Ubu a écrit :Dans l'histoire des idées religieuses de l'humanité, y a-t-il évolution continue et homogène à partir de la croyance en des esprits jusqu'au polythéisme, puis au monothéisme abrahamique, puis à des abstractions théologiques comme le «Fondement de l'être» de Tillich ou «l'Esprit absolu» de Hegel ou le «Réel» de Hick?
Non.
Contrairement à ce qu'on croit trop souvent, il n'y a pas d'évolution inéluctable depuis le chamanisme jusqu'au monothéisme qui ferait du monothéisme chrétien (puisque finalement c'est celui là qui sert de référence dans ce type d'argument) l'apogée de la croyance.
C'est faux d'abord parce que l'on constate qu'en Asie ou en Afrique, on a conservé des culte polythéiste tout en y ajoutant de la transcendance et qu'on a su mêler culte des ancêtres avec les philosophies rituelles (bouddhisme , confusianisme...) et avec le polythéisme.
C'est faux ensuite parce que les monothéismes ne sont en rien homogène quand à leur caractère monothéiste. Certains courants du christianisme, comme certains courant de l'Islam ont un culte des saints très présent qui, même s'ils s'en défendent, se rapproche des pratiques polythéiste antique.
Il n'y a donc pas évolution vers le monothéisme à partir du polythéisme, mais un mouvement d'emprunt de l'un vers l'autre. Le polythéisme de la fin de l'antiquité empruntait aux monothéismes pour renouveler leur façon d'être et le monothéisme chrétien, dans sa relation entre le croyant et le divin, empruntait en fait celle-ci à certains cultes polythéistes de l'époque qui renouvelaient leur posture en sortant de la religion civique communautaire pour devenir des cultes plus personnels (le culte d'Isis qui devient très populaire est de ce genre, mais on a aussi les cultes à mystères comme celui de Bacchus)
C'est faux enfin parce que l'évolution des religions dépend en fait grandement de la situation humaine du moment et qu'il n'y a donc pas d'évolution indépendante de la situation sociale, ni d'évolution qui serait inéluctable vers une forme précise.
Même les monothéismes entre eux ont en fait une façon extrêmement différente de conceptualisé le divin, le rapport divin/croyant et la façon de rendre grâce.
Les musulmans et les juifs par exemple, héritent beaucoup plus de la pratique antique du culte avec une forme de religion très reliée aux rites, à la façon visible d'être un bon croyant.
D'une certaine façon, la manière dont le Coran décrit le bon musulman est bien plus lié à des actes rituels qu'à une conscience religieuse tandis que le christianisme, sous l'impulsion des différentes réformes qu'il a connu et parce que le politique c'est détaché de lui, l'obligeant à se réinventer, s'est tourné vers la foi, la conscience plus que vers l'acte rituel (c'est plus le fait des croyants que le fait des religieux dans ce cas là. )
Le monothéisme apparait et se diffuse essentiellement parce que le contexte est porteur.
Le monothéisme juif se met en place alors que les juifs doivent réinventer leur rapport au divin après des défaites. Alors qu'auparavant, ils étaient dans une conception antique du divin, avec l'idée que si un peuple perd, c'est que son dieu est moins fort, la défaite et notamment la déportation à Babylone amène une modification. Les juifs déportés invente un monothéisme strict parce que leur identité passe quasi exclusivement par le religieux et que pour la conserver au milieux de l'empire babylonien, ils doivent affirmer leur dieu même s'il a été vaincu. (s'y ajoute aussi divers aspect de propagande politique sous certains rois juifs qui ont amorcé la tendance)
Le monothéisme chrétien trouve un écho dans l'empire romain parce qu'il apparait dans une société en crise religieuse où le culte impérial et l'existence d'un empire unique par dessus les cités rompt le lien classique entre la communauté et sa religion civique. Au 1er siècle, l'individu dans l'empire romain, s'il reste attaché à sa cité d'origine, est parfois en plus citoyen latin ou romain et la dimension civique de la citoyenneté perd de sa force au profit de la dimension juridique et administrative dans un empire plus vaste.
Le christianisme, mais d'autre culte aussi, comme des cultes Egyptiens, orientaux, s'engouffrent dans la brèche de la même manière que les rois hellénistiques après le règne d'Alexandre sauront exploité la crise des religions civiques grecques pour se faire presque diviniser et pallier le manque.
Le monothéisme d'Islam s’appuient quand à lui sur le succès du christianisme, du zoroastrisme et la présence des juifs en Arabie et devient une idéologique politique autant qu'une religion remportant un succès auprès de la population parce qu'elle est simple (reposant sur des rites simples), relativement décentralisée et parce qu'être musulman apporte des avantage dans l'empire qui se crée dans le sud de la méditerranée.
(ne pas oublier l'aspect matériel dans les évolutions de culte. les Juifs sont restés juifs pendant les conquêtes grecques aussi parce qu'ils avaient un statut fiscal particulier. L'empire romain nuancera un peu la chose, mais le principe est le même.
Les chrétiens deviendront chrétiens aussi pour des raisons parfois bassement matérielle ou de réussite sociale)
Bref, l'évolution existe parce que les moments sont propices, il s'agit moins d'une évolution de la religion d'un point A à un point B que d'une évolution de la société qui permet à la religion de s'engouffrer dans une brèche ouverte par une autre religion ou un fait social ou culturel à qui elle donne sens.