Exaptator a écrit : 27 avr. 2018, 22:20
Cogite Stibon a écrit : 18 avr. 2018, 18:27...] l'énergie n'est pas une chose en soi[ ]. C'est juste une grandeur calculée qui se conserve dans tout système dont les lois physiques sont invariantes dans le temps.
C'est un bon élément de définition que tu donnes là. Excellent. Il faut simplement rajouter, que cette grandeur permet de quantifier une modification d'un état physique à un autre.
.
A titre informatif, on peut rajouter que l'énergie, l'impulsion et le moment cinétique sont des quantités conservées (cf. le
théorème de Noether)
- la première, l'énergie, par translation temporelle
- "la" suivante (les 3 suivantes en fait puisqu'il s'agit d'une grandeur vectorielle), l'impulsion, par translation spatiale
- les 3 suivantes, le moment cinétique, par rotation spatiale.
Physiquement :
- la conservation de l'énergie exprime donc le fait que si on refait, un peu plus tard, une même expérience exactement dans les mêmes conditions, on retrouve exactement les mêmes résultats d'observation. C'est en fait, de façon un peu cachée, ce qu'exprime la notion même d'énergie et sa conservation.
- La conservation de l'impulsion exprime le fait que si on refait, un peu plus loin, une même expérience exactement dans les mêmes conditions on retrouve exactement les mêmes résultats d'observation. C'est, en fait, de façon un peu cachée, ce qu'exprime la notion même d'impulsion et sa conservation.
- Nul besoin, donc, de faire un dessin pour préciser ce qu'exprime la conservation du moment cinétique.
L'ensemble de ces 7 invariances sont rassemblées dans un groupe de symétries à 7 paramètres qu'on appelle le groupe d'Aristote. Une géométrie c'est un groupe disait souvent JM Souriau. Le groupe d'Aristote caractérise la géométrie de l'espace-temps d'Aristote (plus communément connu comme l'espace-temps de Newton).
En rajoutant au groupe d'Aristote les symétries supplémentaires induites par le principe de relativité du mouvement (donnant lieu à l'invariance des durées propres et à l'invariance des longueurs propres) on obtient un groupe à 10 paramètres : le groupe de Poincaré. Il s'agit du groupe de symétries objet de la Relativité Restreinte. Mathématiquement, l'espace temps de Minkowski c'est, en fait (à quelque chose près) l'algèbre de Lie duale du sous groupe des translations spatio-temporelles muni de l'action du groupe de Poincaré (action coadjointe du groupe de Poincaré sur un sous-espace de son espace de moments).
Physiquement, si on suppose que tous les phénomènes physiques
sans aucune exception respectent les symétries du groupe de Poincaré, il ne peut pas y avoir d'action instantanée à distance. Dans cette hypothèse, quand Alice et Bob observent les mêmes paires de photons EPR corrélés, ces objets physiques n'ont pas
un vecteur d'état, mais
deux,
un pour Alice et un pour Bob. Quand la fonction d'onde d'Alice est réduite par sa mesure, celle de Bob reste intacte. Exit donc (dans cette hypothèse de symétrie relativiste) l'interprétation réaliste de la fonction d'onde comme la représentation objective unique d'un objet physique indépendamment de toute considération d'observateur et d'acte d'observation.
Physiquement, la conservation de l'énergie, c'est à dire l'invariance des lois de la physique par translation temporelle, caractérise un sous-groupe du groupe de Poincaré : le groupe des translations temporelles. Le groupe de Poincaré entier exprime le fait que si on fait deux expériences identiques vis à vis de deux référentiels inertiels distincts, on obtient les mêmes résultats d'observation (notamment l'invariance des lois de la physique par les actions du groupe de Lorentz, sous-groupe à 6 paramètres du groupe de Poincaré).
Vis à vis des ces invariances, la grosse difficulté que rencontrent au début les personnes ne connaissant pas le sujet ne concerne d'ailleurs pas la conservation de l'énergie car elle nous est familière (rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme), c'est de ne pas confondre (1):
- invariance (abus de langage consacré par l'usage) des durées et distances quand deux observateurs inertiels mesurent distances et durées de deux phénomènes identiques chacun vis à vis de leur référentiel. En toute rigueur on devrait parler de covariance. Les effets, longueurs et durées restent les mêmes si on fait subir le même changement de référentiel inertiel à la fois à l'observateur ET au système observé. Il s'agit donc, seulement, de l'intersubjectivité des résultats de mesure de longueurs et de durées pour la classe des observateurs au repos dans un même référentiel inertiel.
