L'argument de la précession des équinoxes
Publié : 24 oct. 2005, 11:30
Je suis en train de réaliser un dossier sur l'histoire de l'astrologie. Comme sur certains points mes recherches m'amènent à réfuter des arguments sceptiques classiques, je viens poster ici certains de mes résultats afin de soumettre ce travail à la critique - et savoir si tout ceci vous paraît raisonnable.
C'est l'argument de la précession des équinoxes qui a le plus attiré mon attention et qui forme le sujet de ce texte, mais je commence par une présentation plus générale de l'histoire ancienne de la controverse astrologique pour poser le contexte.
Le débat entre sceptiques et croyants face à l'astrologie remonte à l'époque de la naissance de l'astrologie hellénistique. Celle-ci s'est formée entre le IIIème et le premier siècle B.C.E. en combinant la philosophie et la science grecque avec le calendrier égyptien et l'astrologie babylonienne. C'est l'ancêtre directe de notre astrologie.
Ces débats, dans l'antiquité, sont déjà violents et vains. A l'époque la question astrologique revêt une importance bien plus grande qu'aujourd'hui, elle est liée à des enjeux philosophiques et religieux. Savants et philosophes y prennent part et s'invectivent mutuellement, l'astrologie ayant des partisans et des détracteurs parmi les intellectuels les plus éminents de l'antiquité (plusieurs philosophes importants seront aussi des astrologues, notamment parmi les stoïciens et les néo-platoniciens).
Ainsi on peut lire dans l'introduction de la Tétrabible de Ptolémée ce genre de débordements : " Que ceux qui blâment cet art qu'ils jugent impossible sachent que les raisons qu'ils se donnent sont vaines et frivoles. Combien s'abusent ces ignorants lorsqu'il arrive que la vérité soit prévue et qu'ils estiment que c'est plutôt là une rencontre fortuite que le résultat de l'art. Mais alors, il est inutile d'attribuer à la science les fautes qui naissent de l'imbécillité de ses professeurs. " (Tetrabiblos, Livre I, chapitre 1).
Ptolémée est un proto-scientifique qui écrit autour de 150 C.E. Il représente au sein de la tradition astrologique un courant plutôt rationnel et mesuré : d'une part sa vision du monde est basé sur la philosophie d'Aristote, alors que la majorité des astrologues adhèrent à des philosophies plus mystiques ; d'autre part il précise que si l'astronomie est une science exacte, l'astrologie ne l'est pas et doit être maniée avec précaution. Et pourtant même lui ne peut s'empêcher de tomber dans l'insulte dès l'introduction de sa Tétrabible, quand il parle des détracteurs de l'astrologie, ces " ignorants " qui s'inventent des raisons " vaines et frivoles " pour ne pas croire.
Les plus anciennes critiques de l'astrologie sont issues de l'école philosophique sceptique. Les premiers arguments, purement techniques (comme le problème des jumeaux) remontent à Carnéade (IIème siècle B.C.E.). Ils souvent seront repris et développés, notamment cinq siècles plus tard par Sextus Empiricus dans son traité Contre les mathématiciens (IIIème siècle C.E.). Celui-ci ajoute quelques arguments de son cru d'aspect plus théorique que technique, notamment une critique directe des fondements philosophiques de l'astrologie : il s'en prend à la notion de " sympathie ", philosophiquement équivalente aux discours actuels sur le microcosme et le macrocosme.
L'argument de la précession des équinoxes fut utilisé pour la première fois au IIIème siècle C.E. par Origène. Il sera repris au moyen-âge par d'autres critiques puis s'épanouira au XXème siècle. Aujourd'hui il fait couramment partie de l'arsenal anti-astrologique de base, c'est même probablement l'argument le plus souvent utilisé.
