rencontres ufologiques à Chalons
Publié : 20 oct. 2005, 13:34
Un article intéressant de Libération :
Société
Les ovnis ne tournent plus rond
Le mouvement ufologue, réuni ce week-end, n'a plus le vent en poupe.
Par Gilles WALLON
samedi 15 octobre 2005
Et sur le web L'interview du sociologue des sciences Pierre Lagrange, qui analyse le déclin de l'ufologie. L'ouverture des rencontres de Châlons. Reportage dans la Marne, témoignages de passionnés, tables rondes...
Châlons-en-Champagne envoyé spécial
'ufologie va peut-être vivre ce week-end sa révolution. Et ce n'est pas une blague. Ce petit univers, secoué plusieurs décennies par de violents remous, opère ce week-end, à Châlons-en-Champagne, dans la Marne, un sévère état des lieux. L'occasion : les autoproclamées «Premières rencontres ufologiques européennes», qui verront les ovnis envahir le parc des expositions de la ville par des films, des débats, des rencontres. Une centaine de stands sont annoncés. Un millier de visiteurs sont attendus.
Enquêtes. Bruno Bousquet, pompier, y retrouvera peut-être la foi. Encore récemment, il y avait toujours une chose que les gens remarquaient chez Bruno Bousquet. C'était sa passion dévorante pour les ovnis. Depuis son adolescence, ce natif du Languedoc était animé par cet amour un peu irrationnel. Alors, il pratiquait en amateur l'ufologie, l'étude des objets volants non identifiés. Bruno scrutait le ciel, animait des groupes de recherche, rencontrait des témoins. Il enquêtait, établissait des trajectoires de vol, rédigeait des ouvrages. L'histoire a duré vingt-cinq ans. Mais depuis 2003, peu à peu, Bruno sent son intérêt s'évanouir. La fatigue le gagne. «Finalement, je me dis : tout ce temps dépensé, pour quoi? Pour quel résultat? J'ai parcouru des milliers de kilomètres, j'ai consacré des mois à certaines enquêtes, pour en conclure qu'un type avait simplement vu un avion ou un hélicoptère. Je connais à fond toutes les théories, je n'apprends plus rien depuis des années. En plus, le mouvement ufologue est contaminé par les problèmes sectaires. Quelqu'un comme Raël a décrédibilisé tous les autres. C'est tellement difficile... Je commence à laisser tomber.»
En dépit du folklore de la manifestation de Châlons-en-Champagne, ces rencontres témoignent d'abord de velléités d'ouverture assez nouvelles dans ce mouvement fatigué. Bien obligé : en ce moment, l'ufologie se cherche un nouveau souffle. «Les plus optimistes d'entre nous pensent que c'est un domaine en convalescence. Moi, je dis que nous sommes carrément en train de couler», se désole Jean-Luc Rivera, éditeur spécialisé. «Les bouquins se vendent mal, les DVD, pareil. On tire à 2 000 exemplaires maximum», renchérit Gérard Lebat, à l'origine du week-end.
La soucoupe volante a le blues. Elle n'attire plus les foules, ne passionne pas les jeunes, et ne plaît pas aux femmes. En France, ils ne sont guère qu'une grosse centaine à s'intéresser de façon active à l'ufologie, et partagent un profil commun : masculin, rural, au moins quadragénaire. Ceux-là sont de vrais passionnés, des adeptes de l'enquête de terrain, du recoupement d'informations. Beaucoup d'entre eux font partie des sceptiques, cette frange au sein du mouvement «qui ne croit pas aux petits hommes verts, mais seulement à la véracité de certains témoignages sur des événements impossibles à expliquer rationnellement», poursuit Jean-Luc Rivera.
Cent ufologues, ça n'est pas beaucoup. C'est dix fois moins qu'au milieu des années 60. A cette époque dorée, la presse locale bruissait des témoignages de «phénomènes paranormaux», au cours desquels plusieurs «objets sphériques», parfois similaires à des «melons volants», bloquaient le moteur des voitures, paralysaient leurs occupants, puis disparaissaient «à deux fois la vitesse du son». Ces années-là, dans l'excitation, des clubs se mettent en place, des fanzines sont lancés. Une partie de la campagne française guette l'ovni, mi-inquiète, mi-rêveuse. Plus tard, une cellule spécifique d'étude de ces phénomènes est même créée au sein du Cnes, l'agence spatiale française. Mais si la passion s'est amplifiée, elle ne va durer qu'un temps.
Car être ufologue, c'est être patient. Seulement voilà. Comme l'explique Jean-Luc Rivera, «cela fait plus de trente ans qu'il n'y a pas eu de vagues d'observations d'ovnis en France. Alors, forcément, les gens se lassent». Même les plus accros, de la trempe de Bruno Bousquet.