- invariance (cette fois le qualificatif est correct) des durées et longueurs quand un seul et même observateur mesure les distance et durées propres à ces deux phénomènes identiques vis à vis de deux référentiels inertiels distincts. Il s'agirait en gros (si cette invariance était respectée) de "l'objectivité" des résultats de mesure de longueurs et de durées.
Cette invariance erronément supposée des durées et des longueurs (invariance présente dans l'espace-temps de Galilée, une géométrie engendrée par le groupe de Galilée) était à la base du résultat (erroné) attendu de l'expérience de Morley-Michelson (2). On retrouve d'ailleurs cette difficulté conceptuelle (à la puissance 100) en physique quantique (3).
(1) une confusion qui dure parfois très longtemps pour certaines personnes particulièrement attachées à une interprétation objective de la simultanéité mais sans le bagage scientifique leur permettant de placer cette hypothèse dans un cadre mathématique cohérent et apte à produire des prédictions conformes à l'observation. On en a eu un exemple époustouflant et d'une exceptionnelle durée sur le présent forum. cf. le fil la Relativité Restreinte et Les faits ont-ils toujours raison ?
(2) La prédiction erronée du résultat de l'expérience de Morley Michelson n'a pas de rapport direct, contrairement à ce qui s'écrit un peu partout, avec l'hypothèse d'un milieu de propagation des ondes appelé éther à cette époque (à la limite, on pourrait dire que cette prédiction est liée à l'hypothèse selon laquelle ce milieu possèderait une vitesse mesurable par rapport à l'observateur en utilisant un interféromètre de Morley-Michelson). Ce que le résultat de l'expérience de Morley-Michelson a confirmé, par contre, c'est le fait que la Relativité galiléenne (reposant sur l'hypothèse erronée d'objectivité des durées et longueurs) ne respectait pas les bonnes symétries (les bonnes invariances) vis à vis des lois de l'électromagnétisme (les équations de Maxwell).
(3) Si on en croit le point de vue à ce jour dominant (chez les scientifiques professionnels), la meilleure caractérisation possible des systèmes physiques du point de vue de notre physique d'aujourd'hui (leur vecteur d'état quantique) ne serait pas une "grandeur" caractérisant objectivement l'état physique du système observé mais une "grandeur" caractérisant l'
information maximale pouvant être détenue par
un observateur donné concernant son
interaction avec un système observé (cf.
Relational Quantum Mechanics).
The problem of the interpretation of quantum mechanics has not been fully disentangled yet. This unease, and the variety of interpretations of quantum mechanics that it has generated is sometimes denoted as the measurement problem... A concept is inappropriate to describe the physical world at the quantum level. I shall argue that this concept is the concept of observer-independent state of a system, or, equivalently, the concept of observer-independent values of physical quantities... In quantum mechanics different observers may give different accounts of the same sequence of events.
La discussion sur ce point n'est, à mon avis, pas terminée. Des physiciens (dits réalistes), peu nombreux mais parfaitement sérieux eux aussi, sont en désaccord marqué avec ce point de vue positiviste (un point de vue que j'ai très très longtemps jugé extrémiste. C'est une réaction inévitable quand on aborde le sujet mais peut-être est-elle incorrecte).
La discussion (assez technique) prend d'ailleurs toute sa place concernant la question de l'objectivité ou pas de la fuite d'information hors de portée de l'observateur, une fuite (la fameuse croissance de l'entropie) à la base de l'écoulement irréversible du temps (une notion que certains croient naïvement distincte de l'irréversibilité des phénomènes observés à notre échelle, un peu comme si le temps existait en lui-même indépendamment des phénomènes qui lui donnent naissance). Cet écoulement irréversible du temps manifeste, au moins à notre échelle d'observation, une asymétrie en apparent conflit avec la symétrie-T ayant cours à un niveau plus fondamental. La symétrie T est en effet de l'une des symétries discrètes du groupe de Poincaré complet précédemment évoqué. La symétrie T exprime le fait que l'on ramène un système dans son état initial si l'on inverse les vitesses d'évolution de toutes ses grandeurs.