Le phénomène de précession des équinoxes, dû à une lente rotation de la terre autour de son axe suivant un cycle de 26000 ans, se traduit pour l'astrologue par un décalage progressif qui s'opère entre les signes du zodiaque et les constellations qui leur ont donné leur nom. A l'époque où l'astrologie grecque s'est formée, signes et constellations coïncidaient. Aujourd'hui, on observe un décalage de 27°. Par exemple quand, sur l'horoscope calculé par l'astrologue, le soleil est dans le signe du lion, en réalité dans le ciel " réel " il est dans la constellation du cancer. Il existe donc un zodiaque réel (appelé zodiaque sidéral), celui du ciel, dont la position varie au fil du temps ; et un zodiaque abstrait (celui de l'horoscope) nommé zodiaque tropique, dont le point de départ (nommé point vernal) est fixe.
Côté sceptiques, il existe deux façons d'utiliser ce phénomène comme argument :
1- La plus basique peut se formuler ainsi : " l'astrologie c'est des foutaises, car les signes ne correspondent pas aux constellations, à cause de l'ignorance des anciens astrologues de la précession des équinoxes ".
2- La seconde approche est plus subtile. On peut la trouver dans un article souvent cité de François Biraud & Philippe Zarka, Sur l'Astrologie, réflexions de deux astronomes. Pour eux, le décalage entre signes et constellations, en soi, n'est pas un très bon argument, car les astrologues utilisent consciemment le zodiaque comme un outil totalement abstrait. Cependant nos deux astronomes pensent que la précession des équinoxes a pour effet de rendre incohérentes les interprétations astrologiques. Sous cette seconde forme, l'argument consiste à dire : d'accord, la précession des équinoxes n'est peut-être pas un problème, mais le fait que l'interprétation soit basée sur la symbolique des constellations alors que les constellations ne coïncident plus avec les signes, est un problème.
Mon hypothèse est que les deux approches sont mauvaises, et que l'argument de la précession des équinoxes est nul quel que soit la façon dont on le présente. Mes raisons sont les suivantes :
- Les astrologues antiques connaissaient la précession des équinoxes, et ont fixé le point vernal en connaissance de cause. En outre je soutiens que ce choix était le plus rationnel.
- A l'origine la symbolique des signes du zodiaque est essentiellement liée aux saisons, bien plus qu'aux constellations ou à la mythologie grecque associée à ces constellations.
Je développe.
La précession des équinoxes a été découverte vers 150 B.C.E. par l'astronome Hipparque. Celui-ci, outre son activité d'astronome, semble avoir été dans la lignée d'une forme d'astro-météorologie que l'on retrouve aussi chez son prédécesseur Eudoxe (autour de 375 B.C.E.) : il prédisait le temps en fonction des positions des planètes. Mais il n'a pas été pas un astrologue au sens où le seront les astronomes grecs des siècles suivants, qui créeront toute la tradition astrologique occidentale sur des bases essentiellement babyloniennes. Hipparque a visiblement été en contact avec les connaissances mésopotamiennes, il a introduit dans l'astronomie grecque beaucoup de rapports d'observations babyloniens, mais rien ne nous permet de penser qu'il fut astrologue. Sa découverte ne sera donc pas intégrée immédiatement à l'astrologie - ce qui n'était d'ailleurs pas nécessaire, puisque à cette époque signes et constellations coïncidaient.
Il faut attendre Ptolémée (150 C.E.), pour que la précession soit prise en compte. Ptolémée reprend le système d'Hipparque et l'adapte à l'astrologie en fixant le point vernal de façon à ce que les signes du zodiaque correspondent toujours aux saisons qui leur sont associées.
Il est très clair à ce sujet. Dans son Tétrabiblos, livre I ch. 8, il décrit longuement les pouvoirs de chaque étoile de chaque constellation, puis entame le chapitre suivant en expliquant que outre ces pouvoirs, il faut aussi tenir compte des qualités propres à chaque saison de l'année. Après un bref descriptif des qualités des saisons, il explique comment fixer le point vernal : " Bien qu'il n'y ait aucun commencement dans le zodiaque, celui-ci étant un cercle, il est établi que son premier signe est le bélier, à partir du point où se fait l'équinoxe de printemps. Ceci est un commencement analogue à celui d'une créature vivant l'humide nature du printemps en suivant l'ordre des saisons ". Le reste du chapitre 9 et dans le chapitre 10, sont constitués de développements sur l'importance du lien entre les saisons et le zodiaque. Ce lien revient à de nombreuses reprises, par exemple dans le livre II, le chapitre 10 consacré à la météorologie zodiacale est entièrement basé sur les saisons : " Le signe du lion amène généralement des chaleurs suffocantes. En particulier, les premières parties sont étouffantes et pestilentes ".
