« Le colonisé n'est sauvé de l'analphabétisme que pour tomber dans le dualisme linguistique. »
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« Toute la bureaucratie, toute la magistrature, toute la technicité n'entend et n'utilise que la langue du colonisateur, comme les bornes kilométriques, les panneaux de gare, les plaques de rue et les quittances. Muni de sa seule langue, le colonisé est un étranger dans son propre pays. »
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« Dans le contexte colonial, le bilinguisme est nécessaire. Il est la condition de toute communication, de toute culture et de tout progrès. »
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« Le colonisateur cherche-t-il un emploi ? Lui faut-il passer un concours ? Des places, des postes lui seront réservés d'avance ; les épreuves se passeront dans sa langue, occasionnant des difficultés éliminatoires au colonisé. Le colonisé est-il donc si aveugle ou aveuglé, qu'il ne puisse jamais voir qu'à conditions objectives égales, classe économique, mérite égaux, il est toujours désavantagé ? »
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« La possession de deux langues n'est pas seulement celle de deux outils, c'est la participation à deux royaumes psychiques et culturels. La langue maternelle du colonisé, celle qui est nourrie de ses sensations, ses passions et ses rêves, celle dans laquelle se libèrent sa tendresse et ses étonnements, celle enfin qui recèle la plus grande charge affective, celle-là précisément est la moins valorisée. Elle n'a aucune dignité dans le pays ou dans le concert des peuples. S'il veut obtenir un métier, construire sa place, exister dans la cité et dans le monde, il doit d'abord se plier à la langues des autres, celle des colonisateurs, ses maîtres. Dans le conflit linguistique qui habite le colonisé, sa langue maternelle est l'humiliée, l'écrasée. Et ce mépris, objectivement fondé, il finit par le faire sien. De lui même, il se met à écarter cette langue infirme, à la cacher aux yeux des étrangers, à ne paraître à l'aise que dans la langue du colonisateur. En bref, le bilinguisme colonial n'est ni une diglossie, où coexistent un idiome populaire et une langue de puriste, appartenant tous les deux au même univers affectif, ni une simple richesse polyglotte, qui bénéficie d'un clavier supplémentaire mais relativement neutre. Si le bilingue colonial a l'avantage de connaître deux langues, il n'en maîtrise totalement aucune. »
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« Supposons qu'il ait appris à manier sa langue, jusqu'à la recréer en ouvres écrites, qu'il ait vaincu son refus profond de s'en servir ; pour qui écrirait-il, pour quel public ? S'il s'obstine à écrire dans sa langue, il se condamne à parler devant un auditoire de sourds. Une seule issue lui reste qu'on présente comme naturelle : qu'il écrive dans la langue du colonisateur... »
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« Le colonisé ne connaissait plus sa langue que sous la forme d'un parler indigent... Revenant à un destin autonome et séparé, il retourne aussitôt à sa propre langue. On lui fait remarquer ironiquement que son vocabulaire est limité, sa syntaxe abâtardie, qu'il serait risible d'y entendre un cours de mathématiques supérieures ou de philosophie. Même le colonisateur de gauche s'étonne de cette impatience, de cet inutile défi, finalement plus coûteux au colonisé qu'au colonisateur. Pourquoi ne pas continuer à utiliser les langues occidentales pour décrire les moteurs ou enseigner l'abstrait ? »
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