Postée par Claude Mac Duff , Aug 27,1999,21:11 | Index | Forum |
Je te remercie d'avoir répondu à mon message et je m'empresse de répondre à mon tour à tes interrogations.
Ici, prends amicalement ce que je te dis. Je ne veux pas méjuger de ton âge, ni de ta connaissance de l'histoire du Québec, mais ta question me turlupine un peu. En effet, même si aujourd'hui nous avons l'informatique, les satellites et le virtuel, il y a à peine 40 ANS, au Québec, tout ce qur toi et moi tenons pour acquis n'existait MÊME PAS ENCORE. J'essaie de résumer le mieux possible ma pensée et mon vécu.
Je suis né en 1946, ce qui me donne aujourd'hui 53 ans et des poussières. Durant ces années et MÊME pendant les années 50, dans le Québec rural et même à MOntréal, c'était tout un monde que les jeunes d'aujourd'hui ne croient pas qu'il existait.
Ainsi, je peux t'affirmer, et tous les jeunes de mon âge, que, durant les années 50, il y avait encore la traction hippomobile dans les rues.
Le matin, le laitier passait avec sa charrette et son cheval pour délivrer les produits laitiers. Il en était de même avec le livreur de glaces qui délivrait ses gros morceaux à l'aide d'une groosse tenaille à faire peur dans les glacières que beaucoup de familles utilisaient pour garder au frais les fruits, les légumes, la viande et la crème glacée. Il y avait de temps en temps un aiguiseur de couteaux et d'ustensiles qui se promenait avec sa charrette tirée par... et qui faisait sonner sa cloche gueling-guelang-gueling-guelang à tour de bras.
Toutes les mamans en profitaient pour descendre dans la rue et de faire aiguiser leurs ustensiles.
Il y avait aussi un autre type de marchand ambulant très pittoresque, l'acheteur de guenilles et de vieux vêtements, qui tirait sa charrette et qui chantait à tue-tête : « Ah, des guenilles à vendre, des belles guenilles à vendre, ah les belles guenilles...». De nouveau, toutes les mamans de la rue descendaient dans la rue et vendaient les vieux bas troués, les pantalons usagés, les robes déchirées, les vieilles débarbouillettes et quoi encore. Le marchand achetait tout ce beau lot pour un gros dix cents, des fois trente sous, et, aubaine remarquable pour l'heureuse maman, pour un gros 50 cents ! C'était la joie incroyable pour cette heureuse maman qui ne pouvait savoir que cet acheteur de guenilles revendait le tout et se faisait probablement un beau profit aux dépens des mamans...
Ah oui, n'oublions pas non plus le vendeur-chanteur-de-légumes qui se promenait et qui tentait d'imiter un ténor : « Ah, j'ai des beaux concombres à vendre, pis des tomates ben rouges, pis des tites fèves, pis des radis... Ah, mes beaux concombres, y'en a pour tout le monde, etc., etc.,;» et qu'est-ce qui se passait, penses-tu ? Les bonnes mamans du quartier descendaient dans la rue et achetaient les beaux concombres du beau monsieur, ses oignons (pas aux pieds !), ses radis, ses échalottes et tout ce qu'il parvenait à leur refiler en douce...
Et parlons d'actualité. Puisque Eaton est dans le vent, c'est là que tous les petits Québécois de mon âge ont vu le vrai Père Noël, avec sa vraie fée des étoiles, ses vrais lutins, sa vraie parade, son vrai petit renne au nez rouge et ses vrais cadeaux. C'était quelque chose, Eaton, pendant les fêtes : incroyable, inimiginable, féérique, incredible, fastueux, incommensurable et mets-en. Et puis, le petit train qui se promenait sur le plancher avec des lumières, des décorations, de la musique de Noël, l'ambiance, le monde qui allait et venait. Tous les jeunes de mon âge qui ont vécu l'expérience de Eaton, durant les annéees 50, s'en souviennent avec émotion, joie et presque amour ! Pas besoin de se demander pourquoi tout le monde, aujourd'hui, s'apitoie tellement sur la fermeture de Eaton et sa disparition.
C'était l'époque-charnière où la télévision commençait à se répandre et où tout le Québec arrêtait de respirer le mercredi soir pour regarder les 2 grandes institutions de la télévision d'alors : la famille Plouffe et la lutte, avec Michel Norrrrmandin et ses descrrrriptions roulantes !