Tout ceci est d'ailleurs parfaitement logique si on considère les origines astro-météorologiques d'une partie de la tradition astrologique : chez de nombreux peuples anciens, l'observation des constellations servait avant tout à prévoir les saisons pour fixer les dates des travaux agricoles. On trouve des exemples clairs de cette tradition dès les plus anciens textes grecs. C'est le cas par exemple dans Les travaux et les jours, un poème écrit par Hésiode au VIIIème siècle B.C.E.
Ce texte décrit la création de l'humanité et fixe un calendrier des travaux agricoles en donnant comme principaux points de repères temporels le lever héliaque et le coucher des Pléïades. Le lever de Sirius, d'Arcturus et de la constellation d'Orion sont aussi mentionnés à plusieurs reprises, par exemple : " quand les Pleïades, les Hyades et le puissant Orion se sont couchés, commence, souviens-t'en, la saison des labours ". L'association de la sphère des étoiles fixes (et donc des constellations) avec les saisons est très ancienne, en Grèce elle est antérieure de plusieurs siècles à la formation du zodiaque définitif. On la retrouve aussi dans l'astrologie babylonienne, qui comportait dès le second millénaire B.C.E. une composante astro-météorologique. On peut raisonnablement supposer que quand notre zodiaque définitif apparaît (vers le IVème siècle B.C.E. chez les babyloniens), les signes héritent de ce symbolisme saisonnier, peut-être même sont-ils choisis sur la base de ce symbolisme. Le lien en tout cas est suffisamment fort pour pousser Ptolémée à décider que l'astrologie doit utiliser un zodiaque tropique afin que les signes coïncident avec les saisons plutôt qu'avec la position des constellations.
Autrement dit, quand les critiques actuels de l'astrologie utilisent la précession des équinoxes comme un argument anti-astrologique, ils se trompent complètement. Il ne sert à rien de faire remarquer aux astrologues que leur zodiaque est décalé par rapport aux constellations, ils le savent très bien, il leur suffit de regarder le ciel pour s'en rendre compte. Ils le savent depuis 2000 ans, et ça ne les dérange pas, car c'est un astrologue qui a décidé que le zodiaque n'avait pas à correspondre avec le ciel réel. Le zodiaque fut vite considéré comme purement abstrait, une division arbitraire du ciel en 12 zones égales correspondant à 12 périodes de l'année, sans lien avec les constellations dont les signes tirent leur nom. Si cela n'avait pas été fait, c'est toute la symbolique saisonnière du zodiaque qui aurait dû être abandonnée, or le lien entre signes et saisons (d'une forte valeur symbolique) était antérieur et bien plus important aux yeux des astrologues anciens que le lien entre signes et constellations, dont la valeur est plus historique que symbolique. De ce point de vue il faut admettre que l'utilisation d'un zodiaque tropique, loin d'être une erreur due à l'ignorance des astrologues anciens, était au contraire un choix parfaitement rationnel, fait en connaissance de cause.
Par contre dans l'astrologie contemporaine, divisée en de nombreux courants concurrents les uns des autres, le lien traditionnel entre signes et saisons ne s'est pas toujours conservé. Ainsi le Dictionnaire Astrologique de Henri-J. Gouchon, considéré par certains comme un classique, semble n'accorder aucune importance aux saisons dans la symbolique des signes.
Pour d'autres astrologues, le symbolisme saisonnier des signes est toujours primordial, alors que les interprétations basées sur la mythologie grecque liée aux signes sont rares. André Barbault, dans son Traité pratique d'astrologie (un ouvrage très utilisé), commence le descriptif de chacun des 12 signes par des associations d'idées à partir du symbolisme saisonnier. Par exemple le Lion (p.92) : " Symbolise dans la nature la culmination végétale, la plénitude du fruit, toute magnificence ou maturité sous le plus éclatant soleil de l'année. En analogie avec cette apogée des pleins midis de l'été, il est le signe de la pleine affirmation de l'individualité ".
