Par contre, ton message passe du groupe à l'individu d'une façon qui ne fonctionne pas. Tu peux dire, nous, les humains, «savons» x, en définissant «savoir» par expérience+théorie. Mais tu ne peux pas conclure qu'individuellement nous mettons tous ce modèle en pratique. Individuellement, nous nous faisons réciproquement confiance. En d'autres mots, nous «croyons» ce que les autres nous disent afin de «savoir» en tant que groupe. Ceci est donc insuffisant pour faire une différence entre croyance et connaissance au niveau individuel. Et on pourrait ajouter, mais je ne le ferai pas, que la «connaissance de groupe» est une fiction: on n'a pas accès à ce qu'il y a dans la tête des autres. C'est donc pas comme ça qu'on va faire une différence solide entre croire et savoir.
L'autre problème c'est ton «fil du temps». Au fil du temps, on a «su» bien des choses qui étaient fausses. En fait, comme disait l'autre, ce qu'on sait c'est qu'on ne sait jamais rien. On ne peut que supposer le plus rigoureusement possible. Mais on peut facilement aller plus loin: la raison pour laquelle on ne rejette pas la physique malgré ses lacunes évidentes c'est justement que cette incertitude est le moteur principal de la science. On fait de la physique justement parce qu'il reste des lacunes. On met donc en jeu toutes nos connaissances à chaque fois qu'on en cherche de nouvelles.
C'est exactement le contraire de la croyance, où on sait *tout*--ou du moins tout ce qui est «important». La croyance peut apparaître d'une rationalité blindée, ce qui était le propre de la science jusqu'aux années 50.
Enfin, donc, la rationalité de la science n'est pas ce qui la sépare de la croyance, du moins pas au premier abord. Ce serait plutôt son caractère incertain. C'est pourquoi je disais que pour faire de la science il faut être prêt à jetter tout ce qu'on «sait» par la fenêtre. Il ne faut pas être attaché à certaines «vérités». Si on s'attache à une explication, aussi rationnelle soit-elle, on n'avance plus, on croit.
Je ne me souviens plus qui disait ça, mais il serait raisonnable de définir le savoir scientifique comme «croyance justifiée». Évidemment jusqu'à un certain point c'est une contradiction des termes, sans compter que ça ne nous aide pas à savoir quel genre de justification est requis sans faire de tautologie («une justification *scientifique*, bien sûr...»). Moi je dirais plutôt que c'est une acceptation pragmatique et temporaire d'un énoncé explicatif parce qu'il concorde avec l'observation. Je réserverais «croyance» à ce qui implique un investissement émotionel dans une structure ayant une logique interne fixe indépendante de l'observation (peut donc être vraie, mais seulement par coïncidence). Même là, les philosophes verront tout de suite qu'il reste quantité de problèmes et une bonne dose de chevauchement. Malgré tout, je pense que ça peut nous sortir les pieds des plats pour l'instant.
La question était, «est-il possible d'être rationnel et croyant». En prenant «rationnel» comme «scientifiquement rationnel» et «croyance» selon la définition ci-haut, on peut répondre bien sûr que oui, mais cette croyance n'est d'aucune utilité et risque même d'être nuisible.
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