Spécial K a écrit :Tu affirmais que les révélations des mémos diplomatiques dans l'affaire "Wikimachin" ne faisaient que confirmer ce que n'importe qui d'un peu renseigné aurait pu deviner.
Ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit. J'ai été plus précis que ça.
J'ai dit que les mémos, dans leur globalité, ne faisait que confirmer les grandes lignes du fonctionnement du monde tel que pouvait déjà le prévoir ceux qui prennent le temps de se renseigner un peu et qu'on constatait que, loin de mentir à leur citoyen, les Etats sont en fait assez transparent sur leurs actions, même s'ils n'en dévoile pas tous les buts (buts que l'on peut, cependant, globalement prévoir)
Chaque détails révélés par Wikileak n'était pas prévisible non plus, mais globalement, il n'y avait rien de surprenant et le portrait du monde dressé correspondait à peu près à ce que des spécialistes de la politique et de la géopolitique avaient déjà dit.
(Je précise, parce que votre phrase laisse pensé que n'importe quel détail était prévisible.)
Avant hier, quand même, j'écoutais un générale de OTAN affirmer que les frappes de notre avion avaient pour but «d'aider les populations civiles Lybienne». Belle version officielle! Je n'ai pas pu me retenir d'avoir un pincement. Je me suis demandé ce qu'un gars bien renseigné comme toi "devinait" des intentions véritables des forces occidentales.
Je te pose la question au cas o;u tu aurais une opinion. Si tu n'en a pas, ne te sent pas obligé
La libye est un conflit récent.
J'aurais tendance à dire qu'il y a actuellement trop peu de matière pour juger précisément des buts de cette histoire.
Cela dit, on peut spéculer des buts poursuivis quand même en analysant la situation de la région avant crise.
(je préviens que je vais d'abord analyser l'espace musulman dans sont ensemble pour en revenir à la Libye par la suite.)
Avant crise, le maghreb et le Machrek avait un rôle stratégique important de sécurisation des frontières de l'Europe face à l'immigration et de stabilité des acheminements en hydrocarbure, tout en adoptant une politique conciliante pour la gestion des flux commerciaux, notamment pour le canal de Suez.
Les dictatures en place, pour la plupart, montrait aussi patte blanche pour l'allié stratégique américain qu'est Israël.
Dans ce système, l'Otan entretenait un ensemble de pouvoir régionaux reposant sur des piliers stabilisant la région (je me permets une analyse au delà du seul magrheb pour tenter de comprendre):
Les américains faisait reposer leur influence sur l'ensemble du monde musulman (turc, arabe, persan, berbère):
-la Turquie, qui sert comme d'habitude de pont entre l'orient et l'occident en étant dans l'Otan tout en étant partie du monde musulman et dont l'Islam politique était acceptable car l'Etat était encore sous influence des militaires (qui ne contrôle pas l'Etat, mais qui reste une force de pression)
C'est aussi un moyen de mettre en avant le monde turc musulman face au monde perse musulman avec l'Iran.
-L'Egypte, qui restreignait l'influence des islamistes dans la région du maghreb, qui faisait contrepoids en influence à l'Arabie saoudite, l'empêchant de s'imposer comme leader de tout le monde arabe, qui stabilisait la frontière sud d'Israël et donc la région autour.
-L'arabie Saoudite, qui contrôle le golfe et l'empêche de se tourner vers d'autre région du monde que les USA en échange de la protection de ceux-ci et qui sert de second contrepoids dans la région avec l'Egypte, les deux se disputant la première place au sein des pays de la ligue arabe et se disputant la place de première puissance régionale avec la Turquie et l'Iran.
-Israël, qui est protégé par les 3 autres piliers, et qui est une sorte de protectorat américain dans la région (non qu'Israël soit réellement un protectorat, ce que je veux dire c'est qu'Israël est une sorte de cheval de Troie dans la zone arabe sous protection des USA.)
-Le Pakistan, pour la zone turque, qui sert de point un peu stable dans l'Asie centrale mouvementé.
Les Européens n'ont pas tout à fait les même pilier, portant leurs ambitions moins loin que les USA, donc se reposant plus sur:
-L'Algérie
-La Tunisie
-L'Egypte (via l'influence des USA)
-La Turquie
Mais c'est le même principe: assurer le calme de la région et des régime amis pour sécuriser des flux et garantir une influence sur ces flux contre l'influence d'autre puissance.
Pour les américains, c'est l'influence de l'Iran qui est contrée et indirectement, de la Chine et de la Russie qui le soutiennent.
