Salut Tryphon,
Je t'avoue honnêtement m’essouffler quelque peu dans cette discussion, ne voyant plus trop où seraient nos désaccords principaux. Je vais tenter de relancer ça, mais je ne promets pas d'aller beaucoup plus loin si nos désaccords se situent sur des points de détails, en particulier dans le domaine éthique ou moral. Car de mon point de vue, c'est avant tout
la santé publique qui importe, et nous n'en avons même pas encore parlé. (C'est principalement de ma faute, sans doute). Je me fiche pas mal de la morale
(entre adultes consentants, si je devais encore le préciser).
Quand je parle de donner des droits et de protéger les prostitués "volontaires", tu évoques les dérives et les personnes contraintes. C'est louable, certes, mais pour moi le sujet est
relativement secondaire.
Je vais quand même revenir sur quelques points :
Tryphon a écrit :Bien ,tu me donnes une réponse claire: le combat de Morgane et du STRASS ne considère pas les dérives de ce métier , ni les souffrances engendrées par l'envie d'acheter les services sexuels de l'autre , ni par ceux qui en tire du bénéfice. Nous sommes bien d'accord , ce ne sont pas les victimes qui en parlent puisqu'elles n'en tirent aucun bénéfices et qu'elles ont beaucoup moins accès à la parole que les "putes-people".
Sauf que donner des droits à toutes les prostituées, même celles dont la situation est difficile... c'est aussi les défendre. Si elle avait plus de droits, et si ceux-ci étaient mieux respectés, une prostituée "contrainte" pourrait plus facilement porter plainte auprès de la police, et faire condamner son proxénète. Et du coup, elle pourrait mieux s'en sortir.
C'est un peu l'idée de la loi en Allemagne, où des brigades spécialisées vont visiter les bordels, et interroger les filles pour déterminer celles qui font ce travail sous la contrainte. Malheureusement comme je l'ai déjà dit, avec des moyens beaucoup trop faibles, ce qui a pour conséquence un jeu du chat et de la souris entre trafiquants, proxos et policiers. Mais au moins, ça permet aux filles qui travaillent en indépendantes de ne pas subir une inutile répression policière.
Et une société me semble aussi plus juste quand la police est là pour venir en aide aux personnes qui subissent des contraintes, plutôt que quand son rôle consiste à harceler sans distinction toutes les prostituées (et leurs clients) - même celles qui
ne souhaitent
pas être traitées en victimes.
Tryphon a écrit :Cette société qui contraint tout autant Morgane ou Sonia qui ont toutes deux en commun l'envie d'étudier, de réfléchir, ce monde dans lequel aucun travail ne leur donnait la possibilité de se dégager du temps pour le faire faute d'argent et à qui ont a pas donné d'autres alternatives.
Mais à nouveau, toutes les prostituées n'exercent pas
forcément sous la contrainte. Si j'étais une jeune et jolie étudiante de 20 ans, par exemple, je préfèrerais gagner 350 euros en une seule fois, en une soirée, en accompagnant un riche monsieur au resto et dans son lit, plutôt que de bosser tous mes week-ends pendant un mois, 8 heures par jour, dans un
fast-food. Pour la même somme d'argent, mon choix serait vite fait. C'est ce choix qu'a fait Morgane, en conscience, et il n'est pas question de "contrainte" là-dedans.
Tryphon a écrit :Est-ce normal ? Est-ce que ce processus est acceptable ? N'aurait-il pas été plus juste que Morgane et Sonia , puissent devenir sans passer par la case prostitution, un grand écrivain ou anthropologue tout en ayant une sexualité désirée , une sexualité libre ? J'espère qu'elles y arriveront.
C'est une question morale, et je ne me place pas sous cet angle, d'autant que la prostitution ne me semble ni forcément immorale, ni forcément avilissante, ni forcément dégradante. Quant à leur sexualité, dans les deux cas de Sonia et Morgane, elles en font bien ce qu'elles veulent. Elles différencient le sexe avec leurs clients du sexe avec leur petit ami, et leur sexualité me semble suffisamment mature et maitrisée pour que notre jugement "moral" ne soit pas à prendre en compte quand on discute des droits à leur donner (ou pas).
Tryphon a écrit :Hallu a écrit :La misère affective est sans doute autant pourvoyeuse de clients que la misère sexuelle
Est-ce que la prostitution la guérit véritablement ? A toi de me le prouver.
