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Le Pouvoir de l'Invisible


Posté par Pseudo-Anonyme , Sep 19,2002,16:16 Index  Forum


Il y a chez le célèbre zoologue Richard Dawkins un concept fort intéressant que l’on nomme « mème ». Les mème sont des noyaux d’idées auto-réplicant. Ils n’ont pas de structure physique et ne peuvent être observé au microscope. Ce sont des fragments de néants qui vont d’esprit en esprit, nageant dans une mer de cerveau. Toutefois, ces réplicateurs sont capable d’assembler de grandes quantités de matières. Par exemple, une mélodie monte dans les rêveries d’un compositeur solitaire. Elle s’empare du cerveau du chanteur. Puis elle infecte la conscience de millions de personnes. Cette mélodie est un mème. Un concept scientifique ou philosophique naît comme une lueur vague dans les pensées d’un chercheur. Il finit par avoir des écoles entières de partisans. Ce concept est un mème. Chacun d’entre eux saute d’un cerveau à un autres, se copiant frénétiquement dans le nouvel environnement. Mais les mèmes qui comptent le plus sont ceux qui assemblent de grandes quantités de ressources pour en faire de nouvelles formes stupéfiantes. Ce sont les mèmes qui construisent les superorganismes religieux.

Il est difficile de dater la naissance de ce nouvel outil. Dawkins estiment qu’ils seraient apparu il y a environ 22 millions d’années, lorsque les proto-chimpanzés ce mirent à utiliser des outils et des méthodes de chasse coopérative. Cependant, ses premières formes pleinement identifiables n’ont peut-être pas commencé à engloutir des substances pour produire à la chaîne des copies d’eux-mêmes avant les 35 000 dernières années avec l’Homo Sapiens. Ce dernier, pour savoir qui faisait partie de sa famille et qui n’en faisait pas partie, utilisa des idées, des manières, des moralités et des particularités vestimentaires comme signes extérieurs de distinction. Les enfants d’Israël sont représentatifs des nations tribales de l’époque. Pour appartenir à leur tribu, il fallait posséder les bons gènes. Comment un Hébreu des temps ancien pouvait-il savoir si vous deviez être traité comme un initié ? Votre Dieu, vos manies et vos idées étaient les étiquettes extérieures de votre contenu génétique. Mais une chose étrange se produisit alors que les groupes humains s’agrandissaient. Les mèmes se détachèrent des gènes. À l’époque de l’Ancien Testament, les mèmes faisaient à peine l’effort de sauter d’un groupe de gènes à un autres. Les anciens Hébreux, par exemple, ne faisaient pas d’effort pour convertir les païens. Si le mème devait conserver son rôle de marqueur génétique, seuls ceux qui partageaient les mêmes gènes pouvaient partager le même Dieu. Mais comme le dit Leo W. Buss, biologiste à l’Université de Yale, « à chaque étape de l’histoire de la vie au cours de laquelle naît une nouvelle unité auto-réplicante, les règles du fonctionnement de la sélection naturelle changent du tout au tout. » L’un des résultats fut que, il y a deux ou trois milles ans, les Dieux qui avaient été de simples étiquettes pour un stock génétique se détachèrent et acquirent un but différent. Avec St Paul, le nouveau Dieu dépourvu de gènes s’est déployé dans le monde entier. Il fût, avec Bouddha, l’inventeur de la religion transmissible. Il se libéra de l’ancienne notion selon laquelle un Dieu était un emblème de l’héritage tribal et trancha les liens qui attachaient la divinité aux gènes. Grâce à Paul, le mème chrétien allait rassembler un mélange incroyable de gènes. Les gènes grecs et romains aux cheveux foncés, les gènes scandinaves aux yeux bleus et aux cheveux blonds, les gènes africains à la peau noire, et même quelques gènes chinois et japonais. Des gens dont les hélices génétiques étaient totalement différentes se retrouvèrent unis par un fil commun. Ce lien impalpable était un mème. À l’époque de Paul, les croyances devinrent le centre d’intérêt de mouvements libérés des attaches génétiques, qui pouvaient balayer la surface de la planète, rassemblant des êtres humains de toutes sortes dans l’étreinte. Car lorsque Paul sépara les gènes et les Dieux, il libéra une force qui allait réunir des superorganismes à une échelle encore inédite dans le monde. Il permit au même de devenir la plus puissante forme de réplicateur.

