Vous résumez un peu abruptement le problème car il est beaucoup plus insidieux. Il ne s'agit pas de savoir si quelqu'un lit ces articles puisque, après tout, même les articles publiés dans de bonnes revues sont lus par un petit nombre de personnes, quelques centaines à quelques (dizaines de) milliers au mieux. Le problème plus fondamental est multiple:
- etc.
Moi ce que je disais, c'est que c'est pas fondamentalement nouveau, loin de là. On a simplement oublié ceux d'il y a 30 ans parce qu'à part une poignée qui ont finalement réussi, ils ont disparu ou végètent dans un coin sans réellement laisser de trace.
Ce qui est relativement nouveaux, ce sont les faux journaux montés par des crackpots. Mais là encore, ça a assez peu d'incidence.
- ces journaux, particulièrement ceux en "open access"*, popularisent des résultats douteux qui peuvent avoir du retentissement auprès d'une certaine frange de la population;
Les derniers gros scandales que j'ai en tête résultaient d'articles dans de gros journaux. Pas dans des daubes obscures que ni les chercheurs, ni les journalistes ne lisent. Très franchement, on a plus de problème avec les mauvais articles passant dans de bonnes revues, ou avec la mauvaises vulgarisation de bons articles.
- ces journaux se font financer indirectement par des fonds (souvent) publics;
C'est rare. Les journaux financés par le public sont généralement de qualité bonne ou moyenne, indépendamment de leur impact-factor. Et encore, ils le sont au lance-pierre, et temporairement. Ils finissent généralement par être rachetés par elevier et compagnie.
- ces journaux permettent à des fraudeurs de gonfler leur CV et, ainsi, d'augmenter leur chances de réussite à des concours de subvention, ce qui diminue les fonds disponibles pour de la recherche légitime;
Sauf que ces journaux ont des impact factors pourris, et ont donc peu ou pas d'incidence sur la carrière et les financements.
On est pas non plus idiots : les bons et les mauvais journaux, on les connais. Quand on voit quelqu'un qui publie énormément dans de mauvais journaux, ça ne joue pas franchement en sa faveur. Idem : lorsqu'on voit des chercheurs qui font 1 article toutes les semaines, on sait pertinemment que soit ils s'attribuent le travail d'autrui, soit c'est incroyablement mauvais.
Ce genre de chose ne dupe pas grand monde.
Je ne nie pas le problème de l'augmentation des rétractations mais ça m'apparait un symptôme** pas la cause. La cause est la pression accrue sur les chercheurs qui va de pair avec une forme de mercantilisation de la recherche. Cette mercantilisation impose des critères qui ne sont pas ceux de la recherche, particulièrement la "productivité"*** ("publish or perish").
Pas seulement.
Certes, il faut publier beaucoup et vite, et ça se fait souvent aux dépends de la qualité du travail.
Mais ces articles sont sensés être reviewés. C'est un peu facile de blâmer le système en général, mais il faut quand même admettre qu'il y a avant tout un problème au niveau des journaux eux-même.
Une autre raison pour laquelle le phénomène des rétractations m'apparait un peu moins problématique que la multiplication des journaux plus ou moins bidons est que le problème peu être plus facilement circonscrit et donc, éventuellement, corrigé. C'est d'autant plus vrai lorsque cela concerne des revues sérieuses qui ont une réputation à maintenir, et qui prendront les moyens pour le faire.
Moins problématique ? Je dirais plutôt le contraire : ce sont les journaux les plus lus. Qu'un journal pourri que personne ne lit publie des trucs pourris, c'est presque naturel. Qu'un bon journal laisse passer des trucs pourris, c'est plus gênant.
D'abord, c'est relayé dans la presse. Ensuite, ça nous fait perdre un temps monstrueux (les thésards et post-doc qui perdent leur temps à essayer de répliquer des expériences qui ne peuvent pas l'être, c'est une fortune et un énorme gâchis de carrières). Enfin, ça peut déboucher sur des décisions politiques.
En outre, le problème n'est pas circonscrit. Il est incroyablement difficile de faire rétracter un article. Personne n'a intérêt à le rétracter : ça laisse des traces, et ça fait des articles et des citations en moins. Le meilleur moyen d'augmenter son impact factor, c'est de balancer une daube suffisamment grosse pour que des dizaines de chercheurs s'acharnent à la réfuter. Ce n'est pas pour rien que Nature est en tête du classement : c'est un journal qui s'est spécialisé dans le scoop et la polémique.
Pour être franc, je n'ai jamais trouvé un seul article réellement utile dans ma thématique chez Nature ou Science. J'en ai trouvé des flopées dans des petits journaux.