Il faut cependant noter que cette typologie de caractère fondée sur le symbolisme saisonnier du signe solaire, quoique d'apparence très traditionnelle, n'a en fait rien en commun avec la pratique astrologique antique. Pour Ptolémée par exemple, le caractère ne dépend pas du signe solaire, mais avant tout des signes dans lesquels sont Mercure et de la Lune (Tetrabiblos, livre III ch. 18 ).
D'autres courants astrologiques contemporains ont, bizarrement, considéré comme valable l'argument de la précession des équinoxe, et modifié leur pratique de l'astrologie en conséquence – en utilisant un zodiaque sidéral à la place du zodiaque tropique. Il s'agit de l'astrologie sidéraliste. Mais ce choix paraît illogique, au vu de l'histoire de l'astrologie.
Principales sources :
André Barbault, Traité pratique d'astrologie (le Seuil, 1961)
François Biraud & Philippe Zarka, Sur l'Astrologie, réflexions de deux astronomes (1998)
Gordon Fisher, Marriage and Divorce of Astronomy and Astrology, A History of Astral Prediction from Antiquity to Newton
Ken Gillman, Twelve Gods and seven planets, 1996
Henri-J. Gouchon, Dictionnaire Astrologique (Dervy, 1992)
Patrice Guinard, Astrologie, le manifeste (thèse de philosophie, 1993)
Robert Hand, On the invariance of the Tropical Zodiac.
Hésiode, Les travaux et les jours (Arlea, 1995)
Marilynn Lawrence, Hellenistic astrology, 2005
Daryn Rosario Lehoux, Parapegmata, or Astrology, Weather, and Calendars in the Ancient World (thèse de philosophie d'histoire des sciences et des techniques, 2001)
Ptolémée, Tetrabiblos (éditions Vernal/Philippe Lebaud, 1986)
William D. Tallman, Ptolemy : A Re-examination of His Influence on Modern Astrology (2000)
Gary D. Thompson, Studies of Occidental Constellations and Star Names to the Classical Period: An Annotated Bibliography
C'est l'argument de la précession des équinoxes qui a le plus attiré mon attention et qui forme le sujet de ce texte, mais je commence par une présentation plus générale de l'histoire ancienne de la controverse astrologique pour poser le contexte.
Le débat entre sceptiques et croyants face à l'astrologie remonte à l'époque de la naissance de l'astrologie hellénistique. Celle-ci s'est formée entre le IIIème et le premier siècle B.C.E. en combinant la philosophie et la science grecque avec le calendrier égyptien et l'astrologie babylonienne. C'est l'ancêtre directe de notre astrologie.
Ces débats, dans l'antiquité, sont déjà violents et vains. A l'époque la question astrologique revêt une importance bien plus grande qu'aujourd'hui, elle est liée à des enjeux philosophiques et religieux. Savants et philosophes y prennent part et s'invectivent mutuellement, l'astrologie ayant des partisans et des détracteurs parmi les intellectuels les plus éminents de l'antiquité (plusieurs philosophes importants seront aussi des astrologues, notamment parmi les stoïciens et les néo-platoniciens).
Ainsi on peut lire dans l'introduction de la Tétrabible de Ptolémée ce genre de débordements : " Que ceux qui blâment cet art qu'ils jugent impossible sachent que les raisons qu'ils se donnent sont vaines et frivoles. Combien s'abusent ces ignorants lorsqu'il arrive que la vérité soit prévue et qu'ils estiment que c'est plutôt là une rencontre fortuite que le résultat de l'art. Mais alors, il est inutile d'attribuer à la science les fautes qui naissent de l'imbécillité de ses professeurs. " (Tetrabiblos, Livre I, chapitre 1).