Deux groupes de sujets humains reçurent des casse-tête compliqués et un travail de correction de texte. Les deux groupes devaient mener à bien ces tâches avec en fond sonore un grincement irritant. Il y avait une différence majeure entre les deux contingents expérimentaux : l’un avait le contrôle et l’autre ne l’avait pas. Les tables auxquelles étaient assis les membres de l’un des groupes possédaient un bouton. Grâce à ce bouton, les sujets pouvaient éteindre le maudit bruit. Les membres du deuxième groupe n’avaient aucun contrôle. Sans bouton, il ne leur restait plus qu’à grimacer et à supporter le bruit. Les membres du groupe dont les bureaux disposaient d’un bouton de contrôle réussirent les casse-tête haut la main et ne firent que quelques erreurs dans leur correction. Le groupe qui ne disposait pas d’un bouton de contrôle fut minable. Ils réussirent cinq fois moins de casse-tête et leurs corrections furent atroces. La privation de contrôle avait obscurci leur esprit. Plus étrange encore, les membres du groupe qui avait le bouton n’appuyèrent jamais dessus. Ce n’était pas le bruit ou l’absence de bruit qui agissait sur leurs performances, c’était la simple idée que s’ils le voulaient, ils pouvaient l’arrêter. C’était l’idée du contrôle, son mème. Les schémas religieux et scientifique, des grappes de conjectures qui ressemblent parfois aux rêves d’un fou, offrent le sentiment de contrôle, un combustible indispensable aux moteurs physiologiques de la vie.

Le onzième siècle fut marqué par une bataille visant à savoir qui allait détenir l’autorité suprême en Europe. Les principaux prétendants étaient l’empereur du Saint Empire Germanique et le Pape. L’empereur, avec des trésors débordants de richesses, commandait des armées gigantesques et il pouvait compter sur la loyauté des nobles qui peuplaient son empire. Le Pape avait également ses trésors et ses armées, mais il possédait surtout une arme tactique dont aucun empereur ne pourrait jamais disposer : l’illusion du contrôle.
Au cours des deux cents ans qui suivirent le règne de Charlemagne, les Empereurs Romains Chrétiens avaient traité les papes avec arrogance. Pour monter sur le trône papal, un candidat devait obtenir la permission de l’empereur. Et pour indiquer clairement son asservissement, le nouveau pape recevait les symboles de son pouvoir des mains de l’empereur au cours d’une cérémonie solennelle. Cette cérémonie véhiculait le message suivant : au paradis, le pape peut tenir ses pouvoirs de Dieu, mais sur terre, il les reçoit de l’Empereur Romains Chrétiens.
En 1073, l’homme qui remporta l’élection papale refusa de se plier à cette procédure sans protester. Son nom était Hildebrand (connu plus tard sous le nom de Pape Grégoire VII). Hildebrand voulait que l’Église ne rende de comptes qu’à Dieu lui-même. En d’autres termes, il tenait absolument à élever le pouvoir de l’Église au-dessus de celui de l’Empereur.
Hildebrand avait la réputation de ne jamais chercher à éviter un bon combat. Le nouveau Pape débuta son règne en infligeant une véritable gifle à l’Empereur Henri IV. Le souverain pontife ne s’occupa absolument pas d’organiser la cérémonie sophistiquée au cours de laquelle il accepterait humblement sa couronne des mains de l’Empereur Henri. Au lieu de cela, le nouveau Saint Père prit tout simplement le trône lui-même. Pui il envoya u message laconique à l’Empereur pour informer sa majesté abasourdi de ce fait accompli. Deux ans plus tard, le Pape pugnace ajouta des insultes à la blessure. Les dirigeants avaient longtemps bénéficié du privilège de nommer les évêques à l’intérieur des frontières de leur royaume. Hildebrand déclara que cette pratique cessait immédiatement. Désormais, l’Église de Rome procèderait elle-même à ces nominations.
