Est-ce qu’une comparaison est plus pertinente en logique ou en rhétorique ?
Faisons-en l’expérience. Je reprends la logique de comparaison comme argument légitime en adoptant les éléments de votre coup de gueule. Si je disais que j’avais l’impression (argumentus personalum) que depuis quelque temps il se trouvait beaucoup de philistins (meprisum ad hominicus) se prétendant écrivains et que merde (appel au caca argumentum), c’est franchement lassant tous ces ignares cherchant à s’élever (phalusum symposium trubale), est-ce que j’aurais parfaitement « raison » de le dire ? Une comparaison n’est-elle pas susceptible d’être sujette plus que bien d’autres éléments de logique aux aléas du contexte ? On change le cadre d’application de cette comparaison et vlan, tout fout le camp.
C’est un jeu, oui. Le débat, la discussion, l’échange, c’est un jeu, et c’est en pratiquant (et en se mesurant aux meilleurs, en ayant de bons professeurs) qu’on s’améliore. Doit-on préférer ne pas s’élever (faux dilemme ? appel à l’impuissance ?) et que les discussions sérieuses ne soient que le fait de gens sérieux, éduqués, tellement savants d’ailleurs et maîtres en sophismes qu’ils seraient toujours en accord sur tous les sujets ? N’est-ce pas plutôt une bonne chose que « les gens » s’intéressent à la logique, à « l’art » de la discussion ? Parce que si deux (ou trois) rationalistes (ou sceptiques) peuvent s’étriper en s’envoyant des « saletés de sophistes ! », ça me paraît plutôt utile de prendre connaissance de certains principes qu’on est susceptibles de maîtriser plus ou moins bien dans la vie pour ne pas se laisser prendre par des conneries ou pour discuter en société à notre niveau de simple plébéien. Si beaucoup (et j’en fais partie) ne maîtrisent pas suffisamment ces pièges, c’est aussi en se confrontant à d’autres, en pratiquant, en échangeant (même si ça se fait pas toujours agréablement), en rendant ça « populaire » qu’on peut espérer « élever » le débat dans la société. À mon sens, bien avant d’étudier la philo (en terminale), la logique devrait être enseignée le plus tôt possible, probablement en cours de math. La discussion, c’est une des bases pour une société saine et bien portante (discutez équilibré, discutez au moins cinq fois par jour, variez vos discussions et vos partenaires, et… j’ai oublié les autres bases). On dit que Platon (que c’est un type qui avait tellement la classe qu’il faisait écrire ses propres livres par d’autres) aimait à venir taper la discut' dans la rue (ou sur le forum, bien que le Net n’existait pas encore si je ne me trompe) avec des types au hasard. Aujourd’hui, on dirait que c’était un troll, parce qu’il revenait sans cesse à la charge en remettant en question ce que disaient ces types, même que les fameuses hordes de Sophistes en faisant autant (errer dans les rues) pour lui faire la peau pour la simple « raison » qu’il (Platon) remettait en cause tout ce qu’ils disaient. La discussion, c’est top. Tant mieux donc si c’est populaire (topisme).
On n’y manque pas, la rhétorique (ou la volonté d’avoir raison au lieu de « chercher ensemble la lumière de la vérité pure ») fait partie « du jeu ». Beaucoup de ces discussions qui « lassent » sont aussi pour beaucoup des débats d’opinion auxquels effectivement « l’appel à la terreur sophiste » peut apparaître. Est-ce plus terrible que de devoir discuter avec un créationniste ? Dans ce cas, tu essaies de répondre avec des arguments que tu estimes tout autant logiques. C’est un jeu où il n’y a jamais de perdants, que des vainqueurs. Parce qu’il n’y a pas de juges pour balancer les bons points ou pour départager. Un jeu contre l’idiotie, la méprise, la facilité… Tu (tutoiementum ad appelar connivencum) auras du mal à me faire croire que tu ne tombes pas aussi, un peu, ou complètement dans les dérives que tu décris.
Ta comparaison est pour moi, aussi, une forme de sophisme. La comparaison me paraît (apparencum) être un outil bien plus rhétorique que logique. Tout le problème dans un argument c’est de savoir s’il est légitime et si on échappe à un biais quel qui soit. Or je doute qu’on puisse à chaque fois s’accorder sur la légitimité d’une comparaison dans un contexte mal défini. Ce n’est pas aussi simple que de s’amuser à faire des tableaux d’équivalences ou d’écrire des formules mathématiques. Une comparaison est toujours limitée à ce qu’elle propose ; et ce qu’elle propose, c’est une corrélation forcée entre deux éléments qui n’ont pas forcément grand-chose à voir… Comparaison n’est pas raison (argumentum aphorisiaque). La seule démarche, déjà, de chercher la petite bête dans le raisonnement de l’autre plutôt que de douter de la pertinence de ses arguments, le plus souvent sous forme de questions (procédé tant apprécié par les trolls que par Platon dans ses discussions, justement parce qu’il questionne la logique de l’interlocuteur sans avoir l’air d’y toucher, en n’opposant pas une « vérité » contre une autre, mais se positionnant dans un entre-deux, parfois agaçant quand il est répété) pourrait être assimilée aussi à une forme de sophisme. Puisque le but n’est pas d’opposer une contradiction logique, mais bien de mettre l’interlocuteur face à ses propres contradictions… Cela peut être légitime, mais pas toujours (opinion). Comme quoi, un peu de rhétorique apaisante, vaselinesque, peut aussi aider à y voir plus clair (alors que la rhétorique d’opposition me semblerait beaucoup moins productive). Mettre le nez de son « contradicteur » dans son vilain caca sophiste, c’est un sophisme (aphorisium ad monicus). La démarche compte aussi. C’est bien toute la difficulté de débattre. On reste des animaux sociaux assujettis à des petits signes qu’on peut par ailleurs trouver stupides mais qui sont nécessaires à apaiser les choses. Se lasse-t-on par excès de « sophisms alert » ou par rhétorique mal placée (ou de tout autre chose – tentativum echapatum della faux dilemma). Dans un autre contexte (comparisum eucaliptus), traiter un type de troll, c’est agir soi-même comme un troll : ce n’est pas parce que ça peut être vrai que ça donne une légitimité (ou une raison, une pertinence) de le « démasquer », le troll se nourrissant à la fois de ses propres provocations mais aussi et surtout de celles des autres (c’est d’autant plus vrai qu’un vrai troll, dont le but n’est pas de s’énerver lui mais les autres, saura ne pas répondre à une tel argumentum trollinum, alors que celui se faisant traiter à tort de « troll » le prendra mal et réagira en conséquence – reste le cas des trolls qui s’ignorent et là, dans un contexte de discussions « d’opinions », on l’est tous un peu, probablement – trop). Tu aurais donc « un peu raison » (est-ce un faux dilemme de penser qu’il n’y a que deux alternatives ? « soit on a raison, soit on ne l’a pas »), le recours à l’argumentum sophisticien relève sans doute de la même logique (que l’argumentum trollinum).
