Gwanelle a écrit : 05 mars 2024, 18:49Cet article parle surtout du positivisme "obsolète" (et très "réaliste" en un sens) d'avant le XXème, dont l'intérêt est seulement historique. Tandis que toi, tu l'emploies au sens du XXème siècle (c'est à dire "l'école de Copenhague") par opposition à "la tradition réaliste".
Tout à fait.
ABC a écrit : 05 mars 2024, 15:10Certaines difficultés de progression de la science me semblent imputables à un biais dans l'approche positiviste quand elle tombe dans l'intégrisme.
Gwanelle a écrit : 05 mars 2024, 18:49Ne "suffit"-il pas d'appliquer le critère de Popper, c'est à dire (pour résumer) savoir distinguer une hypothèse irréfutable (c'est à dire "définitivement" inobservable) d'une hypothèse réfutable (c'est à dire "seulement à ce jour" inobservable).
Pas si facile que ça. Par exemple, en 1930, le neutron était une hypothèse spéculative, sans possibilité de confirmation expérimentale à cette époque. Le professeur Rutherford, à l'Université de Cambridge, expérimentait plusieurs approches et
spéculait sur l'existence d'une particule subatomique sans charge électrique (inobservable à cette époque)...
...mais certaines lois reposant sur des faits reproductibles, eux, suggéraient cette existence, et, finalement, le neutron a été observé en 1932 par
Chadwick. On peut dire la même chose des neutrinos. Ils ont été envisagés "par Pauli en 1930 pour résoudre le problème du spectre des électrons dans la désintégration béta", sur la seule base de la conservation de l'énergie, puis intégrés dans la théorie de l'interaction faible en 1933 par Fermi avant
leur découverte en 1956 par Fred Reines.
Gwanelle a écrit : 05 mars 2024, 18:49Si on ne peut imaginer une expérience (de pensée) qui puisse réfuter l'hypothèse par l'observation alors le positiviste a raison de la critiquer, tandis que si on peut en imaginer une (même si on ne peut la réaliser à ce jour) alors l'hypothèse est "seulement à ce jour" inobservable (et dans ce cas là, oui le positiviste à tort de la critiquer).
Pas bien sûr. Pas très noir ou blanc tout ça. On peut imaginer une expérience de pensée permettant de violer le
no-communication theorem et, en même temps, la
causalité relativiste...
...mais il faut admettre la possibilité spéculative de violer les statistiques quantiques (la
règle statistique de Born, implicitement contenue dans le formalisme de l'opérateur densité base du
no-communication theorem).
A ce jour rien, rien du tout, nada, peau d'balle, ne laisse à penser que ce soit possible...
...sauf si on accorde un degré de confiance tellement élevé au déterminisme qu'on le pense applicable à la mesure quantique (1) à une échelle d'observation à ce jour inaccessible, par exemple quelques ordres de grandeurs au-dessus de l'échelle de Planck (ou, pire encore, à l'échelle de Planck elle-même).
Dans un colloque sur les interprétations de la physique quantique qui s'est tenu à Paris le vendredi 14 et le samedi 15 avril 2023
Quantum Mechanics Paris Meeting organisé par Joseph Kouneiher (2), un participant a demandé à
Frank Laloë ce qu'il pensait de l'hypothèse spéculative d'une possibilité (au plan du principe) de biaiser le hasard quantique (grâce à un contrôle/maintien hyper rigoureux de l'état du polariseur d'Alice et son environnement à une échelle et avec une précision inaccessibles à ce jour) en exploitant un hypothétique déterminisme de la mesure quantique (soigneusement caché derrière un manque d'
information et les gros doigts maladroits de l'observateur macroscopique).
Sans toutefois se prononcer, Laloë a répondu qu'on ne pouvait pas préremptoirement déclarer cette hypothèse définitivement inenvisageable. Laloë a d'ailleurs présenté, lors de son intervention, une idée de principe pour mesurer la durée d'une mesure quantique. Sa proposition, très audacieuse, a suscité un vif intérêt de la part d'
Alain Aspect.
Le point que tu soulèves en citant Popper est d'autant plus cocasse que feu Karl Popper lui-même, lui précisément, était favorable, comme
Bell et
Bohm, à une interprétation réaliste et respectueuse du principe de causalité (3) donc explicitement non locale de l'
effet EPR.
Voilà ce que nous dit
K.R. Popper en 1982 à ce sujet, défendant l'interprétation bohmienne (cf. Pilot-wave theory, Bohmian metaphysics, and the foundations of quantum mechanics Lecture 5, mais ce ppt a malheureusement disparu du net)
We have to give up Einstein’s interpretation of special relativity and return to Lorentz’s interpretation and with it to . . . absolute space and time. . . . The reason for this assertion is that the mere existence of an infinite velocity entails [the existence] of an absolute simultaneity and thereby of an absolute space. Whether or not an infinite velocity can be attained in the transmission of signals is irrelevant for this argument: the one inertial system for which Einsteinian simultaneity coincides with absolute simultaneity . . . would be the system at absolute rest - whether or not this system of absolute rest can be experimentally identified.
