"Une époque qui érige Mme Fallaci et autres M. Meyssan [ndFlo: auteur de la thèse selon laquelle le 11 septembre était un complo américano-américain] en phares de l'intelligence manifeste le désarroi de la pensée et l'incapacité des intellectuels : c'est une sorte de victoire pour les fanatiques, pour Oussama Ben Laden et consorts. Sans doute le succès est-il imputable à ce que ces ouvrages révèlent par leur démarche même de la psychologie des foules. L'amalgame et la confusion entre le terroriste et l'immigré, les attentats du World Trade Center et l'insécurité sont à la racine du livre. Ils expriment, sur un mode viscéral et subjectif qui se veut explicitement l'ennemi de toute réflexion (bonne pour les aveugles et autres complices politiquement corrects), ce sentiment de peur que traduit, dans le secret des isoloirs, l'inflation des votes pour l'extrême droite en Europe et l'adhésion massive au manichéisme de la "guerre contre la terreur" en Amérique. De ce point de vue, il faut prendre ce type de cri au sérieux, en faire une lecture sociologique."
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"C'est le rôle civique des intellectuels de sortir de leurs cénacles pour prendre le risque, sans tabou ni complaisance, du débat public. Sans quoi il est vain de déplorer que la démagogie rafle la mise, inonde le marché de l'édition, et flatte les instincts au lieu d'aiguiser l'esprit. C'est aussi le rôle des médias d'avoir des exigences à la hauteur des défis de société majeurs auxquels nous sommes confrontés : tout l'automne, le petit écran a fait défiler en boucle des experts instantanés gorgés de certitudes factices, au détriment de la réflexion en profondeur sur le séisme que venait de subir le monde. Puis, tout le printemps, il a trait l'inépuisable vache à lait électorale de l'insécurité et de l'immigration."
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3246--277736-,00.html