Cette mentalité était si forte qu'elle parvenait à museler le discourt critique. Comme tout intégrisme idéologique, le credo de la bêtise était manichéen. On était "ouvert" ou on était "fermé". Or de la foi point de salut. C'est que le chant de louange était aussi une critique vitriolique de la "médecine officielle". Se permettre de douter des bienfaits du lavage lymphatique ou de la guérison par les cristaux ou des pouvoirs de voyante de notre travailleuse sociale était une preuve de notre étroitesse d'esprit ou, pire, de notre subordination à la "mafia médicale". En ce temps là, il fallait avoir des couilles pour se permettre de critiquer ces croyances, car on devenait immédiatement l'objet d'une mise au banc très sensible. L'attitude de certains collègues n'était pas pire que si j'avais tenu un discourt en faveur de la pédophile. Même mes copains médecins se taisaient. Lorsqu'ils venaient me féliciter pour un article ou une prise de position publique, ils le faisaient discrètement de manière à ne pas être associé directement à mon comportement jugé non politiquement correct.
Depuis un an, l'attitude plus critique de la presse et l'accumulation d'anecdotes locales sur les abus des guérisseurs, amènent un changement de discourt. À la cafétéria du CLSC, j'entends parler des dangers pharmacologiques de certaines potions chinoises, de "l'entêtement" de certains malades à refuser des "traitements médicaux nécessaires" à cause de l'illusion d'un traitement alternatif peu fiable. Les médecines bidons non pas encore pris leur vrai place (dans la poubelle) mais la crédulité sans réserve à perdu beaucoup de terrain. Du chant on passerait au désenchantement. Enfin, j'espère que ma perception est juste…