Vous le savez, loin de moi l'idée de défendre Mircea Eliade, mais tout autant loin de moi l'idée de le prendre en défaut systématiquement, et je ne crois pas qu'il soit ici pris en défaut.
Il ne faut pas je pense exagérer la correspondance entre les symboles dessinés en verticalités et la masculanité, même si Mircea Eliade s'est penché sur le symbolisme phallique. L'axis mundi de Mircea Eliade est un piveau cosmique,autour duquel la farandole humaine est autant faite de masculin que de féminin : comment autrement y aurait-il farandole?, et par ailleurs il a nettement marqué sa préférence pour les mythes lunaires, ceux-là estampillés sans réserve de féminité. Le pont entre le ciel et la terre, dites vous, mais la sacralité tellurique est chez Mircea Eliade essentiellement une production féminine, à l'émergence contemporaine de la naissance de l'agriculture, et, pour ce que je peux en savoir par ailleurs, ce n'est pas idiot, faute d'être assuré.
Par ailleurs, l'axis mundi éliadien n'est pas tout entier contenu dans cette mise en connexion de la terre et du ciel, celle-ci n'est qu'un épisode dans l'histoire du symbole éternel (l'archétype), voyez par exemple sa figure de la croix catholique plantée par le conquistador sur les terres nouvelles (dans SP, je crois): le symbole catholique y est finalement secondaire, il y a autre chose,la mystique est dans la prise de possession du territoire,-- à resituer dans le symbolisme général de l'espace interprêté par Eliade--l'axe planté est centre du monde, mais c'est surtout pour dire que le planteur de l'axe est centre du monde conquis, conquis contre le chaos, selon les catégories éliadiennes. D'une certaine manière c'est toujours la Tour de Babel, mais contre le décret biblique.
Que le passage entre la terre et le soleil ne puisse se faire qu'à l'instant de conjonction que vous signalez, entre le soleil et la voie lactée, à première vue ne contredirait en rien Eliade, et pourrait au contraire se proposer en illustration de ce qu'il a extrait du tantrisme, restant sauve la particularité suivante: la voie lactée n'est que le lieu, la matière, que vient pénétrer le soleil ou l'axis mundi. Bien sûr, il faudrait transposer le rôle du soleil dans ces mythes hors du discours éliadien sur les cultes solaires centrés sur l'Egypte parce que ceux-là furent assimilés par lui, peut-être non sans raison, à l'éveil de la rationalité, avec des regrets ( et c'est là que je combats ses raisons, vous le savez).Ce qui contredirait Eliade , c'est un ciel qui vienne vers l'homme, comme une mère vers son enfant, mais pas un homme enfanté par la terre et lançant un pont pour la conquête du ciel.
Bref, il ne faut pas je crois lier trop étroitement le symbole au support du symbole, même si Mircea Eliade y inviterait lui-même en ayant réduit de cette manière l'archétype qu'il emprunta à Jung, réduction d'une fonction, ou peut-être plutôt structure, productrice d'images, à l'image elle-même, mais ce serait à mon avis de mauvaise guerre.
Je ne crois pas que vous errez en vous interrogeant de la sorte, mais je ne crois pas non plus que l'information que vous avez trouvée dans cette émission, ni celle que vous communique Florence, remettent en cause l'édifice éliadien, sauf à savoir, comme suggéré plus haut, qui pose le pont, et pourquoi.
Le symbole masculin d'Eliade, dont vous dites avec raison qu'il lui était très cher,ne s'oppose pas mais au contraire s'enracine, contrairement à d'autres développements mythologiques il est vrai, dans la féminité. N'oubliez pas que ce grand amateur du paradoxe cultivait avec une particulière gourmandise la "coïncidence des contraires", autre emprunt jungien du reste, mais aussi bien classique antique. La femme éliadienne est aussi une vestale de l'axis mundi,et le culte célébré de concert par le masculin et le féminin jette ce pont entre la terre et la voie lactée, pourrait-on proposer pour maintenir, sans grand problème je crois, la vison éliadienne face aux représentations qui vous ont paru lui être contraires.
Cela dit, je retournerai néanmoins à ma critique des représentations éliadiennes. Merci pour cette intervention stimulante, à laquelle je repenserai de plus près.
Il est tard, c'est une réponse spontanée,improvisée donc, mais conservez en tout cas le rappel de mon amical souvenir.