Déboulonnons (un peu plus) la complexité irréductible
Publié : 24 juil. 2008, 00:46
Une étude intéressante est sortie dans le PNAS de la semaine dernière ; elle montre comment l'évolution peut construire - et a construit - une voie de signalisation irréductiblement complexe qui intervient dans le développement des animaux.
La complexité irréductible est une cible mouvante et Behe a changé de définition au moins deux fois depuis qu'il a avancé cette notion pour la première fois ; la première de ses définitions (et celle que la plupart des créationnistes/partisans de l'ID continuent d'utiliser comme exemple d'observation "réfutant" l'évolution) consiste à dire qu'un système est irréductiblement complexe s'il cesse totalement de fonctionner à partir du moment où l'on retire un de ses composants. Si l'on s'appuie sur cette définition, alors les êtres vivants sont en effet pleins de système irréductiblement complexes. Celui qui a été étudié dans cet article consiste un mode de communication intercellulaire qui intervient dans le développement des animaux et qui - joie du créationniste - n'était connu (jusqu'à présent...) que chez les animaux, sans trace dans le reste du monde vivant. C'est celui qui implique les récepteurs tyrosine-kinase : ce sont des récepteurs membranaires qui, lorsqu'ils se fixent à une molécule extracellulaire qu'ils reconnaissent (par le morceau qui dépasse hors de la cellule), se modifient chimiquement (par phosphorylation des tyrosines) du côté qui est interne à la cellule. D'autres protéines sont capables de reconnaître cette modification chimique grâce à un domaine particulier, le domaine SH2 ; à partir du moment où elles l'ont détectées, elles entraînent une série de réactions intra-cellulaires. Enfin, la modification chimique en question est réversible et retirée par une troisième classe de protéines (les tyrosines phosphorylases), ce qui permet à la cellule de revenir à son état de base en l'absence de signal.
Bref, on a tous les ingrédients d'un système irréductiblement complexe : pour que la cellule réagisse efficacement aux signaux de son environnement, il lui faut une protéine qui "écrit" (la tyrosine-kinase), une protéine qui "lit" (celle qui contient un domaine SH2) et une protéine qui "efface". C'est un des systèmes les plus utilisés par les cellules pour communiquer lors du développement embryonnaire (et même par la suite) ; chacune de ces trois protéines existe sous des dizaines de variantes dans le génome de chaque espèce. Chez tous les animaux, des dizaines de voies de signalisation différentes utilisent cette structure générale. Si les trois acteurs ne sont pas présents à la fois, l'ensemble ne fonctionne plus : bref, on a un système irréductiblement complexe, typique de ceux dont les partisans de l'Intelligent Design affirment qu'on ne peut pas les construire pas à pas.
Mais les auteurs ne se sont pas arrêtés là : plutôt que de baisser les bras, ils ont cherché des précurseurs de cette voie chez les unicellulaires. Et ils en ont trouvés : les trois composants ne sont pas apparus d'un seul coup, pleinement fonctionnels. Les données génomiques montrent que, chez les levures, il n'existe pas de tyrosines kinases (qui "écrivent")... mais qu'il existe des tyrosines phosphatases (qui "effacent") tout à fait comparables aux nôtres. A quoi peuvent-elles servir ? En réalité, d'autres kinases non-spécifiques peuvent occasionnellement phosphoryler des tyrosines. Il s'agit d'une petite activité "parasite", faible mais détectable et probablement désavantageuse à ce stade : une tyrosine-phosphatase pour les effacer est donc utile. De même, certaines levures, comme la levure du boulanger Saccharomyces cerevisiae, possèdent des domaines SH2 ("lecteurs") homologues aux nôtres... mais qui ne reconnaissent en fait pas les tyrosines phosphorylées : ils reconnaissent une autre modification chimique, proche, mais différente (la phosphorylation des sérines). Il suffit de quelques modifications d'acides aminés pour passer d'une fonction à l'autre. Première étape.