Même quand la symétrie T est violée (cas de l'
interaction faible, cf. la
désintégration du Kaon neutre), la symétrie CPT est, quant à elle, respectée. Il y a donc bien, au niveau fondamental, unitarité des évolutions (l'opérateur d'évolution est censé, selon le point de vue scientifique majoritaire, être un groupe et non la réunion de deux 1/2 groupes (3)), d'où évolution isentropique, c'est à dire conservation de l'information, c'est à dire réversibilité. La violation de la symétrie T n'est en effet pas la flèche du temps (cf
Time-Reversal Violation Is Not the "Arrow of Time", Sean Caroll).
Ce conflit apparent, le paradoxe de l'irréversibilité, continue depuis presque un siècle 1/2 (ça a commencé avec
Boltzmann), à faire couler une encre de très bonne qualité (4).
(4) Tout le monde n'a pas fini d'écrire...
... on ne peut donc pas jeter l'ancre. Et du coup je suis un peu embêté pour la conférence (grand public) que je souhaiterais réaliser fin mai 2019 sur la question de l'écoulement irréversible du temps.
Je n'en suis pas encore sûr à 100% mais les modèles mathématiques d'évolution dans lesquels
- le groupe d'évolution temporelle se découpe en deux semi-groupes (l'un modélisant l'écoulement du présent vers le futur et l'autre, distinct, l'évolution du présent vers le passé),
- avec un opérateur d'évolution possédant des valeurs propres complexes,
- la partie imaginaire de ces valeurs propres permettant de rendre compte du caractère irréversible de l'écoulement du temps,
me semblent être des modèles effectifs.
Ces modèles mathématiques visant à conférer un caractère objectif à l'écoulement irréversible du temps marchent (au moins pour certains d'entre eux), mais ça ne signifie pas pour autant qu'ils sont exacts (cf
A Primer on Resonances in Quantum Mechanics,
Time Asymmetric Quantum Theory - I Modifying an Axiom of Quantum Physics,
On Evolution Laws Taking Pure States to Mixed States in Quantum Field Theory,
On the inconsistency of the Bohm-Gadella theory with quantum mechanics)
La difficulté que je rencontre pour me faire une opinion, c'est que deux modèles philosophiquement et mathématiquement distincts peuvent produire de bonnes prédictions tous les deux dans la mesure où ces deux modèles
s'écartent l'un de l'autre, au sujet la conservation ou pas de l'information, à un niveau où, précisément, cette information n'est plus accessible à l'observation.
Quand un modèle mathématique dit que l'information disparait objectivement (écoulement irréversible du temps objectif, indépendant de la grille de lecture de l'observateur), et l'autre dit que non (validité supposée de la symétrie CPT notamment), comment savoir quel modèle a raison ? En effet, les modélisations mathématiquement et physiquement cohérentes avec la croyance en la disparition objective de l'information le font à un niveau où, en pratique, cette information devient inaccessible à l'observation.
Comment distinguer ce qui n'existe pas ou plus de ce qui est ou devient inaccessible à l'observation avec nos moyens d'observation actuels ? Ça dépend, en fait, du degré de confiance que l'on a dans la validité, à un niveau où leurs effets ne sont plus observables, de principes physiques de symétrie très solidement étayés par l'observation à un niveau d'observation où ils ont acquis leur légitimité comparé au degré de préférence que l'on peut au contraire avoir dans la croyance en un écoulement irréversible du temps objectif, valide à toutes les échelles d'observation indépendamment de toute considération d'observateur et de sa myopie. Qui a raison ?
Ces moyens d'observation, plus exactement le phénomène physique irréversible d'enregistrement d'information sur lequel ils reposent, passe en effet précisément par
une fuite d'information dans l'environnement. Cette fuite d'information conduit au regroupement d'états quantiques distincts en classes d'équivalence appelées états macroscopiques. Le manque d'information qui en résulte pour l'observateur macroscopique s'appelle l'
entropie pertinente). Selon Balian, c'est sur cette perte d'information que repose l'émergence d'un
écoulement irréversible du temps à l'échelle macroscopique la seule échelle que nous sachions, en fait, "directement" observer.
L'échelle d'observation macroscopique est en effet à l'origine de la robustesse (donc de la reproductibilité et de l'indépendance vis à vis de l'observateur macroscopique) de l'information classique prélevée à cette échelle (vis à vis, notamment des agressions de l'environnement et du prélèvement de cette information). Intersubjectivité et reproductibilité des résultats d'observation (vis à vis des groupes de symétrie appropriés) fondent notre science d'aujourd'hui. On n'a donc guère de moyen d'échapper au
"point aveugle" évoqué par Michel Bitbol.