eatsalad a écrit :On peut téléporter de l'information mais sans savoir ce qu'elle contient
Oui. C'est même indispensable si on n'a pas de connaissance préalable de l'état quantique que l'on veut téléporter. En effet, acquérir une information complète sur l'état quantique d'un système unique, c'est le modifier puisqu'on doit, pour cela, le projeter sur un état propre d'un ensemble complet d'observables qui commutent (une seule observable suffit si l'état en question est celui d'un simple qubit).
eatsalad a écrit :Ni si elle a été effectivement transférée ?
On sait, par contre, dire de façon sûre que cette information n'a pas été "complètement" transférée tant qu'Alice n'a pas communiqué, par voie classique (donc à vitesse < c), le résultat de sa mesure de Bell sur son couple de qubits (A, C) (où A désigne le qubit EPR corrélé avec le qubit B de Bob sur lequel Alice veut télécopier l'information stockée sur son qubit C).
Tant que Bob ne connait pas le résultat de la mesure de Bell d'Alice, le qubit B de Bob est sur un point de la sphère de Bloch parmi 4 points possibles. Ces 4 points précis (parmi l'infinité 2D des points de la sphère de Bloch) dépendent de façon unique de l'état quantique du qubit C d'Alice. C'est ce qu'il faut comprendre par information "presque complètement" transférée.
Le qubit B de Bob a été "instantanément" projeté sur l'un de ces 4 points par la mesure de Bell d'Alice.... Mais il n'y a qu'une chance sur 4 que se soit le bon.
C'est seulement après avoir pris connaissance du résultat de la mesure de Bell d'Alice (parmi les 4 résultats de mesure de Bell possibles) que Bob peut effectuer une action U1, U2, U3 ou U4 sur son qubit B pour l'amener dans l'état où se trouvait le qubit C d'Alice avant mesure de Bell.
J'ai mis "instantanément" entre guillemets puisque la simultanéité entre ce que fait Alice et, de son point de vue, le résultat qu'elle induit sur le qubit B de Bob est valide dans tous les référentiels inertiels. Ce n'est pas possible en relativité puisque la simultanéité dépend du référentiel inertiel considéré.
Une solution à ce problème d'interprétation consiste à admettre l'existence d'un référentiel quantique privilégié. C'est l'interprétation réaliste, explicitement non locale (en violation de l'invariance de Lorentz donc) de la non localité quantique (interprétation par laquelle j'ai été tenté pendant très longtemps). Elle correspond au point de vue (pas toujours très connu) de Bohm, Bell, Goldstein, Scarani, Valentini, Percival et quelques autres.
L'interprétation des positivistes résout ce problème en balayant d'un revers de main l'interprétation réaliste explicitement non locale de la non localité quantique. Asher Peres ou Antony Leggett vous diront que le vecteur d'état d'un objet observé (la représentation pourtant la plus complète à ce jour de cet objet) ne représente pas une entité physique objective présente quelque part dans notre espace-temps.
Le vecteur d'état (ou fonction d'onde) doit être considéré (selon eux) comme un outil prédictif, point. L'état quantique d'un système se balade dans son espace de Hilbert, pas dans notre espace-temps. Il se
manifeste dans notre espace temps seulement quand on le siffle. C'est l'interprétation majoritaire. cf. Quantum Information and Relativity Theory Asher Peres, Daniel R. Terno (2003)
http://arxiv.org/abs/quant-ph/0212023v2
Une 3ème interprétation me semble gagner du terrain, c'est l'interprétation réaliste time-symmetric de la mécanique quantique : cf. Y. Aharonov, PG. Bergmann, JL. Lebowitz, Time symmetry in the quantum process of measurement, Physical Review B (1964); 134 (6): 1410-1416.
http://dx.doi.org/10.1103/PhysRev.134.B1410. Elle caractérise les systèmes physiques à un instant t par
2 vecteurs d'état : cf. two state vector formalism, Y. Aharonov, L. Vaidman (2007)
http://arxiv.org/abs/quant-ph/0105101 :
- un vecteur d'état antérieur à l'instant t évoluant du passé vers le futur
- un vecteur d'état postérieur à l'instant t évoluant du futur vers le passé
Dans cette interprétation là :
- pas besoin de violation d'invariance de Lorentz,
- pas besoin de projeter au niveau quantique une violation de symétrie T (dont tout laisse à penser qu'elle est exclusivement de nature thermodynamique statistique)
- ni de penser que la lune existe seulement quand je la regarde.
Il suffit d'interpréter la causalité, l'écoulement irréversible du temps du passé vers le futur et notre perception classique du monde qui nous entoure comme une émergence statistique cf.:
La raison pour laquelle ce formalisme à deux vecteurs d'état (ne s'écartant pas d'un iota, mathématiquement, du formalisme quantique standard) peut commencer à être pris au sérieux, ce sont les confirmations expérimentales qui ont été obtenues concernant la mesure faible : cf. Y. Aharonov, D.Z. Albert, L. Vaidman, How the result of a measurement of a component of the spin of a spin-1/2 particle can turn out to be 100. Physical Review Letters (1988); 60 (14): 1351-1354.
http://dx.doi.org/10.1103/PhysRevLett.60.1351.
La mesure faible a émergé naturellement de la présentation time symmetric de la mécanique quantique.
A. Peres ainsi que A. Leggett ont initialement contesté les résultats de mesure faible cf. :
- AJ. Leggett, Comment on “How the result of a measurement of a component of the spin of a spin-1/2 particle can turn out to be 100”, Physical Review Letters (1989); 62 (19): 2325–2325 http://dx.doi.org/10.1103
- A. Peres, Quantum measurements with post-selection, Physical Review Letters (1989); 62 (19): 2326–2326.
http://dx.doi.org/10.1103/PhysRevLett.62.2326
Désormais, plus personne ne conteste les résultats de mesure faible eux-mêmes. Par contre, l'interprétation rétrocausale proposée par les tenants de l'interprétation time-symmetric de la mécanique quantique reste à ce jour largement minoritaire, mais elle me semble gagner du terrain : cf. Y. Aharonov, E. Cohen, D. Grossman, A.C. Elitzur, Can a future choice affect a past measurement’s outcome? International Conference on New Frontiers in Physics", Crete, June 2012,
http://arxiv.org/abs/1206.6224.
L'interprétation rétrocausale chère aux tenants du formalisme à deux vecteurs d'états permet à l'information de circuler d'Alice vers Bob :
- d'abord en "descendant" du présent vers l'instant passé de création de la paire (A,B) de qubits intriqués en partant de l'instant et du lieu où Alice fait sa mesure de Bell.
- Ensuite en "remontant" du passé vers le présent de Bob en repartant de l'instant et du lieu de création de la paire (A,B) de qubit intriqués pour aller modifier l'état du qbit B de Bob.
La vitesse de la lumière n'est alors jamais dépassée au cours de ce voyage de l'information d'Alice vers Bob. L'invariance de Lorentz est respectée, la symétrie T aussi, la lune existe même si je ne la regarde pas. Par contre, la causalité est violée au niveau interprétatif.
Cette interprétation est tellement choquante vis à vis de nos préjugés d'observateurs macroscopiques avec un enchaînement cause-effet bien rangé dans le sens passé futur que les répugnances métaphysiques suscitées sont faciles à comprendre (ou à admettre). Les objections que j'ai pu lire à cette interprétation sont d'ailleurs amusantes car elles contiennent implicitement les conclusions qu'elles visent à démontrer.