Vous mélangez deux choses ici, Julien - le présent et le passé. Pour qu'une théorie soit dite scientifique, elle se doit d'expliquer tous les phénomènes (ceux qu'on observe dans le présent comme ceux dont est sûr qu'ils ont eu lieu dans le passé) par des causes observables, testables et vérifiables de nos jours.
Le créationnisme se base sur l'idée que l'Univers a été créé tel quel par un "Dieu tout-puissant, utilisant des mécanismes surnaturels, inobservables et inacessibles aux lois de la physique". Autrement dit, intestable. La conséquence évidente de cette caractéristique accordée par hypothèse au point fondamental de la théorie est que celle-ci, dans son ensemble, est tout simplement irréfutable.
Dans l'exemple que vous développez, si l'on voit de la matière/énergie "émerger spontanément à partir de rien par des mécanismes naturels", on n'en conclura pas pour autant qu'un Dieu surnaturel n'a pas pu créer le monde tel quel il y a 6000 ans. Votre Créateur a très bien pu faire un joli Univers immense plein d'espace vides et de planètes inhabitables (dans le seul but que les habitants d'une petite planète, la Terre, aient quelque chose à regarder le soir) en utilisant des moyens surnaturels - tout en créant les espèces vivantes telles quelles et en fixant les lois de la physique. Par la suite, ces mêmes lois de la physique peuvent pemettre l'émergence d'un peu de matière surnuméraire. Ce n'est pas incompatible.
De toutes les observations possibles et imaginables, aucune ne réfuterait réellement ce tableau (création surnaturelle voici six petits milliers d'années). C'est pour ça qu'on dit que le créationnisme est irréfutable - donc non-scientifique.
D'ailleurs, le vide quantique permet l'émergence spontanée d'un peu de matière/énergie ex nihilo (mais je ne suis pas expert sur ce point). Cela ne disqualifie pas le créationnisme - pas plus que l'existence de fossiles transitoires, de mécanismes permettant l'évolution ou de preuves écrasantes plaidant pour une Terre âgée de 4,5 milliards d'années. Dieu peut toujours tout avoir créé tel quel - mais quand on se lance dans ce type de spéculations, on n'est plus dans le domaine de la science.
>Et bien ! L’évolution adopte maintenant les prédictions du modèle créationniste ! Ce qui est à retenir est que le modèle créationniste prédisait la discontinuité *avant* que le registre fossile soit aussi documenté qu’aujourd’hui, contrairement à la théorie de l’évolution.
Mais non ! Le créationnisme - et je vous ai déjà expliqué pourquoi - ne prédisait pas une discontinuité, premièrement. Que le registre fossile soit continu ou discontinu, Dieu peut toujours l'avoir créé d'un seul coup. Dire que créationnisme implique discontinuité n'est tout simplement pas logique.
Deuxièmement, le registre fossile n'est pas discontinu - ce que vous omettez, car vos jeux de mots et vos citations décontextualisées sur la théorie des équilibres ponctués permet d'esquiver cette évidence. Dans les fossiles, les espèces se succèdent lentement - et l'on voit très bien que qu'elles dérivent les unes des autres. C'est ce qu'on appelle une continuité claire, que le créationnisme ne prédisait pas (pas plus que le contraire, d'ailleurs).
La discontinuité introduite par la théorie des équilibres ponctués dans le registre fossile se situe au niveau le plus bas de la classification - celui des espèces*. Lorsqu'une nouvelle espèce apparaît dans le registre fossile, on voit très nettement qu'elle est apparue à partir d'ancêtres de l'époque géologique précédente - mais elle n'en apparaît pas moins de manière relativement rapide. Quand l'enregistrement géologique est très bon, on voit que les intermédiaires entre l'espèce-mère et l'espèce-fille ont été peu nombreux et se sont succédés sur un laps de temps court. Quand il est plus mauvais, on ne les retrouve tout simplement pas. Ceci était une prédiction de la théorie de l'évolution : on possède une foule d'espèces transitioires entre les grands groupes d'êtres vivants, mais les formes transitoires entre les espèces elles-mêmes sont plutôt rares, parce que les mécanismes de spéciation sont très rapides. Ceci dit, cela n'empêche pas qu'aux niveaux plus élevés de la classification, le registre fossile varie réellement toujours de manière continue. Et ce n'est pas une citation décontextualisée de Gould ou de Patterson (citations dont la malhonnêteté est d'ailleurs facile à démontrer quand on se réfère à la source) qui y changera quoi que ce soit.
*Il y a bien sûr des niveaux plus bas (sous-espèces, "races"), mais ceux-ci sont rarement utilisés en paléontologie.
>Seulement, les faits sont que les évolutionnistes eux-mêmes ont été forcés d’admettre l’absence de gradualisme niveau espèce.