«Non classée». Difficile de garder la passion dès lors que des milliers d'heures d'enquêtes ne peuvent se conclure, dans le meilleur des cas, qu'avec une mention «non classée». Second problème : «N'importe qui peut se déclarer ufologue», tempête l'écrivain Gildas Bourdais. «Résultat, la télévision se focalise sur les plus guignols, des fanfarons, des imposteurs qui prétendent avoir été enlevés par des Martiens ou je ne sais quoi. Pourtant, il y a quand même des gens sérieux, rigoureux, qui continuent à réfléchir sur le sujet. Mais eux, on ne les voit jamais.» Certains en ont été écoeurés au point de cesser toute activité ufologique. Les autres ont regardé, dépités, leur crédibilité détruite auprès du grand public.
De même, le réseau Internet, s'il a en partie redonné vitalité au mouvement ufologue, a vite présenté ses effets pervers. «Le Web a mis fin au recoupement d'informations, au travail de fond. Des rumeurs grossières sont reprises, envoyées partout dans le monde, sans aucune vérification», se plaint un ufologue amateur.
Querelles. L'ennemi vient aussi de l'intérieur. Malgré la déclaration de fraternité de ce week-end, l'ufologie française semble souvent prête à se saborder seule. « Chacun reste planté sur ses convictions, ses théories, il n'y a jamais de débat», observe Jean-Luc Rivera. «Lors d'une rencontre ufologique, un type de quarante ans m'a dit de la fermer parce que je m'intéressais aux ovnis depuis peu», témoigne Stéphane, 22 ans, à la tête d'un des seuls groupes de jeunes ufologues français. «Et c'est un comportement fréquent.» Le petit monde frémit souvent des querelles d'ennemis intimes. Les attaques personnelles sont légion. Nombreux se plaignent de l'incapacité chronique du groupe à construire un savoir commun. «Ils ont construit leurs théories comme des édifices très fragiles, alors ils craignent de les voir s'écrouler s'ils acceptent la moindre concession», pense le sociologue des sciences Pierre Lagrange. L'avenir du mouvement ufologue paraît donc bien précaire. Pour l'heure, ses membres se réfugient dans la nostalgie. Bruno Bousquet, toujours : « J'ai revu un vieil ami il n'y a pas longtemps. Il avait complètement laissé tomber l'ufologie. Pourtant, quand on s'est vus, ça a été notre seul sujet de conversation. On a parlé des ovnis pendant dix jours. »
http://www.liberation.fr/page.php?Article=331236
© Libération
Société
Les ovnis ne tournent plus rond
Le mouvement ufologue, réuni ce week-end, n'a plus le vent en poupe.
Par Gilles WALLON
samedi 15 octobre 2005
Et sur le web L'interview du sociologue des sciences Pierre Lagrange, qui analyse le déclin de l'ufologie. L'ouverture des rencontres de Châlons. Reportage dans la Marne, témoignages de passionnés, tables rondes...
Châlons-en-Champagne envoyé spécial
'ufologie va peut-être vivre ce week-end sa révolution. Et ce n'est pas une blague. Ce petit univers, secoué plusieurs décennies par de violents remous, opère ce week-end, à Châlons-en-Champagne, dans la Marne, un sévère état des lieux. L'occasion : les autoproclamées «Premières rencontres ufologiques européennes», qui verront les ovnis envahir le parc des expositions de la ville par des films, des débats, des rencontres. Une centaine de stands sont annoncés. Un millier de visiteurs sont attendus.
Enquêtes. Bruno Bousquet, pompier, y retrouvera peut-être la foi. Encore récemment, il y avait toujours une chose que les gens remarquaient chez Bruno Bousquet. C'était sa passion dévorante pour les ovnis. Depuis son adolescence, ce natif du Languedoc était animé par cet amour un peu irrationnel. Alors, il pratiquait en amateur l'ufologie, l'étude des objets volants non identifiés. Bruno scrutait le ciel, animait des groupes de recherche, rencontrait des témoins. Il enquêtait, établissait des trajectoires de vol, rédigeait des ouvrages. L'histoire a duré vingt-cinq ans. Mais depuis 2003, peu à peu, Bruno sent son intérêt s'évanouir. La fatigue le gagne. «Finalement, je me dis : tout ce temps dépensé, pour quoi? Pour quel résultat? J'ai parcouru des milliers de kilomètres, j'ai consacré des mois à certaines enquêtes, pour en conclure qu'un type avait simplement vu un avion ou un hélicoptère. Je connais à fond toutes les théories, je n'apprends plus rien depuis des années. En plus, le mouvement ufologue est contaminé par les problèmes sectaires. Quelqu'un comme Raël a décrédibilisé tous les autres. C'est tellement difficile... Je commence à laisser tomber.»
