Les prophètes à neuneu
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' l'étrangeté des rencontres, le hasard et les coïncidences, eussé-je jamais cru qu'en ces temps troublés le secours viendrait de là ? Oui, cette fois encore, amis humains, je vous l'avoue, le chapeau pointu de guingois, le serpentin ramolli et le fond de teint blanc se craquelant sous les ridules de l'effroi, je me sentais face à la cruauté de ce monde aussi frais et gaillard qu'un vieux clown tuberculeux, neurasthénique et sous le coup d'un plan social riant comme une guillotine. Au loin, là-bas, à l'ouest, les bruits de bottes de la colère américaine ; au loin, là-bas, à l'est, les cris des pauvres peuples entalibanés, et moi ici, au milieu, pauvre mariolle de second rayon, il faut encore que je tente de vous faire sourire avec ce pistolet à eau et la langue de belle-mère qui sont mes outils de travail ? Vous me direz que le plus simple, devant ce dilemme, eût peut-être été de blaguer en touche, si j'ose dire, d'aller sur d'autres terres, de parler d'autre chose ? Et de quoi ? Avez-vous noté l'autre sujet qui tenta, la semaine dernière, de prendre sa toute petite place dans le flot martial de l'actualité : le projet de loi de finances 2002. Merci du cadeau. Je veux bien que les gens soient sonnés par ce qui se passe dans le monde depuis trois semaines, mais de là à leur présenter comme un truc super-distrayant les pourcentages d'augmentation du budget de la direction « parc automobile » du ministère de l'Equipement et les évolutions de la grille salariale de la fonction publique, il y a de la marge. Même en mettant en illustration la photo de ce pauvre M. Fabius, obligé de présenter son projet sur lequel il a planché si longtemps à un moment où tout le monde s'en contre-fiche, avec la légende hilarante : « The chauve must go on », je doute. Oui, disais-je, pauvre hamster à nez rouge tournant comme un fou dans la petite roue de son angoisse, je cherchais quelque sujet qui pût enfin vous distraire. Et le moyen de le trouver, quand même Hollywood, l'usine mondiale à distractions, est au bord du lock-out ? Comment, vous n'êtes pas au courant ? Si ! Hollywood supprime tout ce qui était en cours, plus aucun film ne sort. Enfin je crois. Je viens de lire une dépêche indiquant que les grands studios préféraient, pour des raisons faciles à comprendre, « retarder toutes les sorties de films dont les thèmes pouvaient avoir un lien avec les événements du 11 septembre ». Réfléchissons. « En relation avec les événements », ça voudrait donc dire qu'Hollywood va supprimer tous ses films dans lesquels il y a des morts violentes, un climat apocalyptique et des malades mentaux qui massacrent des pauvres gens. Etant donné ce qu'ils nous envoient depuis cinquante ans, à part un remake du « Retour de la maman de Pluto », je ne vois pas ce qu'ils peuvent laisser passer. Enfin passons, disais-je, l'heure n'est pas à se moquer de quoi que ce soit d'américain, même pas leur cinéma. Et venons-en enfin à cette divine surprise qui me transporta la semaine passée et sauva ces deux colonnes. Elle survint sous la forme d'un pauvre livre traînassant dans mon bureau depuis des lustres et intitulé « le Passage de tous les dangers » (Laffont). Je l'ouvris, page 243 et suivantes, au chapitre « Prévisions 2001 pour les Etats-Unis », et savez-vous ce que j'y lus ? : « A partir de l'automne, très précisément en septembre, phase d'expansion et de prospérité. » Hé oui, amis facétieux, vous l'avez compris, il s'agit du dernier livre de prédictions d'Elizabeth Teissier et tout y est à l'avenant. Même en pire, d'ailleurs, la malheureuse prévoyait également pour 2001 aux Etats-Unis que « l'aéronautique serait très favorisée », mais je me rends bien compte que, dans les circonstances, noter ce point est d'un goût douteux. Hé oui, voilà donc ce que j'ai découvert cette semaine. Mme Teissier, la plus fameuse de nos prophètes à neuneu, prévoyait de la « prospérité » pour les Etats-Unis en 2001, et même, pour la période d'août à novembre, des relations diplomatiques « excellentes » avec les autres pays ; elle devait avoir raté l'Afghanistan dans son coin de boule de cristal. Oh, entendons-nous, je me rends bien compte de la portée modérée de cette découverte. Elle ne rendra la vie à personne et après tout, en terme de prévision, on pourra toujours dire que la Paco Rabanne de la thèse de sociologie n'aura pas fait tellement plus grotesque que la CIA, ce qui n'a rien de réjouissant. Mais je me disais simplement, après ces semaines éprouvantes, que cette petite nouvelle absurde serait peut-être de nature à donner, l'espace d'un instant, un rien de sourire à tous les amis du progrès et de la raison. On en conviendra, les amis du progrès et de la raison, par ces temps, ont assez peu l'occasion de sourire pour qu'on les privât d'aucune.
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