Un texte en parfaite violation du
principe de réfutabilité dont il est lui-même l'auteur. Bref, feu
Popper était un ardent défenseur du positivisme, mais bon, au point d'attribuer une absence d'objectivité à l'état quantique de la paire de photons EPR corrélés, là, faudrait tout de même pas exagérer

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Bref, l'approche positiviste, c'est quoi ? En fait, c'est l'application du
rasoir d'Occam. Il s'agit de privilégier l'abandon de toute hypothèse non strictement requise pour rendre compte des faits d'observation (comme, par exemple, l'abandon de l'hypothèse d'existence/observabilité d'un référentiel de repos du milieu de propagation des ondes).
Doit-on appliquer ce principe sans s'encombrer de nuances ? Ben non, il faut faire preuve d'un peu de souplesse/mesure/discernement quand certaines lois (ou même de simples analogies, cf.
les ampériens d'Ampère), ayant bien marché par le passé (comme la conservation de l'énergie, la conservation de certaines symétries ou encore la conservation de l'
information...), suggèrent l'existence d'une entité physique ou d'un phénomène physique en apparence inobservable...
...parfois même quand d'autres lois de type no-go theorems (solides elles-aussi) suggèrent/prouvent que c'est imposible (cf. la conservation de l'
information en voie d'être
(r)établie rigoureusement dans le paradoxe de l'information des troux noirs, malgré le no hair-theorem relatif à la radiation de Hawking).
(1) Une mesure quantique interprétée comme une évolution quantique réelle, physique, objective, donc unitaire, déterministe, réversible, respectueuse de la conservation de l'
information, une évolution soumise donc, à l'insu de l'observateur macroscopique, à un déterminisme masqué par la myopie et les gros doigts maladroits de l'observateur macroscopique.
C'était comme ça que je voyais l'effet EPR il y a une quinzaine d'années avant de virer (très difficilement) positiviste, convaincu finalement par la conjugaison des informations suivantes :
- les articles de Carlo Rovelli, Christopher Fuchs et Asher Peres.
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- L'interprétation time-symetric de l'effet EPR ne nécessitant pas de violation d'invariance de Lorentz. En fait, elle ne nécessite pas, non plus, de violation du principe de causalité relativiste si, contrairement à Aharonov, Cohen, Elitzur et Vaidman, on adopte une interprétation positiviste du principe de causalité. Il s'agit d'une interprétation attribuant le principe de causalité à l'ignorance du futur par l'observateur macroscopique. Cette ignorance joue un rôle crucial : elle élimine le paradoxe du grand-père. En effet, l'observateur n'a aucun moyen de se servir de relations de corrélation allant dans le sens futur --> présent : il ne peut pas s'en servir car il ignore le futur. Grâce à sa connaissance du passé, il peut au contraire se servir d'une relation de corrélation pour provoquer un effet futur et ainsi transformer, par son action, cette relation de corrélation en cause provoquant un effet choisi.
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- Le caractère invariant de Lorentz du franchissement par effet tunnel d'une barrière de potentiel à vitesse supraluminique et pourtant, sans violation d'invariance de Lorentz donc, certes, en violation du principe de causalité relativiste si l'on adopte une interprétation réaliste du principe de causalité, mais sans cette violation si on note que l'observateur ne peut pas se servir de ces actions qui remontent le temps (pas moyen de se passer du rôle des limitations d'accès de l'observateur à l'information).
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- L'interprétation qu'E.T. Jaynes propose de l'effet EPR. Il pointe une erreur d'interprétation de Bell à ce sujet. La violation des inégalités de Bell peut s'interpréter comme une inférence statistique bayesienne, une exploitation optimale de l'information maximale pouvant être recueillie par l'observateur, cf. CLEARING UP MYSTERIES, §EPR. Il signale ainsi l'inutilité du recours à l'hypothèse d'une violation de localité... ...et pourtant, malgré cet argument de poids pour réintroduire l'observacteur (et ses limitations d'accès à l'information) dans le champ de la physique, Jaynes est définitivement un réaliste. E.T. Jaynes n'aime pas, notamment, l'approche purement épistémique de Bohr et l'interprétation positiviste de la physique quantique dont Bohr est l'un des pères (avec Born et Heisenberg).
(2) Avec des historiens des sciences, des philosophes des sciences et des physiciens dont 2 prix Nobel de physique : Roger Penrose et Alain Aspect.
(3) Un principe de causalité "Lorentzien", cad reposant sur un passé absolu et un futur absolu séparés par un hyperplan de simultanéité absolu associé au putatif référentiel quantique privilégié de l'interprétation réaliste (lorentzienne) de la Relativité Restreinte.