salinisation de zones côtières,
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- sans chiffrage alors que le chiffrage est crucial pour mesurer quantitativement l'ampleur des changements à réaliser, les objectifs chiffrés globaux à atteindre dans ce but et la difficulté tant sociale que géopolitique (en termes de négociation puis d'adhésion collective à des arbitrages difficiles) ET physique pour y parvenir (en terme de contraction des ressources). Il ne ressort pas de l'article une vision systémique réaliste, se préoccupant de l'adéquation entre objectifs chiffrés à attendre, ressources disponibles pour les atteindre et délai à respecter pour nous éviter le pire.
2/
Le fait que les lois du marché ne peuvent plus (pas pour l'auteur)
suffire à résoudre le problème global auquel nous faisons face est vu, mais...
- sans évoquer en quoi doivent consister les changements requis, notamment la nécessité de mettre en place, à une échelle internationale, des contraintes règlementaires et normatives, des incitations appropriées aux substitutions requises.
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- sans couvrir certaines causes importantes de blocage (et non les seules causes perçues comme telles).
D'importantes causes de blocage ne sont pas évoquées :
- L'énorme chantier que représente l'accompagnement des transformations requises, notamment les secteurs les plus impactés par ces transformations
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- la difficulté pour obtenir une adhésion collective sur le choix des efforts à faire (et pour cause, l'article ne les chiffre pas) et encore moins sur la difficulté d'obtenir un accord négocié sur le choix de leur partage.
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- la difficulté considérable que représente, de ce point de vue, le fractionnement géopolitique de notre société mondiale en blocs de modes de gouvernance, de cultures et d'intérêts différents/divergents (1)
3/ Le fait que des considérations
globales et de
long terme doivent recevoir, dans les décisions prises, un poids plus élevé que celui des seules considérations de
profit/pouvoir d'achat à court terme (considérations de court terme restant, pour l'instant, à la base des décisions prises)
est vu.
4/
Le fait que les mesures à prendre ne peuvent pas être décidées d'en haut sans avoir préalablement obtenu une
adhésion suffisamment large et forte à ces mesures
est vu.
Ces mesures demandent une coconstrution malgré l'énorme défi que représente une telle coconstruction (et les nombreux obstacles à surmonter). Une coconstruction chiffrée du constat et des objectifs globaux à atteindre est effectivement nécessaire, et ce, à une échelle internationale. Il est nécessaire aussi (et non facile et faisable à coup sûr) de l'étendre à tous les publics.
Les élites n'ont pas (ou très peu) le pouvoir d'imposer des choix structurants dépassant des considérations de court terme si le rejet est trop violent pour cela. De plus, les décideurs préfèrent parfois à souvent, ou se laissent souvent piéger elles aussi, par la même vision court-termiste (de profit immédiat).
Qui plus est, les règlementations et la fiscalité de sont pas toujours favorables à une inflexion des choix d'investissement dans des directions apportant un bénéfice seulement collectif et à long terme (sans compter le cas où elles sont nuisibles à tous les niveaux, collectif et individuel, parce que mal choisies).
5/ Le fait que la
dimension sociale doive être prise en compte
est vu...
...mais la façon dont l'article est rédigé donne l'impression que, pour trouver les bonnes solutions, seule compte la prise des aspirations et attentes (qui plus est actuelles). La compatibilité de la satisfaction de ces attentes et aspirations avec les ressources disponibles et la
nécessité d'adapter nos attentes et aspirations à ce qui est compatible avec nos
ressources en contraction et le court délai dont nous disposons dans ce but ne semblent pas être perçues par l'auteur de l'article.
Il est vrai que l'auteur de l'article n'est pas le seul à être prisonnier de ce piège, le piège de
la croissance/préservation du pouvoir d'acheter les mêmes choses que ce que nous pouvons encore acheter à ce jour (au prix d'une grave mise en cause de notre avenir). Les pourfendeurs de "l'écologie punitive" (il y en a sur toute la largeur de l'échiquier politique) sont prisonniers du même piège : une irrépressible envie de croire en la possibilité de poursuivre notre fuite en avant
- grâce à une véritable volonté politique sans faille pour les uns,
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- grâce à de merveilleux investissements et innovations technologiques pour les autres...
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- parceque "l'histoire est un éternel recommencement" (notion de rupture, dont l'anthropocène, non identifiée).
Certaines difficultés socio-culturelles et psychologiques ne sont pas évoquées et encore moins soulignées. Nombre de décisions tant individuelles que collectives sont pourtant guidées :
- par nos motivations émotionnelles (pas toujours suffisamment conscientes) parfois contraires à notre intérêt, nous poussant parfois à faire des choix inefficaces (surestimation d'une cause ou d'une possibilité d'agir dessus) voir contreproductifs (aggravation des effets de la cause combattue par un choix d'action ou de communication inapproprié)
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- par un environnement socio-culturel favorisant un rejet rapide, global et sans analyse suffisante, de points de vue différents.
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- par des certitudes reposant sur des leçons du passé devenues caduques en raison de la contraction des ressources et la nécessité de faire face à un problème global, un problème global demandant une gestion globale et systémique tenant compte de la contraction des ressources (donc de ce qui est réalisable et non de ce qui est jugé souhaitable par un effet d'inertie culturelle).