Pour les Européens, c'est l'influence des Islamistes qu'ils ne veulent pas voir débarquer en Europe et menacer la stabilité de la frontière sud, mais aussi, dans une moindre mesure, de l'Iran aussi, qui était au coeur du grand jeu de l'asie centrale, jusqu'à il y a peu.
Les révoltes arabes ont, en quelque sorte, consacrées une situation qui était déjà discernable: le délitement progressif de cet ordre et notamment de l'ordre américain (les Européens ayant moins investie en diplomatie d'influence et ayant des liens de plus longues dates, ont "moins perdu" au final, même s'ils sont les premiers touchés actuellement.)
En clair, depuis quelques années les alliées stratégiques servant de piliers commence à être une source d'ennuis de plus en plus forte, au point de réduire leur bénéfice stratégique. Sans parler du fait que les intérêts vitaux des 2 ensembles régionaux que sont les pays Européens et les USA ont changé (le centre de gravité des USA se détournant de l'atlantique nord pour se tourner d'avantage vers le pacifique et l'atlantique sud, les Européens étant moins préoccupé par le sud que par l'Est et l'espace russe et caucasien depuis un moment.)
C'est d'abord Israël qui a commencé à être un boulet à mesure que sa politique très agressive a été de plus en plus mal perçue par le reste du monde et à développer un fort sentiment anti-occidental dans la région, au point que l'influence des pays arabe sur leur pair se mesure quasiment en degré d'opposition à Israël.
La Turquie a par exemple gagné son influence récente en cessant une partie de ses partenariats stratégiques avec Israël et notamment avec l'affaire de la flotille humanitaire qui a été autorisé par la Turquie et dont un bateau battait pavillon Turque.
A l'inverse, l'Arabie Saoudite et l'Egypte, laxiste vis à vis d'Israël aux yeux des musulmans de la région, ont beaucoup perdu en influence et en rayonnement, d'autant plus l'Arabie Saoudite qui est un royaume musulman et se revendiquait de l'Islam politique.
Ensuite, ça a été la Turquie. Les démêlés avec l'Union Européenne qui freine son adhésion et son développement économique l'ayant amené à revoir sa vision stratégique pour reprendre son rôle de pont entre l'orient et l'occident, en redevenant le leader régional du moyen-orient et donc l'interlocuteur privilégié de l'Europe pour le dialogue dans la région, rôle que l'empire Ottoman occupait déjà.
Ce changement de cap à imposer un rapprochement avec le monde musulman et fatalement de cesser d'être l'arrière cour du monde occidental pour devenir l'avant garde du moyen-orient. De fait la Turquie c'est posé en médiateur avec l'Iran, contre l'avis des occidentaux, et à clairement montrer son détachement progressif de l'orbite de l'OTAN.
Ensuite, ce sont les révoltes arabes qui ont pérennisé la fin des derniers piliers, sauf l'Algérie pour le moment, avec la chute du régime Egyptien ami et donc un très probable retour sur le devant de la scène de l'Egypte, la chute de la Tunisie, marquant le retour de l'Islam dans l'identité du maghreb* au détriment de gens comme Khadafi, par exemple, qui, bien que se revendiquant musulman, a un régime plus basé sur des idées sortant de la guerre froide (son régime ayant une doctrine de socialisme islamique, doctrine qui a eu un écho pendant la guerre froide mais qui n'est plus aujourd'hui une idéologie porteuse.)
*je ne dis pas que la Tunisie sera islamique, mais en faisant sauter le verrou de la dictature de Ben Ali, les tunisiens ont pu se redéfinir et redéfinir leur identité et je pense que l'Islam sera la base de cette identité, sans pour autant que ça débouche sur un intégrisme. Simplement une redéfinition nationale autour d'un passif religieux et culturel lourd et qui réuni plus la population que le reste de l'expérience coloniale et post-coloniale que représentait Ben Ali.
Au milieu de ça, et pour y revenir: la Libye.
La situation de la Libye est différente parce qu'il ne s'agit pas d'un pays aussi anciennement structuré que la plupart des autres pays du monde musulman. La Libye a longtemps été l'arrière cours d'une puissance régionale, que ce soit les Ottoman, les Mamlelouk, les royaumes tunisiens...
Donc la révolte n'est pas, là bas, similaire à la révolte de l'Egypte ou de la Tunisie, mais, à mon sens, d'avantage une révolte inter-tribal que populaire, et c'est plus proche des problèmes qu'on retrouve avec les éthnies dans les pays d'Afrique subsaharienne qu'autre chose.
En clair, la Libye, qui n'a une existence unitaire que récente, a connu 30 ans de dictature par un dictateur qui a joue justement sur le soutien des tribus, favorisant certaine au détriment d'autre.
