Postée par E.DesRosiers , Jan 19,1999,11:15 | Index | Forum |
L'aspirine, une doyenne de la pharmacopée, n'est pas un très bon exemple de médecine 'classique'. En effet, son homologation est centenaire, et cette acceptation historique lui a permis d'échapper aux procédures d'homologation requises pour les médicaments développés récemment. En d'autres mots, elle jouit à peu près des mêmes prévilèges indécents accordés par santé Canada aux 'remèdes' naturels. L'aspirine a néanmoins fait l'objet de très nombreux tests cliniques (1255 rapports cités sur 'medline', entre 1978 et 07.01.99), qui ont validé ses prétentions historiques pour pas mal de conditions cliniques, dont les maux de tête. Évidemment, d'autre tests chez l'animal, ont aussi démontré que son effet physiologique est indépendant de l'effet placébo (eh, un rat n'associe pas spontanément le fait de prendre une pilule à un espoir de guérison).
L'étude que vous mentionnez semble supporter l'existence de l'effet placébo, qui dans ce cas aurait été supérieur à l'effet thérapeutique de l'aspirine pour le traitement de maux de tête (souvent liées au stress, ne l'oublions pas!). L'effet placébo existe vraiment, et agirait par plusieurs mécanismes biochimiques encore plus ou moins élucidés (système limbique, endorphines, enképhalines, etc...). Je vous accorde que dans certains cas, la médecine classique pourrait certainement tirer meilleur profit de cet effet placébo bénéfique -et ainsi même éviter de prescrire des remèdes dans certains cas. La psychologie a une part importante et généralement sous-estimée à jouer dans le processus de guérison. Mais, d'un point de vue pharmaceutique, des produits dont l'effet est toujours inférieur à l'effet placébo NE SONT PAS des remèdes, point.
Sans vouloir faire dévier le débat, je me permetterai de sortir quelques peu de mes gonds. Je suis chef de projet dans une cie pharmaceutique, mon quotidien consiste à 1) Superviser le développement de produits potentiellement bénéfiques, sur la base d'interaction cellulaire ou biochimique. 2) Éliminer les candidats peu efficaces, ou qui démontrent des effets secondaires néfastes. 3)Confirmer l'efficacité des candidats retenus, l'améliorer si possible. Si les produits retenus démontrent une bonne efficacité en éprouvette, puis chez l'animal -sans effets secondaires importants- il devient possible de demander l'autorisation à Santé Canada de tester le produit chez l'humain. Ces tests cliniques débutent doucement, avec quelques dizaines de patients. Puis, si tout va bien, ils se poursuivent pendant plusieurs années, en augmentant graduellement le nombre de patients jusqu'à obtenir une banque de donnée permettant d'obtenir l'homologation et l'autorisation de mise en marché. Pour y arriver, le produit doit démontrer clairement, d'une façon statistiquement incontestable, qu'il permet de traiter ce qu'il est supposé traiter -non seulement mieux qu'un placébo, mais au moins aussi bien que le traitement standard.
À titre d'information, le développement d'un produit, à partir d'une idée jusqu'à la mise en marché, demande au moins 10 ans d'efforts soutenus, et près de 100 million$. J'en suis à la 5ème année de développement de notre produit. Évidemment, si le produit ne semble pas efficace, le développeur peut se voir contraint d'abandonner le projet à tout moment. C'est un processus difficile, mais qui permet de s'assurer avec assez de certitude, que le produit est efficace et sécuritaire.
D'autre part, l'homologation des 'remèdes naturels' repose essentiellement sur les connaissances traditionelles et leur utilisation historique. Les décisions de Santé Canada sont généralement d'une sagesse admirable, mais là, on comprend bien l'attribution du prix Fosse sceptique de 1996. Je vous invite à visiter les sites suivants de Santé Canada pour constater de vous-même. La présentation est prudente, mais dévoile néanmoins les clauses d'homologation facilitée pour les 'remèdes naturels':
http://www.hc-sc.gc.ca/francais/archives/96-97/herbnaf.htm
http://www.hc-sc.gc.ca/hpb-dgps/therapeut/htmlfrn/herbals.html
Ces 'remèdes' peuvent être bénéfiques, mais il me semble absolument scandaleux d'avoir un tel système à 2 vitesses. Si ce sont effectivement des médicaments sûrs et efficaces: qu'ils le prouve! S'il ne s'agit que de placébos, Santé Canada n'a pas à homologuer comme médicament... Comme nourriture suffirait.
Je profiterai d'ailleurs de cette tribune pour féliciter M.Pascal Forget, porte-parole des sceptiques, pour sa participation à un récent débat radiodiffusé sur les médecines naturelles (autour du 28 décembre, désolé, pas de détails?). Entre autre, il a rapellé à une intervenante qui faisait l'éloge des acupuncteurs professionnels (genre: ce sont des professionnels diplômés, reconnus par la fédération...), que l'acupuncture elle-même n'était pas scientifiquement reconnue. Eh! et vlan dans les gencives! À ce compte, il y a aussi des astrologues dit professionels (??!!), vraiment commode de pouvoir se cacher derrière un tel vernis de respectabilité. C'est un peu ce vernis que Santé Canada accorde à des produits qui n'ont pas a démontrer leur efficacité.
Eric
NB ...Et tant mieux si la psychologie et la biochimie pouvaient finalement s'associer pour améliorer les processus de guérison.