L'article propose le profond changement suivant : "une activité économique profondément refondée par la solidarité et la coopération". La pertinence de ce changement culturel là, en termes de délais (des siècles, voir des millénaires) n'est pas évoquée.
- La comparaison avec des changements plus modestes et bien plus réalistes (en terme de délais) de réalignement de la valeur attribuée aux biens et services en fonction de leur réelle aptitude à répondre à nos besoins actuels est manquante.
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- L'attribution de valeurs subjectives mieux corrélées avec nos besoins objectifs est proche d'un changement de mode (2). Ce point est évoqué, mais sa formulation, "l'abandon de valeurs consumméristes", ne me semble pas faciliter la compréhension de ce changement, sa raison et sa faisabilité.
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- Les incitations favorisant ce changement par des taxes, quotas et outils fiscaux appropriés (et les difficiles débats et négociation pour y parvenir sans situation de blocage) ne sont pas évoquées.
Si, finalement, nous parvenons à franchir le cap très dangereux actuel, nous pourrons toujours nous mettre au travail, plus tard, sur des sujets beaucoup plus profonds et beaucoup plus spéculatifs, non requis pour notre survie.
L'importance du choix des mots, la pertinence et l'efficacité de la transmission des messages, notamment ceux des leaders d'opinion (voir des influenceurs pas toujours bien au courant du sujet sur lequel ils s'expriment), n'est
pas soulignée. Il me paraît vraisemblable que l'auteur de l'article n'ait pas identifié à quel point la qualité de ces messages ET l'efficacité de leur diffusion ET le souci de réfléchir à l'utilité de ce que l'on diffuse au lieu de répondre à telle ou telle pression purement émotionnelle (3), sont cruciaux pour favoriser le mouvement global dont notre société mondiale à besoin.
Il est possible que l'auteur surestime la possibilité de trouver des "solutions concrètes toutes faites" ou des solutions répondant à nos attentes actuelles
- par sous-estimation de leur difficile compatibilité avec les ressources disponibles
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- par sous-estimation de l'immense chantier de coconstruction préalable des objectifs, puis des solutions, puis du qui, du comment, du combien et du quand de leur mise en oeuvre avant d'aboutir à "des solutions concrètes, correctes ET réalistes" recevant une adhésion suffisante pour réussir.
Un dernier
mécanisme d'entrainement du changement souvent sous-estimé (voir parfois ignoré) manque aussi dans cet article. Ce mécanisme est présenté en pages 67 et 68 du
ppt Grand Public des shifters. Je cite des extraits des planches 67 et 68 (avec des modifs mineures visant à réduire la longueur de ces extraits) :
Début : Nous avons le pouvoir d’initier et orienter le mouvement par nos actions !
En tant que consommateurs nous sommes la raison d’être des entreprises produisant les biens et services que nous achetons. Les entreprises surveillent de très près tout ce que nous achetons et nos motivations d'achat. En modifiant notre façon de consommer, nous contraignons l’économie de marché à s'adapter, parce qu’une entreprise meurt si elle ne rencontre pas une demande au bon niveau même en se ruinant en publicité.
Si, au quotidien, on utilise moins la voiture et plus le vélo, on aura besoin de moins de gens fabriquant des voitures et plus de gens fabriquant des vélos. Si on mange moins de bœuf et plus de produits végétaux, plus de saison et local, peut-être faudra-t-il plus d'agriculteurs en France pour les produire.
Les actions et attentes individuelles créent une pression sur nos gouvernants et nos entreprises. Mais ce sont l’État, les collectivités, les entreprises qui devront le décider, puis le réaliser. Ça veut aussi dire qu’une partie des Français devra changer complètement de métier et de secteur économique. Et pas de manière forcée : il va falloir aussi qu’ils le fassent en en ayant envie, y compris quand leur métier actuel leur plaît toujours… et y compris quand ça veut dire gagner un peu moins d’argent chaque mois.
Fin : Nous avons le pouvoir d’initier le mouvement et de l’orienter ! Par chacune de nos actions !
(1) Notamment le tarissement à venir de certaines
importations, un tarissement mal anticipé en raison d'une vitesse de relocalisation et d'adaptation/substitution insuffisants. La lenteur de nos
relocalisations découle d'un objectif de court terme de lutte contre l'
inflation et d'optimisation de
profits à court terme. Ce problème ne va pas à tarder à se poser quand des ressources critiques, dont les métaux, notamment le cuivre, puis l'argent et l'or, s'épuiseront et que les frontières des pays disposant de ces ressources se refermeront ou resteront légèrement ouvertes à des tarifs prohibitifs.
(2) Un changement de la valeur que nous attribuons à certains biens ou services. Nous sommes prêts, pour certains, à les payer très cher en raison de la valeur subjective induite par un "effet de mode" (de mode possiblement durable) mais bien trop cher par rapport à ce qu'ils nous procurent objectivement (voir négativement en raison de forts dommages induits mais ne se répercutant ni immédiatement ni à une échelle individuelle). De tels changements sont apparentés à des changements de mode. Ils sont donc possiblement jouables dans un délai compatible avec les 2 à 4 décennies dont nous disposons pour éviter le pire.
(3) Comme, par exemple, laisser le désir d'avoir raison à tout prix primer sur l'utilité et l'efficacité des informations transmises ou échangées (sur un sujet suffisamment important pour s'efforcer de moins se laisser tenter).