Cette déclaration était la preuve d’un culot incroyable. Dans le nouveau système du Pape Hildebrand, les représentants religieux ne seraient plus des hommes sur la loyauté et la coopération desquels pourrait compter l’autorité séculière. Ils ne seraient plus des extensions de la bureaucratie royale. Ces personnages locaux puissants seraient presque, au contraire, des agents étrangers. Comme si cela ne suffisait pas, Hildebrand fit tout ce qu’il put pour défier l’Empereur. Il excommunia quelques-uns des plus proches conseillers du souverain. Puis il ordonna impérieusement que Sa Majesté vienne à Rome pour se défendre contre des accusations d’inconduite.
Henri VI ne pouvait en tolérer plus. Il décida finalement de montrer au Pape parvenu qui était le patron. Henri convoqua un synode de l’Église en son territoire, un synode de personnages cléricaux qui lui étaient fidèles. Sous l’égide d’Henri, les hommes d’Église coopératifs déclarèrent en des termes on ne peut plus clairs que le Pape Hildebrand était démis de ses fonctions. Puis Henri se calma, croyant avec suffisance qu’il avait gagné. Après tout, comment un ecclésiastique diseur de prières pouvait-il faire face à un souverain qui commandait les plus grandes armées d’Europe et pouvait écraser des nations entières par simple caprice ? Mais Henri avait négligé un élément.
Le vicaire du Jésus-Christ démontra qu’il avait le monopole d’une arme qu’un simple roi ne pourrait jamais commander. Hildebrand excommunia le peuple allemand. Immédiatement, les citoyens allemands craignant que leur âme ne soit jetée dans les tourments éternels, firent pression sur leur souverain au point que celui-ci fut obligé de se rendre à Canossa et de rester debout, pieds nus, dans une cour pendant trois jours à supplier le pontife de lui pardonner.
Le pape prétendait avoir le contrôle de forces invisibles. Il affirmait que ses prêtres avaient un pouvoir sur les portes cachées qui menaient à un paradis et à un enfer invisibles. Grâce à cette influence sur un royaume dont l’existence ne peut être prouvé, le pape revendiquait le droit de contrôler l’incontrôlable.
L’Église médiévale gagna de considérables sommes d’argent en vendant ses illusions. Et les fantasmes que propageaient les confesseurs – contrôle et espoir – étaient absolument vitaux pour la survie de l’individu.
Une étude de 2832 sujets menée par Robert Anda du Centers for Disease Control montre que les adultes dépourvus d’espoir ont quatre fois plus de risque de mourir de maladie cardiaque. L’espoir et le contrôle sont donc biologiquement nécessaires au système immunitaire comme au cerveau. L’Église affirmait que la vie terrestre serait une courte période de tourments suivie d’une longue période qui compterait infiniment plus : une vie éternelle après la mort. Seul une personne sur mille, selon l’Église, arriveraient jusqu’aux portes dorées du paradis. Mais c’était, malgré tout, un espoir. Et il existait des moyens de s’assurer que l’on ferait partie de ceux qui partiraient vers la gloire du paradis : l’on pouvait faire preuve de repentir pour ses péchés, acheter les pardons immuniseraient des conséquences de ses actes mauvais, prendre part au corps et au sang de Jésus-Christ à travers la Communion offerte régulièrement par le prêtre local en l’échange d’une somme minime, et enfin, faire un pèlerinage. Il est facile de comprendre pourquoi les citoyens d’Allemagne ne purent supporter d’être excommuniés par le pape. Il leur interdisait tout espoir, leur retirant brusquement la seule chose qui rendait leur vie tolérable. Pire encore, il les privait du fantasme de contrôle, ruse nécessaire pour pousser le corps à survivre.
