Suivi

avions renifleurs: quand on refuse de regarder dans la boîte


Posted by Stéphane , Nov 13,2000,19:20 Index  Forum

Petit topo sur une affaire vraiment désopilante qui montre à quel point on peut se faire passer un sapin quand on néglige la méthode scientifique--et combien des gens intelligents et «honnêtes» peuvent complètement ignorer le simple bon sens.

1) Elf-Aquitaine

Elf-Aquitaine fut fondée par de Gaulle en 1967 (sous le nom d’ERAP, Entreprise de recherches et d’activités pétrolières) avec le but explicite d’assurer l’indépendance énergétique de la France. Dès le départ l’ERAP sert indirectement à soutenir les intérêts politiques
français dans plusieurs pays d’Afrique, en collaboration avec le SDECE.

En général la recherche de gisements pétrolifères se fait par sondages géologiques sur le terrain et est coûteuse, prend beaucoup de temps, et surtout n’est pas entièrement fiable. La technologie offerte à Elf-Aquitaine en 1976 est une avancée fabuleuse en la matière: l’équipement est sensé pouvoir détecter les gisements en agissant un peu comme un radar capable de pénétrer dans le sol et de révéler sa composition à de grandes profondeurs. Le procédé est très rapide–presque instantané–et hautement précis. De plus, il se trouve que l’ensemble des appareils nécessaires à cette détection peut être installé à bord d’un avion de ligne ordinaire légèrement modifié ou un cargo militaire–d’où l’expression «avion renifleur» (en fait l’avion lui-même n’a rien de particulier et n’est pas nécessaire au procédé).

Entre 1976 et 1979, Elf-Aquitaine dépense près de 800 millions de francs pour tester le procédé, qui s’avère non seulement inefficace, mais carrément une escroquerie. Le pire, pourtant, c’est qu’en fait il s’agissait d’une supercherie parfaitement évidente qui était détectable dès le départ, ce qui soulève bien des questions sur le statut de «victime» de la compagnie, et surtout sur la disparition à l’étranger, via la Suisse, de la majeure partie de l’argent: les «inventeurs» sont toujours pauvres, l’un d’eux en faillite personnelle. Selon Péan (1984) l’argent a été siphonné par des partis de la droite chrétienne en France et en Italie. Comme il n’y a pas eu d’enquête, les détails de l’affaire restent inconnus.


2) Personnages hauts en couleurs

L’affaire est le résultat des interventions de quatre acteurs principaux. L’invention faramineuse est due à deux personnages bizarres. Le premier, un nanti Belge, le comte Alain de Villegas, était un excentrique qui aimait financer des expériences non-conventionnelles (c’est le moins qu’on puisse dire: la radiesthésie était un de ses dadas). L’inventeur proprement dit du procédé était un ingénieur italien, Aldo Bonassoli, qui parle à peine le français et pour qui Elf-Aquitaine ne songea jamais à engager un interprète–ne serait-ce que pour comprendre ce qui lui, dit. En fait, la barrière du langage fut une protection de plus pour le jargon pseudo-scientifique parfaitement ridicule qu’il utilisait pour décrire sa «découverte».

S’ajoutera éventuellement le banquier zurichois Philippe de Weck, alors président de l’Union des banques suisses (UBS), qui accepta de prendre la tête de l’entreprise formée par nos inventeurs (la société Fisalma), ce qui apporta évidemment énormément de sérieux à l’affaire. De Weck avait été présenté à Villegas par un ex-employé du SDECE (Service de documentation extérieur et de contre-espionnage--devenu en 1982 la DGSE, Direction générale de la sécurité extérieure), l’avocat Jean Violet.

Violet entretient toujours des contacts avec d’autres anciens du SDECE, qui travaillent au sein du service de sécurité d’Elf-Aquitaine. La porte est donc ouverte, et nos compères entrent en contact avec la direction de la compagnie. Mais le SDECE n’est aucunement consulté au sujet des larrons qui tentent de vendre leur invention, ni directement impliqué d’aucune autre façon. En fait, le service n’apparaît dans cette histoire que comme un symbole de confiance et jamais comme interlocuteur. Sinon on se serait aperçu plus tôt que Violet et sa clique avaient été renvoyés du service comme «escrocs du renseignement» (Lascoumes, 1997: 164).

En fait, Violet, De Weck et Villegas se connaissaient par leurs activités dans des organisations de la droite catholique européenne, ce sur quoi Péan se base pour affirmer que Violet fut en fait un agent de groupes politiques de droite ayant trouvé un moyen de soutirer de l’argent à l’État. Il y a donc une arnaque vraiment «ésotérique» sous l’arnaque évidente du procédé.


3) Le procédé «VDS» (ça vous rappelle quelque chose, les acronymes fumants?)

L’arnaque évidente, c’est-à-dire le «procédé VDS», était absolument énorme. Le procédé «Oméga» de détection au sol recrachait simplement une photocopie d’une carte analytique déjà faite par des procédés conventionnels (qu’on se faisait un plaisir de fournir aux inventeurs) préalablement placée dans l’appareil magique par Bonassoli. Le procédé «Delta», en avion, fonctionnait avec un magnétoscope. Plutôt que de montrer une image des données prise en direct on faisait rouler un ruban pré-enregistré sous les yeux ébahis des officiels de la compagnie–et dans un cas du Président de la République. Évidemment, on gardait les regards à bonne distance des appareils magiques.

Pourtant, comme par hasard, les tests faits sur des régions qui n’avaient pas déjà été sondées par des moyens conventionnels ne donnaient jamais quoi que ce soit. On fora à répétition en Afrique du Sud et en France, pendant des mois et à des coûts énormes, sans jamais trouver les veines décrites par «reniflage». Mais rien de ceci ne mis jamais la puce à l’oreille des dirigeants de l’Elf-Aquitaine.

Dès que des physiciens indépendants purent enfin mettre la main sur les appareils le voile fut aussitôt levé. Mais bien avant ça, les explications à coucher dehors de Bonassoli auraient dû au moins soulever des questions chez n’importe quel scientifique, avec ou sans accès aux appareils VDS. Il s’agissait tantôt de neutrinos, tantôt de champs de force à spin 1/3, d’un «effet gravitationnel», etc. tant de choses qu’une éducation minimale en physique aurait dû relever. Mais justement, on ne fit appel à des scientifiques qu’à la toute fin de l’histoire.

_______________

C'est fou ce que certains personnages de cette histoire me rappellent des participants de ce forum...


Suivi