Ptolémée est un proto-scientifique qui écrit autour de 150 C.E. Il représente au sein de la tradition astrologique un courant plutôt rationnel et mesuré : d'une part sa vision du monde est basé sur la philosophie d'Aristote, alors que la majorité des astrologues adhèrent à des philosophies plus mystiques ; d'autre part il précise que si l'astronomie est une science exacte, l'astrologie ne l'est pas et doit être maniée avec précaution. Et pourtant même lui ne peut s'empêcher de tomber dans l'insulte dès l'introduction de sa Tétrabible, quand il parle des détracteurs de l'astrologie, ces " ignorants " qui s'inventent des raisons " vaines et frivoles " pour ne pas croire.
Les plus anciennes critiques de l'astrologie sont issues de l'école philosophique sceptique. Les premiers arguments, purement techniques (comme le problème des jumeaux) remontent à Carnéade (IIème siècle B.C.E.). Ils souvent seront repris et développés, notamment cinq siècles plus tard par Sextus Empiricus dans son traité Contre les mathématiciens (IIIème siècle C.E.). Celui-ci ajoute quelques arguments de son cru d'aspect plus théorique que technique, notamment une critique directe des fondements philosophiques de l'astrologie : il s'en prend à la notion de " sympathie ", philosophiquement équivalente aux discours actuels sur le microcosme et le macrocosme.
L'argument de la précession des équinoxes fut utilisé pour la première fois au IIIème siècle C.E. par Origène. Il sera repris au moyen-âge par d'autres critiques puis s'épanouira au XXème siècle. Aujourd'hui il fait couramment partie de l'arsenal anti-astrologique de base, c'est même probablement l'argument le plus souvent utilisé.
Le phénomène de précession des équinoxes, dû à une lente rotation de la terre autour de son axe suivant un cycle de 26000 ans, se traduit pour l'astrologue par un décalage progressif qui s'opère entre les signes du zodiaque et les constellations qui leur ont donné leur nom. A l'époque où l'astrologie grecque s'est formée, signes et constellations coïncidaient. Aujourd'hui, on observe un décalage de 27°. Par exemple quand, sur l'horoscope calculé par l'astrologue, le soleil est dans le signe du lion, en réalité dans le ciel " réel " il est dans la constellation du cancer. Il existe donc un zodiaque réel (appelé zodiaque sidéral), celui du ciel, dont la position varie au fil du temps ; et un zodiaque abstrait (celui de l'horoscope) nommé zodiaque tropique, dont le point de départ (nommé point vernal) est fixe.
Côté sceptiques, il existe deux façons d'utiliser ce phénomène comme argument :
1- La plus basique peut se formuler ainsi : " l'astrologie c'est des foutaises, car les signes ne correspondent pas aux constellations, à cause de l'ignorance des anciens astrologues de la précession des équinoxes ".
2- La seconde approche est plus subtile. On peut la trouver dans un article souvent cité de François Biraud & Philippe Zarka, Sur l'Astrologie, réflexions de deux astronomes. Pour eux, le décalage entre signes et constellations, en soi, n'est pas un très bon argument, car les astrologues utilisent consciemment le zodiaque comme un outil totalement abstrait. Cependant nos deux astronomes pensent que la précession des équinoxes a pour effet de rendre incohérentes les interprétations astrologiques. Sous cette seconde forme, l'argument consiste à dire : d'accord, la précession des équinoxes n'est peut-être pas un problème, mais le fait que l'interprétation soit basée sur la symbolique des constellations alors que les constellations ne coïncident plus avec les signes, est un problème.
Mon hypothèse est que les deux approches sont mauvaises, et que l'argument de la précession des équinoxes est nul quel que soit la façon dont on le présente. Mes raisons sont les suivantes :
- Les astrologues antiques connaissaient la précession des équinoxes, et ont fixé le point vernal en connaissance de cause. En outre je soutiens que ce choix était le plus rationnel.
- A l'origine la symbolique des signes du zodiaque est essentiellement liée aux saisons, bien plus qu'aux constellations ou à la mythologie grecque associée à ces constellations.
Je développe.