Seconde étape : puisque des tyrosines phosphorylées se forment de temps à autre, comme "effet secondaire" de l'activité d'enzymes non-spécifiques, on peut les utiliser plutôt que de s'en débarrasser. C'est ce que font les amibes sociales Dictysotelium : elles n'ont pas de tyrosine-kinase spécifique, mais cette fois-ci une large variété de domaines SH2 spécialisées dans la reconnaissance des tyrosines phosphorylées "accidentelles". Bref, une grande panoplie de "lecteurs" à l'affût d'informations occasionnelles fournies par des "écrivains" non-spécialisés, sans rapport avec les récepteurs à grande précision qui existent chez les animaux. D'apparence un peu bancale, mais ça marche, et c'est un bel exemple d'exaptation : la rencontre de modifications chimiques accidentelles, "parasites", et de domaines protéiques ayant une autre fonction fournit une nouvelle voie de signalisation.
Troisième étape : puisqu'il existe des lecteurs et des effaceurs, la voie est toute tracée pour que des systèmes d'écriture plus précis et perfectionnés apparaissent. Les récepteurs tyrosine-kinase apparaissent avec les choanoflagellés, un groupe d'unicellulaires particulièrement proche des animaux (le plus proche de tous, en fait) - mais ils ne tombent pas du ciel non plus : ils sont hautement similaires aux protéines préexistantes chez les amibes sociales qui présentent une faible activité kinase non-spécifique. L'amplification d'une petite activité "parasite" et la disparition de l'activité principale semble avoir permis l'apparition d'une nouvelle structure de voie de signalisation.
A partir du moment où les trois composants sont en place, la famille des tyrosine-kinase/phosphatase et des protéines à domaine SH2 a explosé chez les animaux. Ces systèmes se retrouvent partout, avec de nombreuses variantes fonctionnellement spécifiques mais à la structure similaire, attestant de leur origine commune. Bref, on a un système sophistiqué, cohérent et effectivement irréductiblement complexe... mais qui s'est construit par bricolages et recyclages de morceaux préexistants, avec tout une panoplie d'étapes intermédiaires présentes dans la nature.
La complexité irréductible est une cible mouvante et Behe a changé de définition au moins deux fois depuis qu'il a avancé cette notion pour la première fois ; la première de ses définitions (et celle que la plupart des créationnistes/partisans de l'ID continuent d'utiliser comme exemple d'observation "réfutant" l'évolution) consiste à dire qu'un système est irréductiblement complexe s'il cesse totalement de fonctionner à partir du moment où l'on retire un de ses composants. Si l'on s'appuie sur cette définition, alors les êtres vivants sont en effet pleins de système irréductiblement complexes. Celui qui a été étudié dans cet article consiste un mode de communication intercellulaire qui intervient dans le développement des animaux et qui - joie du créationniste - n'était connu (jusqu'à présent...) que chez les animaux, sans trace dans le reste du monde vivant. C'est celui qui implique les récepteurs tyrosine-kinase : ce sont des récepteurs membranaires qui, lorsqu'ils se fixent à une molécule extracellulaire qu'ils reconnaissent (par le morceau qui dépasse hors de la cellule), se modifient chimiquement (par phosphorylation des tyrosines) du côté qui est interne à la cellule. D'autres protéines sont capables de reconnaître cette modification chimique grâce à un domaine particulier, le domaine SH2 ; à partir du moment où elles l'ont détectées, elles entraînent une série de réactions intra-cellulaires. Enfin, la modification chimique en question est réversible et retirée par une troisième classe de protéines (les tyrosines phosphorylases), ce qui permet à la cellule de revenir à son état de base en l'absence de signal.