Nos cultures, en réalité, sont les fantasmes collectifs que nous projetons sur les mondes que nous ne pouvons pas voir. Elles sont des tapisseries de mèmes. Si vous étiez un Sioux il y a cent ans, vous croyiez que des esprits se manifestaient dans les aigles d’un nuage. Si vous êtes un occidental contemporain, vous savez que tout ceci n’est que foutaise. Si vous êtes un traditionnel de la Nouvelle-Guinée, vous croyez que les ancêtres r^dent autour de votre hutte et dirigent les affaires familiales comme des marionnettistes tirant les ficelles de la santé, de la richesse et du bonheur. Si vous êtes chrétien, vous pensez qu’en dehors de quelques fantômes qui hantent une maison d’Ottawa, les ancêtres ont tous eu la bonne grâce de partir peu de temps après leur décès. D’un autre côté, si vous êtes chrétien, vous croyez qu’un homme qui a rendu l’âme sur une croix il y a deux mille ans était le fils d’un Être immense et immortel qui plane quelque part au-dessus du ciel visible, et qu’un jour ou l’autre cette âme partie depuis longtemps reviendra sur terre et inaugurera un tout nouvel ordre des choses. Si vous êtes bouddhistes, vous savez avec certitude absolue que cela est une pure création de l’imagination chrétienne.
Nous sommes aujourd’hui nombreux à être convaincus que nous sommes au-dessus d’une croyance en des forces invisibles qui façonnent silencieusement notre destin. Mais le sommes-nous vraiment ? Nos croyances en des puissances invisibles modèlent notre comportement aussi sûrement que la certitude que l’esprit d’un ancêtre r^de dans le coin de leur hutte influence les habitudes des habitants traditionnels de Nouvelle-Guinée. Vous avez vu des gens tousser et renifler, mais avez-vous déjà vue un germe ? Seuls les gardiens de notre monde invisible, les scientifiques, les ont repérés. Pourtant vous prendrez sûrement de nombreuses décisions liées à l’hygiène en fonction de ces micro-organismes et de ces minimonstres que vous n’avez jamais vus. Vous évitez probablement le cholestérol, mais en avez-vous déjà aperçu ? Pour ceux qui n’utilisent pas un microscope, c’est une force aussi éthérée que les esprits chevauchant les nuages des Indiens d’Amérique…
Mal guidés, nous trébuchons sur la route de l’invisible, nous cognant parfois gravement. Créer des images du monde invisible est la méthode que nous, êtres humains, utilisons pour essayer de contrôler le monde que nous voyons. Par exemple, les Indiens adorent une divinité invisible : la déesse vache. Par conséquent, les vaches mangent et les Indiens meurent de faim. Nous sommes abasourdis. Pourquoi les Indiens affamés ne découpent-ils pas une partie du bétail qui erre nonchalamment dans les rues pour engloutir un hamburger ?
L’anthropologue Marvin Harris a démontré que si les Indiens tuaient leurs vaches et les jetaient entre les deux tranches de pain d’un Big Mac, ils seraient encore plus nombreux à mourir de faim. Harris explique que les Indiens survivent en utilisant la bouse de vache comme combustible, leur force de traction pour tirer les charrues et leur lait pour nourrir les enfants. Tuer les vaches rendrait l’agriculture impossible, le chauffage inexistant et le lait introuvable. L’adoration de la vache sacrée fonctionne parce qu’elle maintient en vie les créatures sur lesquelles est basée l’économie indienne. Chaque mème responsable de la formation de l’univers est un outil qui résout un problème, nous permet de maîtriser des dilemmes qu’un chien, un chat ou un canari a beaucoup plus de mal à résoudre.
Les animaux et les êtres humains se retrouvent tous face à un monde où la majeure partie de ce qui détermine leur destin leur est invisible à un moment précis. Pour un singe dans une clairière, la nourriture est hors de vue. Souvent, les mâles avec lesquels il lutte et les femelles pour lesquelles il lutte le sont aussi. Il se bat également pour engendrer des petits qui n’existent pas encore. Les prédateurs qui peuvent mettre un terme à sa vie sont également dissimulés à sa vue. Mais il doit faire face à tout cela afin de transmettre ses gènes à la génération suivante. Pour un homme qui va travailler, la plupart des choses qui l’affectent ne sont absolument pas visibles. Sa femme, ses enfants, son patron, ses concurrents au bureau, les magasins qui lui fournissent de la nourriture et des vêtements sont tous, pour le moment, visibles, uniquement dans son imagination. Mais il doit mesurer ces facteurs à chaque instant pour survivre. Lorsqu’il est dans une voiture au ralentie par la circulation, il a conscience de son travail, de son objectif, du salaire qui ne tombera pas avant vendredi, de la dispute que sa femme et lui auront peut-être lorsqu’il rentrera chez lui. Et il doit faire des prédictions. Dans quelle pile de papiers devra-t-il se plonger s’il veut finir à temps le rapport à terminer avant la fin de sa journée ? Combien peut-il dépenser pour s’offrir un nouveau costume s’il décide d’emmener sa famille à Hawaï pour les vacances ? Que devra-t-il dire à sa femme lorsqu’il reviendra chez lui pour la mettre de bonne humeur ? Que devra-t-il éviter de dire s’il veut éviter une dispute ?