La précession des équinoxes a été découverte vers 150 B.C.E. par l'astronome Hipparque. Celui-ci, outre son activité d'astronome, semble avoir été dans la lignée d'une forme d'astro-météorologie que l'on retrouve aussi chez son prédécesseur Eudoxe (autour de 375 B.C.E.) : il prédisait le temps en fonction des positions des planètes. Mais il n'a pas été pas un astrologue au sens où le seront les astronomes grecs des siècles suivants, qui créeront toute la tradition astrologique occidentale sur des bases essentiellement babyloniennes. Hipparque a visiblement été en contact avec les connaissances mésopotamiennes, il a introduit dans l'astronomie grecque beaucoup de rapports d'observations babyloniens, mais rien ne nous permet de penser qu'il fut astrologue. Sa découverte ne sera donc pas intégrée immédiatement à l'astrologie - ce qui n'était d'ailleurs pas nécessaire, puisque à cette époque signes et constellations coïncidaient.
Il faut attendre Ptolémée (150 C.E.), pour que la précession soit prise en compte. Ptolémée reprend le système d'Hipparque et l'adapte à l'astrologie en fixant le point vernal de façon à ce que les signes du zodiaque correspondent toujours aux saisons qui leur sont associées.
Il est très clair à ce sujet. Dans son Tétrabiblos, livre I ch. 8, il décrit longuement les pouvoirs de chaque étoile de chaque constellation, puis entame le chapitre suivant en expliquant que outre ces pouvoirs, il faut aussi tenir compte des qualités propres à chaque saison de l'année. Après un bref descriptif des qualités des saisons, il explique comment fixer le point vernal : " Bien qu'il n'y ait aucun commencement dans le zodiaque, celui-ci étant un cercle, il est établi que son premier signe est le bélier, à partir du point où se fait l'équinoxe de printemps. Ceci est un commencement analogue à celui d'une créature vivant l'humide nature du printemps en suivant l'ordre des saisons ". Le reste du chapitre 9 et dans le chapitre 10, sont constitués de développements sur l'importance du lien entre les saisons et le zodiaque. Ce lien revient à de nombreuses reprises, par exemple dans le livre II, le chapitre 10 consacré à la météorologie zodiacale est entièrement basé sur les saisons : " Le signe du lion amène généralement des chaleurs suffocantes. En particulier, les premières parties sont étouffantes et pestilentes ".
Tout ceci est d'ailleurs parfaitement logique si on considère les origines astro-météorologiques d'une partie de la tradition astrologique : chez de nombreux peuples anciens, l'observation des constellations servait avant tout à prévoir les saisons pour fixer les dates des travaux agricoles. On trouve des exemples clairs de cette tradition dès les plus anciens textes grecs. C'est le cas par exemple dans Les travaux et les jours, un poème écrit par Hésiode au VIIIème siècle B.C.E.
Ce texte décrit la création de l'humanité et fixe un calendrier des travaux agricoles en donnant comme principaux points de repères temporels le lever héliaque et le coucher des Pléïades. Le lever de Sirius, d'Arcturus et de la constellation d'Orion sont aussi mentionnés à plusieurs reprises, par exemple : " quand les Pleïades, les Hyades et le puissant Orion se sont couchés, commence, souviens-t'en, la saison des labours ". L'association de la sphère des étoiles fixes (et donc des constellations) avec les saisons est très ancienne, en Grèce elle est antérieure de plusieurs siècles à la formation du zodiaque définitif. On la retrouve aussi dans l'astrologie babylonienne, qui comportait dès le second millénaire B.C.E. une composante astro-météorologique. On peut raisonnablement supposer que quand notre zodiaque définitif apparaît (vers le IVème siècle B.C.E. chez les babyloniens), les signes héritent de ce symbolisme saisonnier, peut-être même sont-ils choisis sur la base de ce symbolisme. Le lien en tout cas est suffisamment fort pour pousser Ptolémée à décider que l'astrologie doit utiliser un zodiaque tropique afin que les signes coïncident avec les saisons plutôt qu'avec la position des constellations.