Bref, on a tous les ingrédients d'un système irréductiblement complexe : pour que la cellule réagisse efficacement aux signaux de son environnement, il lui faut une protéine qui "écrit" (la tyrosine-kinase), une protéine qui "lit" (celle qui contient un domaine SH2) et une protéine qui "efface". C'est un des systèmes les plus utilisés par les cellules pour communiquer lors du développement embryonnaire (et même par la suite) ; chacune de ces trois protéines existe sous des dizaines de variantes dans le génome de chaque espèce. Chez tous les animaux, des dizaines de voies de signalisation différentes utilisent cette structure générale. Si les trois acteurs ne sont pas présents à la fois, l'ensemble ne fonctionne plus : bref, on a un système irréductiblement complexe, typique de ceux dont les partisans de l'Intelligent Design affirment qu'on ne peut pas les construire pas à pas.
Mais les auteurs ne se sont pas arrêtés là : plutôt que de baisser les bras, ils ont cherché des précurseurs de cette voie chez les unicellulaires. Et ils en ont trouvés : les trois composants ne sont pas apparus d'un seul coup, pleinement fonctionnels. Les données génomiques montrent que, chez les levures, il n'existe pas de tyrosines kinases (qui "écrivent")... mais qu'il existe des tyrosines phosphatases (qui "effacent") tout à fait comparables aux nôtres. A quoi peuvent-elles servir ? En réalité, d'autres kinases non-spécifiques peuvent occasionnellement phosphoryler des tyrosines. Il s'agit d'une petite activité "parasite", faible mais détectable et probablement désavantageuse à ce stade : une tyrosine-phosphatase pour les effacer est donc utile. De même, certaines levures, comme la levure du boulanger Saccharomyces cerevisiae, possèdent des domaines SH2 ("lecteurs") homologues aux nôtres... mais qui ne reconnaissent en fait pas les tyrosines phosphorylées : ils reconnaissent une autre modification chimique, proche, mais différente (la phosphorylation des sérines). Il suffit de quelques modifications d'acides aminés pour passer d'une fonction à l'autre. Première étape.
Seconde étape : puisque des tyrosines phosphorylées se forment de temps à autre, comme "effet secondaire" de l'activité d'enzymes non-spécifiques, on peut les utiliser plutôt que de s'en débarrasser. C'est ce que font les amibes sociales Dictysotelium : elles n'ont pas de tyrosine-kinase spécifique, mais cette fois-ci une large variété de domaines SH2 spécialisées dans la reconnaissance des tyrosines phosphorylées "accidentelles". Bref, une grande panoplie de "lecteurs" à l'affût d'informations occasionnelles fournies par des "écrivains" non-spécialisés, sans rapport avec les récepteurs à grande précision qui existent chez les animaux. D'apparence un peu bancale, mais ça marche, et c'est un bel exemple d'exaptation : la rencontre de modifications chimiques accidentelles, "parasites", et de domaines protéiques ayant une autre fonction fournit une nouvelle voie de signalisation.
Troisième étape : puisqu'il existe des lecteurs et des effaceurs, la voie est toute tracée pour que des systèmes d'écriture plus précis et perfectionnés apparaissent. Les récepteurs tyrosine-kinase apparaissent avec les choanoflagellés, un groupe d'unicellulaires particulièrement proche des animaux (le plus proche de tous, en fait) - mais ils ne tombent pas du ciel non plus : ils sont hautement similaires aux protéines préexistantes chez les amibes sociales qui présentent une faible activité kinase non-spécifique. L'amplification d'une petite activité "parasite" et la disparition de l'activité principale semble avoir permis l'apparition d'une nouvelle structure de voie de signalisation.
A partir du moment où les trois composants sont en place, la famille des tyrosine-kinase/phosphatase et des protéines à domaine SH2 a explosé chez les animaux. Ces systèmes se retrouvent partout, avec de nombreuses variantes fonctionnellement spécifiques mais à la structure similaire, attestant de leur origine commune. Bref, on a un système sophistiqué, cohérent et effectivement irréductiblement complexe... mais qui s'est construit par bricolages et recyclages de morceaux préexistants, avec tout une panoplie d'étapes intermédiaires présentes dans la nature.