Face à ce type d'inégalité dans l'accès au pouvoir, la Libye, qui a connu un fort développement (et développement=grossissement de la population suffisamment cultivées et riche pour trouver inadmissible de ne pas avoir son mot à dire sur la vie du pays), c'est embrasé en partant des régions les plus historiquement hostiles à Khadafi car contenant les tribus les plus maltraités par le régime (l'Est, donc.)
Ca ne veut pas pour autant dire que c'est une guerre de l'Est contre l'Ouest, mais le contentieux initial à la révolte n'est pas tout à fait le même qu'ailleurs et il y a de grande chance que l'enlisement ait transformé la révolte en guerre Est-Ouest, à mesure que ceux qui se révoltaient pour d'autres raisons abandonnent la partie face à la répression.
Dans ce bazar: que viennent faire les occidentaux ?
A mon sens, ils ne sont pas là par calcul de longue date et plus par urgence pour éviter que la situation n'échappe totalement à leur contrôle. (d'où le caractère un peu désordonnée de l'action, qui n'a toujours pas de motif stratégique clairement affiché, ni de stratégie précise sur le terrain)
Les occidentaux ont clairement perdu leurs piliers dans la région, même Israël, que la politique paranoïaque et le retournement des autres piliers a transformé d'avantage en déstabilisateur régional de plus en plus couper de la politique de la région, qu'en point d'accès à la région pour l'occident.
Mais, là où les régimes tunisiens et égyptiens ont laissé une société civile organisé et des pouvoirs apte à assurer une transition (démocratique ou pas), la Libye, elle, cours probablement au chaos en renversant Khadafi. Alors qu'en Egypte et en Tunisie, même s'il sera probablement impossible de retrouver l'influence perdue, il sera possible de s'entendre, la Lybie, elle, est soit au main d'un dictateur imprévisible, soit risque le chaos.
De là, on pourrait ce dire qu'il vaut mieux le laisser là pour assurer la stabilité. C'est le pari de l'Italie par exemple, même si son alliance avec les autres pays d'Europe et l'OTAN lui force la main pour s'engager dans l'action militaire (ses choix sont de toute manière limités, Khadafi n'étant pas un allié fiable, au contraire des autres pays européens, malgré leur versatilité.)
Sauf que Khadafi, qui était pro-occident, n'est pas fiable et qu'une transition dans la région permettrait de retrouver un allié stratégique d'autant plus interessant qu'il exporte du pétrole.
A mon avis, c'est le pari de la France et du royaume Uni, c'est à dire se prémunir de l'absence de fiabilité de Khadafi, qui manœuvre la géopolitique au gré de ses désirs et peut très bien décider que le meilleur partenaire c'est la chine ou la Russie, en facilitant militairement une transition et, plus probablement, une partition du pays (à mon avis, l'hypothèse de la partition, créant une entité proche de l'Egypte sous contrôle des ex-rebelles et sous aides occidentales a été envisagé, ce qui réduirait les capacités de nuisance de Khadafi tout en sécurisant isolant l'Egypte où l'on craint un sursaut des islamiste, coincé entre Israël et une nouvelle Libye qui ne risquera pas de financer le terrorisme.)
A mon avis, c'est un peu un calcul dans l'urgence pour s'éviter aussi d'avoir un Khadafi qui augmente son influence sur la région alors que celle-ci s'embrase, l'Europe préférant un Maghreb Egyptien plutôt qu'un Maghreb Libyen.
Mais ça reste un pari risqué et décidé dans l'urgence à cause d'impératif de politique intérieure (l'action en Libye rattrapant l'inaction en Tunisie et Egypte.) et sur une logique qui a montré ces limites (mettre en place des régimes amis dans la régions ne pouvant s'appuyer que sur l'aspiration populaire pour éviter un Irak Bis ou des révoltes type Tunisienne dans 20 ans)
Ca c'est ce que je vois de la situation actuelle, même si d'aucun y verront comme d'habitude, un complot savamment préparé des USA via l'OTAN pour faire main basse sur le pétrole Libyen (alors que l'OTAN passe plus de temps à sécuriser les lieux de productions qu'à les contrôler de fait.)
Mais comme dit au début: le conflit étant très récent, c'est impossible de faire plus que de la spéculation sur de maigres éléments, donc il se peut que je me trompe complètement, d'autant plus que je connais mal la structure sociale et politique de la Libye (alors que je connaissais bien mieux la structure de l'Iran, par exemple.)
Voilà, c'est un peu long comme réponse, mais c'est ce que je pense. Comme je n'ai pas formellement de preuve (j'ai précisé que c'était de la spéculation à partir de situation constaté et non des faits) les lecteurs en font ce qu'ils veulent.