Autrement dit, quand les critiques actuels de l'astrologie utilisent la précession des équinoxes comme un argument anti-astrologique, ils se trompent complètement. Il ne sert à rien de faire remarquer aux astrologues que leur zodiaque est décalé par rapport aux constellations, ils le savent très bien, il leur suffit de regarder le ciel pour s'en rendre compte. Ils le savent depuis 2000 ans, et ça ne les dérange pas, car c'est un astrologue qui a décidé que le zodiaque n'avait pas à correspondre avec le ciel réel. Le zodiaque fut vite considéré comme purement abstrait, une division arbitraire du ciel en 12 zones égales correspondant à 12 périodes de l'année, sans lien avec les constellations dont les signes tirent leur nom. Si cela n'avait pas été fait, c'est toute la symbolique saisonnière du zodiaque qui aurait dû être abandonnée, or le lien entre signes et saisons (d'une forte valeur symbolique) était antérieur et bien plus important aux yeux des astrologues anciens que le lien entre signes et constellations, dont la valeur est plus historique que symbolique. De ce point de vue il faut admettre que l'utilisation d'un zodiaque tropique, loin d'être une erreur due à l'ignorance des astrologues anciens, était au contraire un choix parfaitement rationnel, fait en connaissance de cause.
Par contre dans l'astrologie contemporaine, divisée en de nombreux courants concurrents les uns des autres, le lien traditionnel entre signes et saisons ne s'est pas toujours conservé. Ainsi le Dictionnaire Astrologique de Henri-J. Gouchon, considéré par certains comme un classique, semble n'accorder aucune importance aux saisons dans la symbolique des signes.
Pour d'autres astrologues, le symbolisme saisonnier des signes est toujours primordial, alors que les interprétations basées sur la mythologie grecque liée aux signes sont rares. André Barbault, dans son Traité pratique d'astrologie (un ouvrage très utilisé), commence le descriptif de chacun des 12 signes par des associations d'idées à partir du symbolisme saisonnier. Par exemple le Lion (p.92) : " Symbolise dans la nature la culmination végétale, la plénitude du fruit, toute magnificence ou maturité sous le plus éclatant soleil de l'année. En analogie avec cette apogée des pleins midis de l'été, il est le signe de la pleine affirmation de l'individualité ".
Il faut cependant noter que cette typologie de caractère fondée sur le symbolisme saisonnier du signe solaire, quoique d'apparence très traditionnelle, n'a en fait rien en commun avec la pratique astrologique antique. Pour Ptolémée par exemple, le caractère ne dépend pas du signe solaire, mais avant tout des signes dans lesquels sont Mercure et de la Lune (Tetrabiblos, livre III ch. 18 ).
D'autres courants astrologiques contemporains ont, bizarrement, considéré comme valable l'argument de la précession des équinoxe, et modifié leur pratique de l'astrologie en conséquence – en utilisant un zodiaque sidéral à la place du zodiaque tropique. Il s'agit de l'astrologie sidéraliste. Mais ce choix paraît illogique, au vu de l'histoire de l'astrologie.
Principales sources :
André Barbault, Traité pratique d'astrologie (le Seuil, 1961)
François Biraud & Philippe Zarka, Sur l'Astrologie, réflexions de deux astronomes (1998)
Gordon Fisher, Marriage and Divorce of Astronomy and Astrology, A History of Astral Prediction from Antiquity to Newton
Ken Gillman, Twelve Gods and seven planets, 1996
Henri-J. Gouchon, Dictionnaire Astrologique (Dervy, 1992)
Patrice Guinard, Astrologie, le manifeste (thèse de philosophie, 1993)
Robert Hand, On the invariance of the Tropical Zodiac.
Hésiode, Les travaux et les jours (Arlea, 1995)
Marilynn Lawrence, Hellenistic astrology, 2005
Daryn Rosario Lehoux, Parapegmata, or Astrology, Weather, and Calendars in the Ancient World (thèse de philosophie d'histoire des sciences et des techniques, 2001)
Ptolémée, Tetrabiblos (éditions Vernal/Philippe Lebaud, 1986)
William D. Tallman, Ptolemy : A Re-examination of His Influence on Modern Astrology (2000)
Gary D. Thompson, Studies of Occidental Constellations and Star Names to the Classical Period: An Annotated Bibliography