En dépit du folklore de la manifestation de Châlons-en-Champagne, ces rencontres témoignent d'abord de velléités d'ouverture assez nouvelles dans ce mouvement fatigué. Bien obligé : en ce moment, l'ufologie se cherche un nouveau souffle. «Les plus optimistes d'entre nous pensent que c'est un domaine en convalescence. Moi, je dis que nous sommes carrément en train de couler», se désole Jean-Luc Rivera, éditeur spécialisé. «Les bouquins se vendent mal, les DVD, pareil. On tire à 2 000 exemplaires maximum», renchérit Gérard Lebat, à l'origine du week-end.
La soucoupe volante a le blues. Elle n'attire plus les foules, ne passionne pas les jeunes, et ne plaît pas aux femmes. En France, ils ne sont guère qu'une grosse centaine à s'intéresser de façon active à l'ufologie, et partagent un profil commun : masculin, rural, au moins quadragénaire. Ceux-là sont de vrais passionnés, des adeptes de l'enquête de terrain, du recoupement d'informations. Beaucoup d'entre eux font partie des sceptiques, cette frange au sein du mouvement «qui ne croit pas aux petits hommes verts, mais seulement à la véracité de certains témoignages sur des événements impossibles à expliquer rationnellement», poursuit Jean-Luc Rivera.
Cent ufologues, ça n'est pas beaucoup. C'est dix fois moins qu'au milieu des années 60. A cette époque dorée, la presse locale bruissait des témoignages de «phénomènes paranormaux», au cours desquels plusieurs «objets sphériques», parfois similaires à des «melons volants», bloquaient le moteur des voitures, paralysaient leurs occupants, puis disparaissaient «à deux fois la vitesse du son». Ces années-là, dans l'excitation, des clubs se mettent en place, des fanzines sont lancés. Une partie de la campagne française guette l'ovni, mi-inquiète, mi-rêveuse. Plus tard, une cellule spécifique d'étude de ces phénomènes est même créée au sein du Cnes, l'agence spatiale française. Mais si la passion s'est amplifiée, elle ne va durer qu'un temps.
Car être ufologue, c'est être patient. Seulement voilà. Comme l'explique Jean-Luc Rivera, «cela fait plus de trente ans qu'il n'y a pas eu de vagues d'observations d'ovnis en France. Alors, forcément, les gens se lassent». Même les plus accros, de la trempe de Bruno Bousquet.
«Non classée». Difficile de garder la passion dès lors que des milliers d'heures d'enquêtes ne peuvent se conclure, dans le meilleur des cas, qu'avec une mention «non classée». Second problème : «N'importe qui peut se déclarer ufologue», tempête l'écrivain Gildas Bourdais. «Résultat, la télévision se focalise sur les plus guignols, des fanfarons, des imposteurs qui prétendent avoir été enlevés par des Martiens ou je ne sais quoi. Pourtant, il y a quand même des gens sérieux, rigoureux, qui continuent à réfléchir sur le sujet. Mais eux, on ne les voit jamais.» Certains en ont été écoeurés au point de cesser toute activité ufologique. Les autres ont regardé, dépités, leur crédibilité détruite auprès du grand public.
De même, le réseau Internet, s'il a en partie redonné vitalité au mouvement ufologue, a vite présenté ses effets pervers. «Le Web a mis fin au recoupement d'informations, au travail de fond. Des rumeurs grossières sont reprises, envoyées partout dans le monde, sans aucune vérification», se plaint un ufologue amateur.
Querelles. L'ennemi vient aussi de l'intérieur. Malgré la déclaration de fraternité de ce week-end, l'ufologie française semble souvent prête à se saborder seule. « Chacun reste planté sur ses convictions, ses théories, il n'y a jamais de débat», observe Jean-Luc Rivera. «Lors d'une rencontre ufologique, un type de quarante ans m'a dit de la fermer parce que je m'intéressais aux ovnis depuis peu», témoigne Stéphane, 22 ans, à la tête d'un des seuls groupes de jeunes ufologues français. «Et c'est un comportement fréquent.» Le petit monde frémit souvent des querelles d'ennemis intimes. Les attaques personnelles sont légion. Nombreux se plaignent de l'incapacité chronique du groupe à construire un savoir commun. «Ils ont construit leurs théories comme des édifices très fragiles, alors ils craignent de les voir s'écrouler s'ils acceptent la moindre concession», pense le sociologue des sciences Pierre Lagrange. L'avenir du mouvement ufologue paraît donc bien précaire. Pour l'heure, ses membres se réfugient dans la nostalgie. Bruno Bousquet, toujours : « J'ai revu un vieil ami il n'y a pas longtemps. Il avait complètement laissé tomber l'ufologie. Pourtant, quand on s'est vus, ça a été notre seul sujet de conversation. On a parlé des ovnis pendant dix jours. »
http://www.liberation.fr/page.php?Article=331236
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