Ils n'ont pas été obligés de l'admettre : ils l'ont constaté à leur grande satisfaction, car la théorie synthétique néodarwinienne (1930-1940, tout de même) le prédisait. Ceci dit, le gradualisme niveau espèce existe aussi - mais la théorie prédisait que le cas serait probablement plus rare. C'est exactement ce que l'on observe.
>Ceci a donné naissance à une nouvelle formulation de la théorie de l’évolution...
Pas du tout : à une confirmation du modèle en vigueur, tout simplement.
Je vous ai déjà demandé si vous étiez spécialiste des fossiles, juste pour savoir.
Spécialiste est un grand mot - je n'ai pas encore de doctorat. Mais ma spécialité (en tant qu'étudiant) est l'étude des fossiles, oui.
>J’aime bien l’expression « continuité claire ». Des oiseaux avec des dents, des dinosaures avec des plumes/duvet (?)...
Sans oublier :
- des dinosaures à duvet
- des dinosaures à plumes (de vraies plumes, cette fois-ci)
- des oiseaux avec un crâne, une queue, une cage thoracique, une gueule, des dents, des pattes et des griffes de dinosaures
- des oiseaux avec des dents de dinosaures
Et encore y a-t-il plusieurs formes intermédiaires entre chaque bestiole citée ci-dessus. Chronologiquement et morphologiquement, les pièces du puzzle "dino->oiseau" s'assemblent parfaitement. Il n'y a que quelques chercheurs très isolés et très marginaux pour le nier - et encore : ils considèrent simplement que les oiseaux ont évolué à partir d'autres reptiles, proches des dinosaures mais un peu plus anciens. Voilà ce qu'écrivaient récemment deux paléontologues spécialistes du sujet :
« Certains auteurs n'admettent pas que les oiseaux ont évolué à partir des dinosaures (Feduccia, Stokstad). Mais, pour la plupart des scientifiques, leurs arguments ne fragilisent absolument pas l'hypothèse selon laquelle les oiseaux viennent des dinosaures parce qu'elles ne sont pas basées sur des hypothèses falsifiables et ignorent les méthodes standard de l'étude des relations entre les êtres vivants. Toutes leurs affirmations ont été refutées mais le point important, c'est qu'aucune n'était basé sur des travaux phylogénétiques - donc qu'elles étaient en fait inopérantes sur la question de l'origine des oiseaux. Aucune hypothèse alternative [à la transition "oiseaux->dinosaures"] n'a résisté aux tests ; et, en fait, cela fait plus de vingt ans qu'on a cessé de les considérer comme des hypothèses alternatives sérieuses. »
(K. Padian & J. R. Horner, "Typology versus transformation in the origin of birds" in Trends in Ecology and Evolution, 2002)
Est-ce clair ?
>des fragments de crânes et de tibia, une dent de porc (lol)… = continuité claire ?
Vous parlez ici des origines de l'homme. Pour ce qui est de la dent de porc qui a été considérée un temps comme un possible primate primitif, si vous l'aviez examinée (ne serait-ce que sur des photos ou des dessins), vous vous seriez rendu compte qu'il n'y a vraiment pas de quoi ricaner : elle était vraiment très ambigue. Ce sont les évolutionnistes eux-mêmes qui ont démontré très vite qu'il s'agissait d'une dent de cochon - et il n'y a jamais eu unanimité sur la manière dont on devait la classer. Ceux qui considéraient qu'il pouvait s'agir d'un primate se sont toujours montrés très prudents - à raison d'ailleurs, puisque la suite des travaux leur a donné tort. Bien sûr, certains journaux "grand public" n'ont pas hésité à publier des reconstitutions du soi-disant "homme de Nebraska" - mais nous sortons ici du domaine de la science. (au demeurant, cette histoire est vieille de 80 ans... et vous-même vous plaignez que l'on parle encore d'une erreur énorme que vous avez faite il y a un an et demie... hum hum...)
Par ailleurs, nous disposons de crânes complets et bien conservés, de bassins, de mandibules, de pieds - en fait, la continuité entre le "singe" et l'homme est évidente. J'ai reproduit tout en bas de ce message une illustration publiée sur Talk.Origins - on voit tout au début un chimpanzé, et tout à droite un être humain. Entre les deux, des fossiles intermédiaires placés par ordre chronologique.
Les primates sont des animaux visuels : les effets de rhétorique des créationnistes peuvent les faire douter des faits scientifiques - mais les images de ce type valent tous les effets de rhétorique du monde. Les fossiles sont inaccessibles aux jeux de mots, aux sophismes, aux ricanements ("une dent de porc, hin hin hin") - ils existent, tout simplement. Et face à des preuves aussi écrasantes que celles qui ont été photographiées ici, les créationnistes ont le choix entre se taire et reconnaître l'évidence. Tout simplement.