Cela me semble une telle évidence que je ne vois pas ce qu'il y aurait à prouver. Quand un homme va voir une prostituée, ce n'est pas simplement un pénis qui va voir un vagin. Il y a un contact, des paroles, des caresses. Il est bien évident que ça a un impact sur l'affect du client. Comme d'aller se confier 20 minutes à un curé ou à un psy. L'intimité physique en plus.
Je sais que tu n'es pas abolitionniste, tu l'as dit. Mais ce que tu sembles minimiser, c'est ce qu'
ignorent volontairement les abolitionnistes : cette dimension "humaine" des échanges tarifés entre clients et prostitués.
Je ne plaisante pas à propos des abolitionnistes : regarde un peu ce que peut écrire P. Jean, leur "chef de file" en France (les soulignés sont de moi):
[url=http://anonym.to?http://patricjean.blogspot.de/2012/08/cher-monsieur-goldman-je-viens-de-lire.html#comment-form]Sur son blogue[/url], P. Jean a écrit :
Je représente un réseau d'hommes, qui rassemble près de 1.100 membres, de maris fidèles jusqu'au libertins de tout poil mais qui disent non à la prostitution parce qu'ils considèrent que
louer le corps d'une femme (ou d'un homme d'ailleurs) est une violence dans tous les cas. Non, on ne peut tout acheter.
(...)
Quel plaisir à le trouver en quelques minutes avec une femme sans désir qui vous applique
quelques gestes mécaniques
(...)
Une
seule réponse: payer pour dominer. L'argent est un symbole de pouvoir et l'échange d'un billet pour un acte sexuel replace le client, toujours un homme, dans la relation virile cultivée ancestralement entre l'argent, la masculinité, le pouvoir et la possession des femmes. Autrement dit, cette transaction permet à celui qui paie d'exercer le pouvoir sur l'intimité d'une personne, le plus souvent une femme, en toute légalité.
C'est en se basant sur cette vision ultra-réductrice de l'acte prostitutionnel que les "féministes abolitionnistes" veulent pénaliser les clients. Pour eux, la prostituée est réduite à un vagin, avec des "gestes mécaniques" : à les entendre, ce n'est même plus une femme que les hommes viennent voir. Ils ne viendraient que pour se vider les c..., et rien d'autre : ce seraient des pervers, qui ne cherchent qu'à affirmer leur domination par l'argent.
Je ne vais pas mâcher mes mots pour qualifier cette vision de la prostitution : ce n'est qu'un paquet de conneries. À côté de la plaque.
Puisque cette vision des abolitionnistes prétend s'appliquer à tous les cas de prostitution, sans exception, un unique contre-exemple suffira à en démontrer l'absurdité. Alors considère un jeune de 16 ans qui va voir une prostituée pour se faire dépuceler. (À l'époque des maisons closes, la pratique était très courante, mais nul doute qu'elle existe encore.) Ce jeune homme n'est pas un "
pervers qui vient acheter la domination sur une femme pour affirmer le patriarcat", comme ce serait systématiquement le cas d'après les pseudos-féministes. C'est juste un post-ado, travaillé par ses hormones, qui se paye une première expérience avec une dame, ce qu'il ne trouve pas "gratuitement" par ailleurs. Dans la très grande majorité des cas, ces jeunes gens vont voir leur "première fois" avec timidité, et en lui témoignant un profond respect. Il n'y a pas de volonté de possession ou de domination de la part du client, mais bien simplement l'achat d'un service sexuel.
Les abolitionnistes ignorent la diversité de la prostitution, des situations, et des motivations non seulement des prostitués à exercer ce métier, mais aussi des clients à aller les voir. Les abolitionnistes réduisent cet échange à une domination masculine parfaitement inepte... dans le cadre du "patriarcat".
Ah... le patriarcat ! Une
théorie infalsifiable, au même titre que le "complexe d’œdipe" ou la "lutte des classes". Cette notion de patriarcat ferait bien d'être renvoyée dans
le néant intellectuel d'où elle provient. Les combats égalitaristes seraient certainement plus pertinents et plus efficaces si les féministes abandonnaient cette grille d'analyse infondée, dogmatique et sclérosée de la société.
Allez, je m'arrête là pour aujourd'hui, je sens que je m'énerve tout seul.
Amicalement,
Hallucigenia