Même les animaux ont besoin de pouvoirs de prédications. Pour lire dans l’avenir, de simples créatures comme la grenouille ont un modèle pré-intégré du monde. La grenouille est dotée de lignes de déclanchement neuronales entre son œil, les processeurs visuels de son cerveau et sa langue. Ces cellules nerveuses sont conçues pour suivre un certain nombre d’instruction simples : objet se mouvant par à-coups, darder sa langue ; objet immobile, ne rien faire. Cela fonctionne, et la grenouille se procure de la nourriture. Ses nerfs renferment un modèle de la planète dans lequel les objets qui volettent aux alentours sont généralement délicieux.
Mais chez la grenouille, cette image préconçue du monde ne change pas au gré des circonstances. Présentez à une grenouille affamée une moche immobilisée, et elle n’y touchera pas. Son portrait intégré de l’univers lui dit que seuls les objets qui volent autour d’elle sont mangeables. Si une grenouille captive survit assez longtemps en ignorant les aliments immobiles qui lui sont offerts, les failles de son modèle rigide du monde pourraient la tuer.
Comme la grenouille, les humains possèdent aussi un portrait de l’univers intégré. Nos cerveaux sont des machines à dessiner des images. Chaque culture a une vision du monde et non pas un ensemble algébrique de calcul cosmiques. Les Chrétiens non éduqués du Moyen-Âge décrivaient la terre comme un disque plat qui se terminait quelque part au-delà de l’horizon d’eau. Ils prédisaient que les petits bateaux qui naviguaient trop loin du rivage de l’Atlantique ne reviendraient plus jamais. Les intellectuels de la Renaissance, par contre, ravivèrent l’ancienne image grecque de la surface terrestre sphérique. Pour Christophe Colomb, cela signifiait qu’il pourrait naviguer dans le couchant occidental et émerger avec le lever du soleil sur la face orientale de la terre. L’optimisme de Colomb se basait sur un portrait d’un bas-ventre de la planète que les Européens n’avaient jamais vue, une image de l’invisible.
Les gènes sont la forme de réplicateur qui domine le marathon de l’évolution depuis près de trois milliards d’années. Mais au cours du dernier battement de paupières des temps géologiques, ces brins de nucléotides ont été distancés par les organisateurs immatériels appelés mèmes. Parmi les mèmes les plus puissants se trouvent les visions des choses invisibles. Comme les gènes, les mèmes n’opèrent pas en solo, mais s’imbriquent dans les mosaïques qui forment les visions du monde.
La vision du monde propre à une culture est généralement un vaste réseau de métaphores commençant avec la création de l’univers, et destiné à répondre à tous les mystères de la vie. Ce diagramme du cosmos est un outil avec lequel nous fouillons le cœur de notre environnement, un outil qui crée d’étranges produits dérivés. Il offre une illusion de contrôle, l’illusion qui transforme notre système immunitaire et notre esprit. La vision du monde confère aussi le pouvoir à ceux qui proclament en être les gardiens : les sorciers, les médecins, les scientifiques et les prêtres. Elle permet aux puissants de rassembler un organisme social. Pourtant, l’image de l’univers visible propre à une culture, son groupe de mèmes doté d’une force unificatrice, accomplit autre chose. Même si elle est criblée d’erreurs bizarres et d’imagerie risible, une vision de l’invisible produit de petits fragments de réelle maîtrise. Les images du monde invisible permirent à l’Église médiévale de défier l’Empire Européen, aux Indiens d’avoir une économie prospère et à Colomb de traverser l’Océan.

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