Toutefois, si tu regrettes que d’autres utilisent l’argumentum sophisticien, t’es pas loin de rentrer (aussi) dans ce que tu dénonces. Dans des débats le plus souvent d’opinions, il est difficile de s’accorder sur une logique s’appliquant à des domaines sur lesquels on ne s’accorde déjà pas. Dans l’opinion, il y a la question du choix qui intervient et du cadre défini. L’autre jour tu m’as envoyé à la gueule un sophisme de « faux dilemme », eh ben dans l’opinion, il y a de ça en permanence (« soit j’ai raison et tu as tort, soit j’ai tort et tu as raison »). Ce sont des questions à choix multiples et chacun peut incorporer à sa logique des variables que l’autre réfutera, parfois sans le savoir, tout simplement parce que, là encore, dans un débat d’opinions, la question de définition du et des sujets, parfois du contexte, des enjeux, est importante. Définir un cadre, c’est de fait exclure et choisir. Parfois, c’est aussi aller au plus simple (à se restreignant à un cadre très ténu), par souci de clarté, et là on risque le simplisme, la généralisation, le stéréotype. Sans accord sur le cadre, on en finit souvent à un dialogue de sourds. Or il est probablement tout aussi compliqué de définir et de s’accorder sur ce cadre que sur le reste. Dans ton exemple, la comparaison peut tout aussi bien être « invalidée » par ton interlocuteur estimant que les deux questions (comparées) sont très fortement liées à des choix, des préférences, et ça, tu ne peux pas toujours l’argumenter. C’est il me semble le principe d’une opinion. Elle peut être sujette autant à une raison (biaisée, personnelle, ou non) qu’à des considérations purement personnelles. On le voit bien par exemple avec les questions de morale qui se déterminent ou s’apprécient non pas en fonction d’une « raison », mais beaucoup en fonction d’un contexte culturel. L’Europe qui a connu l’horreur de la Seconde Guerre mondiale aura un regard différent sur les questions raciales ou les risques de totalitarisme qu’ailleurs, en Asie notamment. Ce qui est acceptable pour certains ne le seraient pas pour d’autres et ce n’est pas la « raison » qui détermine ces choix, mais bien le contexte. Pas sûr dans ce cas qu’une simple comparaison (entre tauromachie et excision) puisse alors trouver une légitimité au regard de celui à qui elle est proposée.
J’en reviens au faux dilemme que tu m’avais opposé l’autre jour. Car oui en effet, ça peut être lassant de se voir opposer des argumentums sophisticiens si eux-mêmes sont tout frelatés de la bouche. Mais ce qui est valable pour d’autres (ces affreux philistins cherchant à s’élever plus haut que leur condition d’ignares) me semble l’être pour toi aussi.
On pourra toujours leur dire qu’ils sont libres, et que s’ils ne sont pas contents, ils peuvent toujours aller voir ailleurs… et ce sera le meilleur moyen encore d’alimenter leur haine.
Il y a un faux dilemme sans doute, mais il est exposé jusqu’au trois petits points. L’argument fallacieux exposé n’est pas le mien puisque je ne fais que le rapporter (dans une démarche certes rhétorique) qui amène la dernière partie de la phrase. C’est un peu comme dire que si on utilise des arguments fallacieux, on s’expose à la haine. Je peux en écrire un autre suivant la même logique : « François Hollande pourra toujours nous dire qu’il ne faut pas avoir peur parce que c’est ce que veulent les terroristes… et ce sera le meilleur moyen d’alimenter la peur ». Le faux dilemme, il est jusqu’au trois petits points, et ce n’est pas celui exposé par « l’argumentateur » mais celui du sujet (François Hollande) au discours indirect (« dire que »), car la dernière partie de la phrase exprime bien autre chose, en particulier ici que la logique toute personnelle du président entretient elle-même la peur.
Non seulement je doute fort qu’il soit pertinent ici de relever un sophisme rapporté dans le cadre d’une argumentation bien différente, mais il y a ensuite la manière peu élégante de le faire remarquer :
Arrêtez un peu avec vos faux dilemmes.
L’impératif est-il un mode utilisé dans une discussion logique ou est-ce qu’on le retrouve plus volontiers, en rhétorique, usant d’un sophisme de type « argument de petit garçon » pour pointer du doigt ce que vous croyez être un sophisme ? Un comble presque. Et sans doute lassant pour ceux reprochant à d’autres ce qu’ils sont incapables d’appliquer pour eux-mêmes (et j’en fais probablement aussi partie).