Le Rocket, Pépinot et Capucine, le Survenant, pis le couple adoré ou maudit d'alors, Séraphin et Donalda, tout éclatait à la télévision, même si on devait encore dire le chapelet en famille le soir, à 7 heures, comme tout le Québec ou presque le faisait à ce moment, avec le cardinal Léger qui donnait sa bénédiction, les missionnaires pères blancs et les religieuses qui vendaient aux chanceux petits Canadiens-français les petits Chinois aux mains des méchants communistes athées, violeurs et destructeurs de la famille, et les pauvres petits Africains ignorants et bêtes qui ne connaissaient pas le petit Jésus, parce que c'était pas de leur faute s'ils étaient nés de même avec la peau noire !
C'était aussi le temps où les jeunes allaient à l'école avec des
« maîtresses » qui étaient aussi mamans, gardiennes, conseillères et... enseignantes. (Ayoye les syndicats, aujourd'hui !). Pour les élèves, pas d'ordinateur, ni de calculette, ni de télévision, ni de vidéo qui leur donnait tout cuit dans la bouche : on apprenait les rudiments de l'alphabet, le calcul, le français, l'histoire, la géographie, avec de beaux petits livres en couleurs bien écrits et bien expliqués (« c'est quoi, ça, des livres, demandent les jeunes d'aujourd'hui...!!!»). À défaut de calculette, on comptait sur nos doigts, et le prof de maths n'était pas trop fâché...
Crois-moi, Stéphane, cela peut te paraître surréaliste, mais je te parle de choses qui existaient il n'y a pas si longtemps. Toi-même, de par ta question me fait penser que tu es un jeune qui découvre avec surprise ce Québec que tu n'as probablement pas connu. Mais interroge des vieux de ma génération, et tu vas en avoir les yeux grands ouverts. Mieux, encore, écoute la plupart des monologues de Yvon Deschamps qui, à mon idée, est l'humoriste le plus fidèle et le plus représentatif de cette époque. TOUS ses monologues, même s'ils sont cyniques, ou exagérés, reflètent la vérité au sujet de la famille québécoise des années 50, de l'influence de la religion, du hockey, de la famille Plouffe, de Maurice Richard, de Eaton, de son Père Noël, du chapelet en famille et de mille autres sujets qui étonnent grandement la jeunesse d'aujour'dhui. Aussi, les échanges que font l'auteur québécois Claude Jasmin avec son petit-fils, dans La Presse du dimanche, reflètent justement ces gros changements survenus dans la société québécoise depuis À PEINE 50 ANS.
Ce n'est pas surprenant que la majorité de nos téléromans actuels, en particulier ceux de Victor-Lévy-Beaulieu, sont si populaires auprès des téléphiles légèrement âgés. Beaucoup de jeunes reprochent à ces amateurs ou ces auteurs d'être passéistes dans la vision des choses, mais, comme le dit une chanson que peut-être les jeunes ne connaissent pas, aujourd'hui, « ça se passait de même, dans le bon vieux temps »; et ce bon vieux temps n'est pas si éloigné dans le temps, pour des jeunes de ma génération. C'est peut-être pour ça que, quand les Sceptiques m'ont suppléé de me procurer un ordinateur il y a quelques années, pour faciliter mes écritures, j'ai hésité longtemps avant de le faire, préférant continuer à écrire sur des feuilles de papier lignées, avec une plume !!!
En tout cas, je vais finir ici, mais comme nous sommes Sceptiques dans ce forum, ne me crois pas sur parole : va visionner les films de l'ONF à la cinémathèque et à la salle de l'ONF, sur la rue Saint-Denis, et paies-toi un après midi de documents sur le Québec durant les années 50.
À part ceux de l'ONF, il y a ceux du père Groulx, du Gouvernement du Canada et de nos cinéastes connus aujourd'hui. Tu vas tomber sur le dos en voyant que, oui, oui, en 1950, il y avait encore des tramways électriques à Montréal, des chevaux qui faisaient caca dans les rues, des maisons qui se chauffaient au poèle à bois et des familles qui, comme la mienne pendant 4 ans, vivaient à 7 PERSONNES dans un petit logement de 4 pièces, sur la rue Boyer, près de Mont-Royal, près du Parc Lafontaine. Et ce que je te raconte ici n'est pas tiré de la petite maison dans la prairie, je te le jure !
Ah, ce parc, lui aussi est plein de souvenirs incroyables, mais je termine ici : ce n'est pas un cours d'histoire. Que ceux qui me croient ou non consultent les documents visuels des années 50 : c'est tout un monde à découvrir, même pour le Québec...
J'espère que je ne t'ai pas trop ennuyé...?
Amitiés,
Claude
|